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WaterWalls : quand l’eau se raconte


Le long de la vallée de la Sûre, quatre installations participatives et écologiques proposent d’écouter ce que l’eau a à révéler. Poétique, politique ou sociale : elle a des choses à dire.

Chaque été, la verte et paisible cité d’Esch-sur-Sûre voit débarquer en masse l’autochtone citadin, motivé à se perdre dans le Nord pour profiter de l’appréciable combo «bronzage-baignade». Depuis quelques années toutefois, la ville cherche à se défaire de cette image de simple lieu de villégiature.

Dans ce sens, il y a déjà eu l’éphémère festival Séibühn (2013-2015), avec lequel le parfum des vacances «maison» se mêlait à celui de la musique en live, à fleur de l’eau. Le projet WaterWalls suit la même idée en proposant, au cœur de la vallée et sur trois kilomètres le long des barrages de compensation, un parcours artistique à la cool, respectueux des nécessités de l’époque, en calant sa démarche sur les principes de l’économie circulaire.

Une philosophie qui se résumerait à trois «r» pour «réduire, réutiliser, recycler», charte qui articule tous les rouages de la manifestation, de la logistique à la communication, de la consommation d’énergie aux matériaux utilisés.

Autant dire que l’initiative, «pionnière» au pays, ne se fait pas sans difficulté, particulièrement dans cette région, la «plus protégée» du Luxembourg, précise Séverine Zimmer, directrice de «Services for Creatives», qui assure la coordination de l’évènement.

Le poids de la besogne prend tout son sens quand elle détaille : il y a d’abord l’interdiction, récente, de ne plus utiliser le grand barrage. Ensuite, il faut aussi composer avec un cahier des charges «très exigeant» et des contraintes «strictes» d’autorisation. Il faut enfin que les installations proposées respectent plusieurs conditions fixées par le projet : environnementales, donc, mais également esthétiques et conceptuels.

«Oui, depuis le début, c’est compliqué, mais le lieu offre tellement de potentiel que tout le monde a tenu le coup», dit-elle sans exagérer. Entre les lignes, la référente revient à deux galères anciennes, plutôt sérieuses : la crise sanitaire de 2020 et les inondations de 2021.

Un grondement «cauchemardesque»

Empêché de démarrer en temps et en heure en raison du covid, WaterWalls reporte alors son lancement à l’année suivante, mais en plein préparatif, il se retrouve pris sous un déluge de fin de monde. «Un  cauchemar éveillé», se souvient Séverine Zimmer qui, dominant le fleuve pour le coup calme, a du mal à masquer son émotion.

Les yeux mouillés, elle raconte : «Alors que tout se présentait bien, on m’appelle pour dire que le barrage allait être ouvert». On est le 15 juillet, le pays est sous l’eau et son festival aussi, au rythme des 700 m3 d’eau par seconde qui déferlent sur les œuvres dans un grondement de tonnerre.

En première ligne, celle de Marco Godinho tient cependant bon, lestée par des tonnes de pierres. Mais il faut nettoyer, repenser le parcours et décaler certaines activités périphériques. À trois jours de l’inauguration… On comprend mieux pourquoi le projet, annoncé comme biennal, revient seulement trois ans après cette aventure initiale rocambolesque : il a le don d’user les nerfs.

Néanmoins, ce n’est pas du tout l’impression qu’il donne quand on déambule, à plat et sous le soleil, entre le village et le camping Bissen. Après une première édition aux ambitions douchées, celle-ci se veut limitée à quatre installations (choisies parmi 60 propositions, suite à un appel à candidature lancé à l’internationale).

Étalées dans cet environnement «contradictoire», où la nature pactise avec l’architecture industrielle des barrages (grâce auxquels la Sûre est le plus grand réservoir d’eau au pays), les œuvres explorent le rapport à cet «or bleu», aussi bien dans sa préciosité que par sa beauté.

Le meilleur exemple reste celui qui, «coup de cœur du jury», ne fait rien comme les trois autres, notamment en termes d’économie circulaire et d’approche participative. «Constellations flottantes» est en effet un ensemble de 144 boules de verre, forgées du côté de Meisenthal par l’artiste-artisan Mathilde Caylou, et qui s’apprécient juste du regard.

