Porté par le formidable duo Michael Caine-Harvey Keitel, Youth, de Paolo Sorrentino, est un grand film. Bouleversant, émouvant, aussi mélancolique qu’ironique. Il sort ce mercredi dans les salles luxembourgeoises.
Pour décor, les Alpes suisses. Là, dans un bel hôtel, deux amis –Fredet Mick– tout prochains octogénaires, passent leurs vacances. Le premier est compositeur et chef d’orchestre, il est maintenant à la retraite et n’envisage pas un instant de revenir en arrière. Le second, lui, est réalisateur, toujours en activité –il est en train de boucler le scénario de son nouveau film.
Pour les deux seniors, pas de secret ni d’illusion : ils savent qu’ils sont au crépuscule de leur vie, que le temps est compté. Alors, ensemble, ils décident de faire face à ce temps qui passe. Ce temps qui s’enfuit, mais qui ne semble pas perturber tous ceux qui les entourent… Sobrement titré Youth (en VO : La giovinezza ), c’est le nouveau film bouleversant, émouvant, aussi joyeux que triste, de l’Italien Paolo Sorrentino, brillant réalisateur, entre autres, de L’Ami de la famille (2006), Il divo (2008), This Must Be the Place (2011, avec Sean Penn) ou du fellinien La grande bellezza (2013).
En mai dernier, présenté en compétition dans la sélection officielle à Cannes, Youth avait enchanté les festivaliers, et dans la foulée de la projection, il n’y avait aucun doute : ce film sur le temps qui passe serait la Palme d’or du 68 e festival de Cannes… Au final, la Palme fut attribuée à Dheepan de Jacques Audiard, et Sorrentino quitta la Croisette et son Palais des festivals bredouille…
Quelques jours plus tard, il confiait à la presse italienne vouloir vite passer à autre chose – et d’évoquer son prochain film, The Young Pope avec Jude Law, Diane Kruger et Cécile de France (sortie prévue en 2016). Il ajouta quand même que Youth est sûrement, à ce jour, son long métrage le plus abouti. Et d’en raconter la genèse : « Le but premier de Youth est de parler du temps qui passe, du rapport à l’avenir. Même si les personnages de Fred et Mick ont presque 80 ans, je n’ai jamais un instant voulu tourner un film sur la maladie et la vieillesse… Pour tout dire, l’histoire de Youth est partie d’une rencontre avec Francesco Rossi (NDLR : réalisateur, entre autres, de L’Affaire Mattei – 1972, avec Gian Maria Volonte). Il m’a raconté son histoire avec une jeune fille qui a été sa fiancée durant sa jeunesse. Ce jour-là, il était accompagné d’un vieil ami. Cette connivence, cette amitié m’ont inspiré Youth. »
Comédie, ironie, mélancolie
Dans le film du réalisateur italien, certains ont voulu voir un excès d’esthétisme. D’autres, un clip de pub pour les Alpes suisses et leur hôtellerie. Ou encore un manque d’inspiration de Sorrentino qui se serait engouffré dans un genre en vogue au cinéma ces derniers temps : la représentation du troisième âge, après Red (2010) de Robert Schwentke, Indian Palace (2012) de John Madden, Canailles Connection (2014) de Reshef Levi ou encore Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire (2014) de Felix Herngren.
Il en est même qui ont raillé les «questions existentielles» que soulève et pointe Youth , au prétexte qu’au cinéma, elles seraient «le plus souvent des alibis scénaristiques pour faire l’intéressant et contenter les feignants. Ici, la mise en scène « grand style », dont Sorrentino est devenu le chantre, sonne faux, car elle est hors sujet et ne sert pas une ironie grinçante comme dans son film précédent. C’est une comédie de précieux ridicule!» À tous ceux-là, critiques mesquins, on glissera que Youth est tout au contraire enveloppée, habillée par une mise en scène esthétisante, par des dialogues ciselés, par des situations de comédie, par une pointe d’ironie et une bonne dose de mélancolie. Et le tout est joliment décoré par cette musique qui, une fois encore chez Sorrentino, joue un rôle si particulier – cette fois, la B.O. fait cohabiter la pop enthousiasmante de Florence and the Machine et un concert de cloches de vaches!
Et puis, il y a le bonheur du casting. Majestueuse, la grande Jane Fonda passe dans le film et la belle Rachel Weisz est impeccable dans le rôle de la fille de Fred. Mais surtout, il y a le duo Fred et Mick, joué par Michael Caine et Harvey Keitel. Caine en chef d’orchestre misanthrope et Keitel en réalisateur has been et sobre, c’est un régal. Enfin, il y a les mots de Mick qui résonnent longtemps après qu’on a quitté la salle : «Les émotions sont peut-être surestimées, mais c’est tout ce qu’on a…»
Serge Bressan
Youth , de Paolo Sorrentino (Italie/France/Suisse/Grande-Bretagne, 1 h 58) avec Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Paul Dano, Jane Fonda…