Partout où il passe, le Tanztheater Wuppertal, compagnie mythique de Pina Bausch, fait salle comble. Fidèle collaborateur de la chorégraphe décédée en 2009, le scénographe Peter Pabst explique les clés de ce succès, à l’occasion de la venue de la troupe au Grand Théâtre pour y présenter Vollmond.
Après Masurca Fogo la saison dernière, le Tanztheater Wuppertal revient au Grand Théâtre avec Vollmond, œuvre majeure de sa créatrice, datant de 2006. Servie, une nouvelle fois, par l’éblouissante scénographie de Peter Pabst. Rencontre avec un esthète.
Un plateau noir avec un imposant rocher aux allures lunaires, douze danseurs magiques et de l’eau qui gronde… Voilà ce que le public du Luxembourg pourra découvrir, ces quatre prochains jours, avec Vollmond , dans un Grand Théâtre plein comme un œuf. Malgré la subite disparition, en 2009, de la géniale chorégraphe, le charme est intact. C’est qu’avec sa troupe, Pina Bausch, depuis la moitié des années 70, a brisé les conventions avec son audacieuse association de la danse, du théâtre et de la performance artistique.
Dans l’ombre, un autre magicien sévit : Peter Pabst, scénographe et collaborateur depuis 1980 avec le Tanztheater Wuppertal, pour qui il signera 25 décors (sur la quarantaine de pièces au répertoire), tous plus audacieux les uns que les autres. Âgé de 72 ans, l’homme, aux multiples récompenses, raconte cette expérience de l’intérieur.
Le Quotidien : Le Tanztheater Wuppertal a plus de 40 ans. Comment se porte-t-il?
Peter Pabst : (Il rigole) Je pensais qu’on allait parler du décor, le domaine où je suis quand même plus compétent! Plus sérieusement, oui, il va bien. La saison 2017/2018 est d’ores et déjà prête, et partout dans le monde, le public l’attend. Il y a surtout, en mai prochain, la venue au Tanztheater Wuppertal d’une nouvelle directrice artistique, Adolphe Binder. Ce qui augure de bonnes et nouvelles surprises!
Comment expliquez-vous que le Tanztheater Wuppertal, sept ans après la mort de Pina Bausch, attire toujours autant les spectateurs?
Pour plusieurs raisons. D’abord, les pièces de Pina Bausch restent parmi les plus belles du monde. Ensuite, elles parlent des êtres humains, de leurs rapports… Elles ne sont pas liées à une période, ou à un thème aujourd’hui révolus. D’où leurs attraits permanents. Enfin, Pina Bausch a réuni sous sa coupe des danseurs extraordinaires, venus du monde entier, sans jamais revendiquer un côté exclusif. Elle n’a jamais dit au public : « Regardez ce qu’on est capable de faire! »
Au contraire, sa démarche est bienveillante. Dans ce sens, le public trouve de l’espace pour lui-même. D’ailleurs, régulièrement, après une pièce, on peut voir des gens quittant la salle en faisant des mouvements qu’ils ont vus (il rit) . Oui, c’est drôle mais assez révélateur de cet aspect captivant. Le message vis-à-vis des spectateurs est clair : « Trouvez votre vérité, votre réalité, votre part de bonheur. »
Porter l’héritage de Pina Bausch, est-ce compliqué?
Non, selon moi, car ce n’est pas un devoir, mais bien un plaisir. En 2009, on aurait pu très bien dire : « O. K., on s’arrête. » Mais ça n’a pas été le cas.
Jouer et mettre en place régulièrement le même répertoire, même riche d’une quarantaine de pièces, est-ce usant?
Pour les danseurs et autres, je ne sais pas. Pour moi, c’est plus évident : je ne vis pas avec la compagnie, je n’en suis même pas membre, et mon travail pour Pina Bausch correspond seulement à 20 % de mes occupations professionnelles. J’ai toujours été un scénographe libre, aussi bien pour le cinéma que pour le théâtre et l’opéra. Oui, la création m’a toujours animé, même si j’arrive à un âge certain où je préfère souffler un peu.