Une nuit avec les étoiles

Elle aussi est passée par des moments de stress pour composer cette représentation du ciel («tel qu’il était le jour du vernissage», indique-t-elle, soit samedi dernier), faite de 168 tasseaux en bois et de 200 charnières de métal, le tout s’étalant sur 225 m2.

Plus d’une année de travail et quatre mois de montage pour finalement devoir attendre d’être sur place pour voir l’œuvre dans son entièreté. «Elle ne rentrait pas dans l’atelier!», s’amuse-t-elle aujourd’hui, fière de voir ses «étoiles» flotter sans risque de dérive, grâce à l’appui de plongeurs.

Si «techniquement», l’installation était «éprouvante» à achever, le résultat vaut le détour, notamment à la tombée de la nuit quand elle devient phosphorescente. Son jeune bébé devrait apprécier ce mobile géant, qui brille comme les astres dans le ciel (sans pollution lumineuse). Idéalement, pour que le sommeil arrive et les rêves soient agréables, la lecture du conte Le Mangeur de lune s’impose.

La rivière est une entité dont il faut écouter la voix

Aussi poétique et autonome, mais plus participative, «Aquacanta», située près du pont de Kaundorf, invite le flâneur à faire une pause et à entendre ce que l’eau a à lui dire. Une création de Laura Drouet, d’Olivier Lacrouts et de l’artiste «bricoleur» Hadrien Venat qui, avant de devenir une publication numérique (avec notamment les récits glanés auprès des habitants), s’apprécie à travers quatre instruments et une éthique :

«La rivière est une entité dont il faut écouter la voix». Ainsi, grâce à ces objets faits de bric et de broc, qui «captent et amplifient» les sons, on peut prêter l’oreille aux «rumeurs» du vent, du courant ou encore d’un ruisseau. Voire, avec de l’imagination, celles d’êtres invisibles qui peuplent l’endroit. Ce sera d’ailleurs l’histoire du futur ouvrage (dessiné) en ligne : celle d’une petite fille qui entre en «résistance positive», face à la création d’un barrage.

Jeff Bezos tombe à l’eau

Justement, on en retrouve un autre plus loin, surplombé par une sorte d’horloge hydraulique dadaïste, composée de mobiles et d’échafaudages. L’œuvre d’un trio (dont la Luxembourgeoise Kim Gubbini) qui, dans une ludique ingénierie, se propose de quantifier la valeur de l’eau.

«Amazon is a River» prend ainsi comme point de départ, «hypothétique», une simple cotation : celle qu’un verre d’eau équivaut à un euro. Au fil d’un ruissellement mécanisé façon Shadoks, les calculs se poursuivent de la douche à l’arrosoir, des toilettes au lavabo, pour finir dans un bain… à 600 euros!

Par projection, indique-t-on, toute l’eau retenue par le grand barrage équivaut alors à la fortune de Jeff Bezos (d’où le titre), ce qu’un salarié lambda n’accumulerait qu’après 4,2 millions d’années de travail. Politique? Évidemment : «Il fallait faire quelque chose qui ait un rapport avec le Luxembourg, soutient la seule artiste du Grand-Duché. Et il y a «beaucoup d’entreprises qui viennent ici pour profiter des allégements fiscaux». Voilà qui est dit.

Enfin, dans une veine d’apparence récréative, l’équipe belge de la Bonneterie donne la possibilité d’esquiver le lavomatic du camping «Im Aal» pour un retour à l’ancienne avec un lavoir «utopique» fait de bois, d’astuces et d’efforts. Une pompe plongée dans la Sûre alimente trois bacs, qui se vident ensuite dans une petite piscine où les eaux usées se traitent par les plantes. Bien vu. Il y a même les fils pour pendre le linge!

Mais «Utopian Laundromat» a aussi des messages à faire passer, comme celui de s’approprier l’espace public et d’y créer des lieux de rassemblement. «On a perdu la notion de sociabilité», lâche l’un des membres du collectif, occupé à découper et à visser sans retenue.

Une ardeur à la tâche qui vaut bien que l’on s’attarde par WaterWalls et sa déambulation, saine et intelligente. La doublette «bronzage-baignade» sera alors méritée.

«WaterWalls»
Jusqu’au 8 septembre.
www.waterwalls.seibuehn.lu