Le nouveau WaterWalls Festival convie, dès ce week-end, à une déambulation artistique le long de la vallée de la Sûre, à la découverte d’installations imaginées et développées dans le respect de l’environnement naturel.
Depuis presque une décennie maintenant, le cadre exceptionnel du lac de la Haute-Sûre cherche à se défaire de l’image simpliste qu’on lui prête. «Bronzage et baignade !», synthétise dans un rire Ruth Lorang, du collectif luxembourgeois MAD TRIX. D’abord, sous l’impulsion de l’éphémère festival Séibühn (2013-2015), le parfum des vacances «maison» se mêlait à celui de la musique en live, à fleur de l’eau. Prévu initialement en 2020, son successeur, le WaterWalls, pousse l’idée plus loin, se définissant lui-même comme le premier en «culture circulaire». Une définition fantaisiste que l’organisatrice Séverine Zimmer reconnaît et résume : «Sortir du consumérisme pour réaffirmer notre rapport à la terre.»
Pour appuyer la philosophie, trois «R» en majuscule pour «réduire, réutiliser et recycler», charte qui encadre, jusque dans les moindres détails, tous les rouages propres à une telle manifestation, de la logistique à la communication, de la consommation d’énergie aux matériaux envisagés. C’est qu’au Luxembourg, on ne badine pas avec la protection de la nature et de l’eau. Le WaterWalls le sait bien, lui qui a dû mettre au placard son projet phare (l’installation d’une boule disco à proximité du grand barrage, reflétant la lumière du soleil), refusé par l’administration. Il se rattrape tout de même par l’entremise d’une dizaine d’artistes nationaux, invités à se fondre dans le paysage avec des œuvres «qui font sens», donc.
Parmi eux, Justine Blau se plaît à l’ambiance du lieu, évoquant un «lâcher-prise». Même effet chez Marco Godinho : «J’y ai redécouvert une nature incroyable», et aussi des «matins brumeux que l’on ne voit pas dans les villes». «L’ambiance permet de se connecter à des choses plus profondes», lâche-t-il, quasi mystique. Des matins dans le brouillard, Serge Ecker en a connu quelques-uns aussi, lui qui est sur place depuis le début de la semaine. «Une résidence un peu bizarre, au cœur d‘un vallée sans réseau», raconte-t-il, qu’il aurait toutefois aimé arpenter si la «météo n’en avait pas décidé autrement». Car oui, en termes d’«expérience», ces explorateurs artistiques ont été servis.
Météo chaotique et Woodstock
Séverine Zimmer y va d’ailleurs de sa définition pour parler des chutes d’eau torrentielles qui se sont abattues sur le site ces derniers jours. «Un cauchemar éveillé», dit-elle, sortie justement de ses rêves jeudi par un coup de fil, très tôt, de la centrale électrique. «On m’a dit qu’ils allaient ouvrir le barrage et que ça allait frapper très fort! Dire qu’avant d’aller me coucher, j’avais fait un petit post qui disait que tout allait bien, que l’on attendait plus que le public samedi. On n’avait pas calculé ça.» La scène en contre-bas, censée accueillir ce week-end un petit festival électronique, est ainsi complètement inondée. «Aucun engin, même les plus gros, n’arrive à s’y rendre !» D’où son report au 24 juillet, comme l’annonce le WaterWalls sur son site, pas très branché à jouer à la réplique de «Woodstock» par les temps qui courent.
Des murs d’eau, au propre comme au figuré donc, avec lesquels les artistes ont dû composer. «On a les pieds dans la flotte mais on se débrouille !», balance Justine Blau, plus sereine que Marco Godinho. «Mercredi, c’était le chaos, la folie!» «J’espère que les œuvres ne sont pas endommagées», s’inquiète-t-il le lendemain avant de se rendre sur place. Là-haut, on retrouve Ruth Lorang, traînant sa fatigue dans la boue : «C’est tendu ! Déjà, c’est difficile de travailler dans ces conditions, couper du bois, du métal… Ensuite, il y a différents endroits dont on n’a plus du tout accès.»
De son côté, Serge Ecker avoue avoir pu construire son installation «au sec», mais il n’a pas pu la mettre à l’eau jeudi, comme prévu. «Il y a du courant à mort !» Son projet mené avec Giacomo Piovan, «Floating Pixel» – un radeau composite surmonté d’un «drap de camouflage» qui, vu d’en haut, prend la forme d’un pixel d’erreur sur Google Maps – attendra des moments plus calmes. D’ici là, l’artiste sympathise avec les gens de la commune, un brin moqueurs : «Ils font des blagues, parlent de mon arche de Noé, et me demandent si les éléphants sont cachés dans le dépôt !» (il rit). Car WaterWalls, avec ses circuits courts, favorise également le rapprochement avec les acteurs locaux.