Qu’est-ce qui vous lie, alors, au Tanztheater Wuppertal?
Un accord tacite et commun qui dit que, tant que la compagnie continue à danser les pièces, je dois veiller à ce que le décor soit comme neuf – ou en tout cas ressemblant (il rit) . Après, tout est une question de flexibilité : ainsi, de temps en temps, si la scénographie impose une contrainte, je me déplace pour les adaptations. Car, c’est évident, je ne connais pas tous les théâtres où les pièces vont aller! Il faut faire avec l’espace qu’on nous laisse. Chaque représentation est une recréation – ce qui est autre chose que faire une nouvelle production.
Justement, vu votre passé, est-ce que ça vous manque de créer pour le Tanztheater Wuppertal?
Non, car j’ai une autre vie à côté de cette compagnie, et même là, je tempère. On essaye toujours de me faire bosser comme un fou, mais je suis vigilant! J’ai d’ailleurs récemment refusé plusieurs projets (NDLR : Le Chevalier à la rose de Strauss à Londres et New York, Les Pêcheurs de perles de Bizet à Berlin, la pièce d’ouverture du festival de Salzbourg…). J’ai dit non à tout le monde. Mon problème n’est pas de manquer de projets, mais plutôt de les éviter!
Et si, demain, le Tanztheater Wuppertal crée une nouvelle pièce, allez-vous vous y coller?
Cette compagnie a été, durant 30 ans, ma famille théâtrale. J’ai avec elle un lien chaleureux. Seulement, j’avais une partenaire : Pina Bausch. Vous savez, entre un metteur en scène et un décorateur, il existe un lien intime, très fort. Il est évident que depuis sa disparition, la donne est simple : je ne dessinerai plus aucun autre décor pour le Tanztheater! C’était clair depuis le début de ma collaboration.
Que pourriez-vous dire de Vollmond ? Est-ce une pièce importante pour vous?
Je ne peux vous donner aucune explication car, avec Pina Bausch, la politique a toujours été de ne jamais révéler l’idée derrière la pièce. Ça équivaudrait, symboliquement, à fermer une porte. Elle avait toujours peur de donner des renseignements sur son travail, peut-être parce qu’elle n’en savait rien elle-même (il rit) . Car si elle avait donné le moindre indice, les gens auraient été influencés. Alors que le charme, justement, tient dans ces multiples interprétations que l’on a connues de par le monde, à travers des gens et cultures différents. Comme un arc-en-ciel d’avis et d’humeurs, qu’un seul cerveau n’aurait jamais pu imaginer, ni même prévoir.
Vos interprétations sont-elles, également, changeantes?
Je reste comme le public : surpris! Avec les pièces de Pina Bausch, il se passe tellement de choses sur le plateau que l’on ne peut pas tout voir. Le spectateur est un peu dans la situation d’un monteur au cinéma : à lui de faire ses propres collages. Moi, ça m’est arrivé en répétition, lorsque je voyais une danseuse faire un mouvement, de demander à Pina : « Mais depuis quand elle fait ça? » Elle prenait alors son regard sévère et me disait : « Depuis le début, mon cher! »
Est-ce la scénographie la plus compliquée?
Elles sont toutes, techniquement, très complexes. J’ai d’ailleurs une philosophie, que je répète à mes assistants : si personne ne vous dit : « Mais c’est impossible à réaliser », c’est que vous n’avez pas visé assez loin. Après, il faut être capable de le faire soi-même, car personne ne viendra vous aider! Vollmond est une de mes réalisations dites « zen ». De premier abord, elle semble dénudée, facile, modeste, comme si rien ne se passait sur le plateau, mais en réalité, c’est un vrai casse-tête avec une fin explosive! On utilise huit tonnes d’eau sur scène. Ce n’est pas rien quand même…
Grégory Cimatti
Grand Théâtre – Luxembourg. Mercredi 7, jeudi 8, vendredi 9 et samedi 10 décembre à 20 h. COMPLET.