Rifaat al-Assad est l’oncle de Bachar. Depuis 1984, il vit en Europe où il détient une gigantesque fortune, aujourd’hui dans le collimateur de la justice française. Il possède plusieurs sociétés au Luxembourg.
Officiellement, depuis 1984, Rifaat al-Assad est un opposant à son neveu Bachar al-Assad. Il a pourtant été par le passé un fer de lance de la répression du régime, comme en témoigne son implication dans le massacre de Hama en 1982. Longtemps protégé par Paris, il est à la tête d’une immense fortune, notamment immobilière. Il a créé neuf sociétés au Luxembourg où il a été un actionnaire de référence de SES. Mais désormais ce sont les revers de fortune qu’il accumule tandis qu’il semble lâché par ses anciens protecteurs français.
Il convient d’observer qu’une centralisation des sociétés s’est réalisée au Luxembourg», constate un rapport des douanes françaises, lancées dans la traque du patrimoine immobilier de Rifaat al-Assad. Le 4 février 2014, deux ONG, Sherpa et Transparency International France, ont porté plainte contre l’oncle de Bachar al-Assad pour, entre autres, recel de détournements de fonds publics et blanchiment. Les ONG inscrivent leur plainte dans le cadre des dossiers des «biens mal acquis», valant à plusieurs dirigeants politiques et chefs d’État étrangers d’être aujourd’hui poursuivis en France.
Les deux associations soupçonnent Rifaat al-Assad et sa pléthorique famille (quatre épouses et au moins douze enfants) d’avoir constitué leur fortune à partir de fonds publics syriens détournés en 1984 : 200 millions de dollars qu’il aurait puisés dans la caisse présidentielle quand il a fui la Syrie après une tentative de coup d’État contre son frère Hafez.
D’autres sources évoquent aussi un pactole au moins équivalent amassé dans divers trafics avec le Liban quand il commandait les Brigades de défense de la révolution. Cette milice, forte de quelque 50 000 hommes, a longtemps été redoutée des Syriens, notamment pour sa responsabilité dans le massacre de Hama, qui a fait entre 10 000 et 40 000 morts en 1982. Son implication dans ces événements vaut à Rifaat d’être surnommé le «boucher de Hama» par les Syriens.
Depuis qu’il a quitté son pays avec sa famille et une suite conséquente, Rifaat se présente en opposant politique au régime syrien, à la tête d’un parti sans rôle significatif. Ce statut le met à l’abri des sanctions internationales visant les dirigeants syriens depuis que le pays a plongé dans la guerre civile en 2011. Néanmoins, des élus français, dont l’ancien maire du XVIe arrondissement parisien, qui a eu maille à partir avec lui, demandent ces dernières années que sa fortune doit être saisie.
Les épouses font ascenseurs à part
Ce natif de Qardaha, âgé aujourd’hui de 79 ans, a vécu depuis son départ de Syrie entre Paris, Londres, Marbella et Genève. Dans les années 80, et jusqu’à récemment, les autorités françaises voyaient en lui un intermédiaire à même d’apaiser les relations entre Paris et Damas, voire un possible remplaçant de son frère Hafez lorsque celui-ci vivait encore. En France, il est décoré de la Légion d’honneur en 1986 tandis que les services de renseignement hexagonaux le couvent de leurs ailes protectrices.
Rifaat al-Assad tire profit de ce verni de respectabilité pour prospérer dans les affaires. Au fil des décennies, il acquiert un luxueux parc immobilier en France : un ancien haras avec château à Bessancourt dans le Val-d’Oise, des hôtels particuliers et des appartements dans les arrondissements les plus chics de la capitale française, des ensembles de bureaux à Lyon.
Il fut notamment propriétaire d’un hôtel particulier de 6 000 mètres carrés avenue Foch dont il avait fait sa résidence parisienne. Ses deux dernières épouses, Line Al Khayer et Raja Barakat, accédaient à leurs appartements personnels par des ascenseurs séparés, spécialement aménagés pour éviter qu’elles se crêpent le chignon, rapportait en 2013 un article de Charlie Hebdo versé à l’instruction.
Les magistrats parisiens estiment la valeur du parc immobilier de Rifaat al-Assad en France à 90 millions d’euros et la cour d’appel de Paris en a définitivement validé la saisie le 27 mars. Entendu par les juges en octobre dernier, l’ancien vice-président syrien a assuré ne pas s’occuper de son patrimoine, disant ignorer jusqu’aux documents qu’il signe. Une affirmation contredite par des écoutes téléphoniques ordonnées par la justice attestant au contraire qu’il suit de près ses affaires.