Quand MAD TRIX recycle ses propres œuvres
Serge Ecker s’est ainsi appuyé sur le sens du civisme des scouts, «ultramotivés». Justine Blau (et le metteur en scène Stéphane Ghislain Roussel) se sont associés avec le Naturpark, tandis que Marco Godinho (et son frère Fabio) se sont adjoints les services du Centre d’initiative et de gestion régionale (CIGR) de Wiltz. Ruth Lorang parle, elle aussi, de «liens forts» tissés avec les gens du coin, jamais regardant pour donner un coup de main. Quant à l’objectif d’«aller au minimum nécessaire sans nuire à la qualité artistique», rappelle Séverine Zimmer, tout en travaillant «avec la nature», tout le monde s’est pris au jeu. Malgré les contraintes.
C’est le cas du collectif MAD TRIX (l’une de leurs œuvres est d’ailleurs visible à la Triennale jeune création) qui ici, avec «Nénuphars», lauréat du 1er prix stART-up de l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte, change d’approche. «C’est la première fois que ça n’est pas du digital !», clame Ruth Lorang, pratique avec laquelle on ne peut pas être, selon elle, «100% clean» écologiquement parlant. «Déjà, on a besoin d’électricité, et quand on veut éviter des produits fabriqués en Chine, tout de suite, ça coûte très cher.»
Une solution alors ? «Nous, on autorecycle nos propres œuvres. On réutilise les capteurs, le bois… C’est en soi une sorte de petite économie circulaire!» (elle rit). Avouant qu’il n’est pas toujours «évident de trouver des solutions et ne pas juste acheter ce dont on a besoin», elle et son équipe, pour les besoins de leur installation «cinétique, interactive et sonore», se sont servis dans tout ce qu’ils ont «pu trouver dans les alentours». Un sens de la récupération tout aussi aiguisé chez Serge Ecker qui a mis la main sur des «déchets» et des «objets trouvés», comme il l’a déjà fait pour un autre objet flottant, construit celui-ci en 2019 à Plovdiv (Bulgarie), alors capitale européenne de la culture. Son compère, Giacomo Piovan, animera même un atelier «coloriage» avec «des pigments fabriqués à partir de la terre et des plantes du camping» municipal.
Marco Godinho, «complice» du vivant
Marco Godinho, lui, est familier de la démarche depuis bien longtemps. «Travailler sur la récupération, la transformation des matériaux usés… ça a toujours été important dans mes œuvres, précise-t-il. J’ai travaillé avec de la poussière, des livres récupérés, des éléments naturels…» Au point que chez lui, il conserve les enveloppes des lettres qu’il reçoit comme une «cartographie du quotidien», et même ses vielles tuiles qui, concassées en poudre, lui seront utiles pour de prochains projets. Et puisque que «chaque objet n’est pas inerte, mais a sa propre vie», lui défend et invoque une «complicité avec les éléments, avec le vivant», comme il l’a d’ailleurs démontré à la biennale de Venise en 2019.
Pour tous, finalement, le WaterWalls arrive dans un bon timing (sauf météorologique). Déjà parce que, selon Ruth Lorang, il «motive à continuer dans cette voie écologique. Ça nous renforce dans nos idées, notre philosophie !». Ensuite, le festival, pour Serge Ecker, permet aussi de «repenser un travail, changer de méthode». Enfin, il interroge sur la «notion de territoire, de proximité», tout en permettant à l’artiste de «sortir des sentiers balisés» que sont les «musée, les galeries, le marché de l’art, l’agent…», selon Marco Godinho. Son œuvre, sorte de girouette-porte-voix («Offrir quelques mots à la rive»), pointe vers le nord et ne devrait pas égarer toutes ces bonnes intentions. Il espère, dans un élan poétique, que le vent «vienne y souffler ses murmures». S’il pouvait aussi chasser les nuages et ramener le soleil dès ce samedi, «on pourra rigoler un bon coup !», conclut avec justesse Séverine Zimmer.
Grégory Cimatti
Artistes et œuvres
YO Studio et Lagerkultur – «STAU»
Justine Blau et Stéphane Ghislain Roussel – «Ressac|re»
MAD TRIX – «Nénuphars»
Serge Ecker et Giacomo Piovan – «Floating Pixel»
Marco et Fabio Godinho – «Offrir quelques mots à la rive»
Performances et Covid
Durant tout l’été, ces créations serviront de cadre à différentes performances artistiques (lectures, musique, débats, ateliers…). Si sur place, ces rendez-vous ponctuels seront encadrés par un protocole Covid Check, la balade à travers les œuvres, elle, n’est soumise à aucune règle.
Jusqu’au 25 septembre / Esch-sur-Sûre. waterwalls.lu