Il a été géomètre, journaliste, professeur de littérature. À 59 ans, Victor Remizov signe son premier et puissant roman : Volia Volnaïa. Un texte dans la plus pure tradition des grands auteurs russes.
Voici un roman russe fulgurant, une plongée dans l’immensité sibérienne, qui conte l’éternel affrontement entre désir de liberté et asservissement au pouvoir. Porté par une seule devise, Volia volnaïa («Liberté libre») parlede quête identitaire, avec, en toilede fond, le tableau contrasté de la Russie d’aujourd’hui, tiraillée entre tradition et modernité.
Le voyage s’annonce long. Direction, la Sibérie extrême. Là-bas, tout là-bas au nord du Japon, au bord de la mer d’Okhotsk. Là-bas, c’est l’est le plus reculé de l’espace russe, et le décor de Volia Volnaïa , premier roman de Victor Remizov, né en 1958 à Saratov (à 860 kilomètres au sud-est de Moscou, sur la rive droite de la Volga). Un de ces livres qui prouvent que les romanciers russes du moment ne craignent pas le poids de leurs grands ancêtres.
Ainsi, selon la Svobodnaya Pressa , Victor Remizov est «un auteur dans la plus pure tradition – intelligent, plein d’empathie, patient comme un pêcheur dans la taïga. Son roman est tout autant sociétal qu’analytique. Il ne nous donne pas à voir une révolution russe tonitruante, mais s’attache à en montrer la clameur et l’inévitable répression qui s’ensuit. Et cela est bien plus efficace».
Avant de se lancer dans le monde de l’écriture, Remizov a étudié la géologie puis les langues à l’université d’État de Moscou. Ensuite, il a été géomètre expert dans la taïga, journaliste ou encore professeur de littérature russe. Sa biographie précise également qu’il écrit des articles pour la revue Novy Mir et, qu’avant Volia Volnaïa , il a publié un recueil de nouvelles en 2008. Enfin, son éditeur annonce que ce premier roman est en cours de traduction dans de nombreux pays à travers le monde.
Avant le départ pour le grand voyage, une confidence de Victor Remizov : « J’ai expérimenté tout ce que je décris dans le livre. J’ai chassé et pêché dans la taïga, j’ai fait du radeau seul sur les rivières, chassé des ours et des élans, bu de la vodka avec les locaux alors que nous parlions de la manière dont les choses fonctionnaient chez eux, leurs rapports à l’autorité. » Et puis direction le grand Est, cette Sibérie de tous les mystères, de toutes les souffrances, de toutes les horreurs. «La taïga était silencieuse. De petites paillettes voltigeaient dans l’air, tombant du ciel, de l’obscurité cosmique où tout allait certainement bien mieux que sur terre, puis se déposaient sur les rondins gris de l’isba», lit-on.
Roman des grands espaces
Et aussi : «Il contemplait avec amertume les immenses espaces montagneux, la taïga, pensait à sa belle datcha près de Moscou, à son grand appartement qui occupait un étage entier dans un immeuble du boulevard Gogol… Il comprenait bien qu’il n’existait rien de commun entre ceux qui regardaient le ciel depuis leurs bureaux moscovites, passaient leurs soirées au restaurant ou au théâtre, distribuaient les licences de pêche et de chasse, les autorisations à extraire l’or… et un Onc’ Sacha qui sillonnait la taïga sur son vieux tas de ferraille. Rien ne les unissait : ni Dieu, ni un tsar, ni même un guide bien-aimé.»
Volia Volnaïa (ce qui, en français, signifie «Liberté libre»), c’est le roman des grands espaces, de la solitude, de la nature, de l’immensité, de la démesure… C’est aussi le roman en son format XXL avec, en ouverture, la liste des personnages – c’est obligé puisque pas moins de 41 personnages vont habiter les 400 pages du roman.
Des personnages qui se nomment Milioutine, Goussev, Robiakov, Oncle Sacha, Lepiokhine et que l’on retrouve sur la presqu’île de Rybatchi, où la plupart des hommes sont chasseurs d’ours, d’élans ou de zibelines, pêcheurs et récolteurs des précieux œufs de poisson, où ça traficote gentiment avec la police locale qui taxe 20 % des revenus de la chasse et de la pêche.
Cette presqu’île, ce sont, d’isba en isba, des terrains de jeu d’environ 80 000 hectares chacun et, en ces années 2000, l’est extrême de la Russie, c’est comme le Far West américain. Ce sont aussi, dans cet espace quasi vierge, des personnages «d’une taille au-dessus de la moyenne», «avec de grandes mains», «forts comme cinq hommes»… et puis, un jour, un incident et un coup de feu.
Conséquence : un putsch dans la police locale, Tikhi (humain, forcément humain) est remplacé par Gnidiouk (infâme, forcément infâme), lequel a des appuis à Moscou, capitale qu’à Rybatchi on situe «sur le continent». Un corps d’élite national interviendra, s’ensuivra une chasse à l’homme.
Un des personnages commente : «Ce n’étaient pas ces salauds de miliciens qui avaient inventé le monde, ils n’avaient pas le pouvoir sur ces rivières et ces montagnes»; un autre dit : «C’est quoi, ce pays où les flics ont toujours raison?» Dans ce foisonnement, en maître d’écriture et en avisé metteur en scène, Victor Remizov donne la part belle à la taïga. Mieux : de cette terre d’immensité, il en fait un personnage à la présence obsédante avec ses mélèzes et ses sapins nains, ses coqs de bruyère et ses autres loups.
Dans cette taïga, la solitude devient «une drogue accrocheuse», et dans les pages de Volia Volnaïa , on en oublie les intrigues. Soudain, on réalise que Victor Remizov sait, mieux que quiconque, avec cette écriture emplie de souffle et de grandeur, décrire les moments qui ne servent à rien. Volia Volnaïa , c’est le roman du dépaysement, du froid, de l’imaginaire russe. C’est aussi, et surtout, une question, essentielle : se mettre du côté, volontairement ou non, du pouvoir ou choisir la liberté «libre»?
Serge Bressan
Volia Volnaïa , de Victor Remizov. Belfond.