Associé à des avocats luxembourgeois
Sur le papier, ses biens immobiliers sont en grande partie détenus par des sociétés de droit luxembourgeois. Dans le rapport des douanes françaises auquel Le Quotidien a eu accès, quatre sociétés anonymes luxembourgeoises sont citées : Al Jinane, ELM Investment, AYM et Sounoune.
Ces entreprises ont été immatriculées dans les années 90 et 2000 par des avocats luxembourgeois, agissant en qualité de mandataires et membres des conseils d’administration. Ils ont depuis pris leur distance avec un personnage devenu à leurs yeux sulfureux et dont on craint aussi de possibles représailles.
«Nous n’avions aucune raison de nous méfier de lui. Il tenait ouvertement boutique, ne cachait pas qui il était et il était protégé par des services français», dit sous le couvert de l’anonymat un avocat de la capitale qui l’a assisté dans ses affaires luxembourgeoises. «On s’est dit que nous pouvions travailler avec son argent et que de toute façon nous n’allions pas refaire le monde…», justifie le même, affirmant avoir appris bien plus tard son implication dans le massacre de Hama.
Conseils mouvants et adresses changeantes
En réalité, Rifaat al-Assad, ses épouses et enfants avaient créé jusqu’à neuf sociétés au Grand-Duché. Deux, les plus anciennes, ont été liquidées. Les autres sont maintenant hébergées par un discret domiciliataire, à Luxembourg, dont les gérants goûtent fort peu les questions portant sur leurs relations avec l’ancien chef milicien.
Avant d’être enregistrées au Grand-Duché, certaines sociétés étaient établies au Liechtenstein. D’autres avaient des actionnaires panaméens et suisses. Toutes étaient aux mains de la famille de Rifaat al-Assad. C’est notamment le cas de Al Jinane SA, immatriculée à Luxembourg en décembre 2005, période à laquelle la famille rapatrie trois entreprises de Vaduz vers le Grand-Duché.
Les sociétés qu’ils possèdent au Luxembourg sont de deux types : les unes semblent avoir été montées dans le seul but d’héberger le patrimoine immobilier tandis que les autres ont été spécialement constituées pour acquérir des actions dans la Société européenne des satellites, la SES.
503 propriétés en Espagne
Les conseils d’administration de ces sociétés sont très mouvants, les membres de la famille s’échangeant en permanence leurs postes d’administrateurs. Dans les documents notariés rattachés à ces entreprises, Rifaat apparait comme vice-président de la république syrienne jusqu’en 1998. Tout ce petit monde change aussi fréquemment d’adresse entre Paris, Londres et le sud de l’Espagne.
C’est dans ce dernier pays que l’oncle du dictateur syrien fait la une des médias le mardi 4 avril dernier. Ce jour-là, la Guardia Civil perquisitionne l’un de ses complexes immobiliers du port de plaisance huppé de Puerto Banus, en Andalousie. L’enquête vise Rifaat al-Assad pour blanchiment de capitaux en bande organisée et fait suite à celle ouverte en France en 2014. La justice évalue le patrimoine immobilier de Rifaat en Espagne à 691 millions d’euros. Les enquêteurs y ont repéré 503 propriétés, dont un domaine s’étendant sur 3 300 hectares, La Maquina, dans la région de Marbella. L’ensemble de ces biens a été saisi par la justice ibérique, qui a par ailleurs bloqué 92 comptes en banque.
L’exil doré se poursuit à Londres
L’enquête judiciaire ouverte en France s’est aussi prolongée au Luxembourg en 2015 avec une commission rogatoire du juge Renaud van Ruymbeke. Laconique, une source judiciaire luxembourgeoise précise qu’«actuellement il n’y a pas de procédure en cours ici» au Grand-Duché. Autrement dit, le Luxembourg n’a rien à reprocher au «boucher de Hama». En Suisse, en revanche, le vent semble également tourner pour lui puisqu’une source judiciaire citée par des médias helvétiques évoquait il y a un mois la possible saisie de ses biens.
Des biens et avoirs dont il est difficile d’évaluer la valeur précise. Ceux qui connaissent le dossier se gardent bien d’avancer le moindre chiffre, tant Rifaat et sa famille ont multiplié les structures, y compris dans des juridictions peu transparentes comme le Panama ou les îles de Curaçao et de la Grenade. Depuis ses déboires avec les justices française et espagnole, le Syrien s’est probablement replié vers Londres où les cieux lui sont plus cléments. Pour l’instant du moins. Il y possède une luxueuse maison de ville qui était estimée en 2011 à 10 millions de livres. Pour Rifaat al-Assad, l’exil reste doré.
Le massacre de Hama en 1982
Le 26 juin 1980, en pleine visite du président malien, Moussa Traoré, un garde présidentiel lance deux grenades en direction de Hafez al-Assad. Il le manque. L’attentat, attribué aux Frères musulmans, fait l’objet d’une féroce répression menée par les Brigades de défense de la révolution de Rifaat al-Assad. Dès le lendemain de l’attaque, il prend la tête d’un commando qui se rend à la prison de Tadmor, à Palmyre.
Ses hommes exécutent à même leurs cellules entre 600 et 1 000 détenus, islamistes présumés. Deux ans plus tard, c’est à Hama, quatrième ville du pays, que les brigades de défense vont donner la mesure de leur cruauté. Dans la nuit du 2 au 3 février 1982, 200 à 300 paramilitaires issus des Frères musulmans s’emparent de la ville de 400 000 habitants. Ils tuent des responsables du parti Baas, au pouvoir, ainsi que des membres de leurs familles. Confiant en leur force, les islamistes apparaissent alors comme la principale opposition aux Assad et parient sur le soulèvement d’autres villes pour renverser le régime.
Mais cela n’arrive pas et c’est une impitoyable répression qui s’abat sur la ville pendant plus d’un mois. Tandis que la plupart des Frères musulmans impliqués dans le coup de force parviennent à fuir la cité, plus de 12 000 militaires et miliciens du régime se vengent sur la population. Parmi les troupes engagées dans la répression figurent les brigades de défense de Rifaat al-Assad. Celui-ci aurait en grande partie supervisé les opérations. Il existe peu de témoignages et de preuves des massacres. Aussi est-il difficile de fournir un bilan humain des tueries. Selon les sources, entre 10 000 et 40 000 personnes ont été assassinées, dont la majorité étaient sans relation avec les islamistes. Rifaat al-Assad, relayé par son fils Siwar, nie régulièrement avoir été impliqué dans la tuerie.
Pour le journaliste Jean-Pierre Perrin, l’un des meilleurs spécialistes de la région, le massacre de Hama «hante la mémoire collective syrienne» et peu importe que Rifaat se soit ou non rendu sur place puisqu’il commandait une partie des troupes ayant commis le carnage. Aucune enquête sérieuse n’a jamais pu être menée sur ces évènements, préfiguration de l’actuelle guerre civile. Et Rifaat al-Assad n’a jamais été inquiété pour son rôle dans ce crime.
Il se rêvait au conseil d’administration de SES
Rifaat al-Assad possédait plus de 14 millions d’actions de SES, le fleuron spatial luxembourgeois. Il a tout perdu en 2011 dans un contentieux avec la filiale luxembourgeoise de Deutsche Bank.
L’ancien vice-président syrien a détenu quelque 2,5% de SES, une part considérable pour une société qui jongle avec les milliards. Mais un prêt de 95 millions d’euros contracté auprès de Deutsche Bank en 1999 va être fatal à la position de Rifaat al-Assad dans l’opérateur de satellites. Celui-ci s’est estimé lésé et a attaqué la banque en justice. Il a été débouté à deux reprises.
C’est en 1996 que la famille de Rifaat al-Assad crée Moon Lake SA. Les actionnaires sont deux sociétés lui appartenant également : l’une est luxembourgeoise, l’autre panaméenne. Moon Lake a «pour objet la prise de participation dans (…) la Société européenne de satellites», indique ses statuts. Quatre ans plus tard, Moon Lake sera coiffé par Manitoulin, une holding elle-même fondée par des entités suisse et panaméenne, appartenant comme il se doit à la famille de Rifaat.
Cet empilement de sociétés jouant à saute-mouton entre pays est significatif de la complexité des structures détenues par l’ancien vice-président syrien et jette un voile de discrétion sur ses investissements dans SES. Sa participation à l’aventure spatiale luxembourgeoise reste plutôt méconnue.
Dans ce dossier mêlant le géopolitique, le business et la rude personnalité de Rifaat, les langues se délient difficilement. Et quand on parle, c’est sous le strict couvert de l’anonymat. Il en va ainsi d’un ancien homme de confiance de Rifaat, désormais retiré des affaires. Il a souvent traité avec lui, avec son fils Siwar, «quelqu’un de brillant qui a écrit un livre», et avec sa fille Sabla, avocate au barreau de Paris, «une femme très intelligente». «Les enfants sont totalement occidentalisés et je ne pense pas qu’ils aient la moindre ambition en Syrie», dit-il avant d’entrer dans le vif du sujet. Il raconte les entrevues avec ses clients qui se déroulaient le plus souvent dans l’hôtel particulier de l’avenue Foch à Paris. «L’immeuble était gardé par une femme des services secrets», poursuit-il. «À ma connaissance, Rifaat n’est venu qu’une seule fois au Luxembourg, c’était pour un rendez-vous à la Deutsche Bank.»
Alors que peu de mouvements de fonds apparaissent dans les comptes des sociétés détenant le patrimoine immobilier de la famille, il en va tout autrement de celles dédiées à l’achat d’actions SES. La valse des chiffres a de quoi donner le tournis, Manitoulin enregistrant par exemple 102 millions d’euros de pertes en 2003 avant d’afficher des recettes de 168 millions en 2009. Il en va de même de Moon Lake, dont les actifs d’un montant de 203 millions en 2002 chutent à 1,2 millions en 2010. Si ces flux montrent une stratégie de tours de passe-passe entre sociétés, ils témoignent aussi d’un tournant dans l’assise luxembourgeoise de la famille.
La guerre des satellites
Pour saisir les enjeux de la présence de Rifaat al-Assad dans SES, il faut remonter à la création du fleuron spatial grand-ducal au début des années 80. Lorsque l’ancien Premier ministre chrétien-social Pierre Werner émet l’idée de lancer des satellites luxembourgeois, il se heurte d’emblée à la réticence des Français et des Allemands, qui voient d’un mauvais œil l’arrivée d’un concurrent sur un marché européen qu’ils dominent largement. Le successeur de Pierre Werner, Jacques Santer, devra batailler ferme et se tourner vers l’Américain GE pour construire le premier satellite Astra, lancé en 1988 depuis Kourou. La guerre industrielle est doublée d’une course au financement, les grandes banques françaises et allemandes refusant alors d’injecter de l’argent dans SES, notamment en raison du risque lié à la technologie novatrice choisie par les Luxembourgeois.
Dans ces conditions, il est facile d’imaginer que les fonds du «boucher de Hama» étaient les bienvenus. Quoi qu’il en soit, il va monter dans le capital de SES en détenant jusqu’à 14,46 millions d’actions à la fin des années 90.
En janvier 1999, sa société Moon Lake SA contracte un prêt de 95 millions d’euros auprès de Deutsche Bank au Luxembourg, dans l’objectif d’acquérir de nouvelles participations dans SES. Moon Lake garantit le prêt avec les actions qu’elle détient déjà. Manque de chance, les cours SES s’effondrent de moitié en 2002 et les recettes escomptées par Rifaat al-Assad ne sont pas au rendez-vous. La dette de sa société gonfle au point que ses actions SES tombent dans l’escarcelle de Deutsche Bank.
Deux procès contre Deutsche Bank
L’ancien vice-président syrien ne l’entend pas de cette oreille et accuse les dirigeants de la banque d’avoir manipulé le cours par des déclarations dans la presse. Il attaque Deutsche Bank en justice et perd en première instance en avril 2007. Qu’à cela ne tienne, il fait appel. Les juges le déboutent à nouveau en 2009. Un an plus tard, une ultime tentative se heurte au rejet de son pourvoi en cassation.
«Rifaat al-Assad était un actionnaire de référence possédant quelque 2,5 % de SES», se souvient un avocat qui fut également associé à la famille. «Il pensait obtenir un siège au conseil d’administration, mais là, on s’est dit que c’était quand même de trop.» Pourquoi de trop? L’avocat n’en dira pas davantage.
Dossier réalisé par Fabien Grasser
Ce sont des éléments appartenais aux même brigades « de rifat »(citées dans l’article) qui ont assassiné l’Ambassadeur de France Louis Delamare, dans certains pays il n’aurait pas fait des affaires 10 ans ce rifat il aurait été mis en pièces…