Quelques heures avant de transformer la Kulturfabrik en lieu de rave, Vitalic, jamais fatigué, réfléchit sur ses vingt ans de carrière, qu’il vient de fêter.
C’est une tradition qui n’est pas près de mourir : après un concert, Vitalic poursuit la fête avec son équipe à bord de son tour bus, embarquant au passage les irréductibles qui ont encore de l’énergie à libérer. Lors de son concert à la Kulturfabrik, samedi soir, devant une salle remplie et chauffée à bloc, il a assis encore un peu plus sa réputation de patron d’une electro française tournée vers la rave et résolument salvatrice. Au Luxembourg, il est un habitué de la Rockhal, dont il dit ne garder «que de bons souvenirs». Ses premiers pas à la KuFa, il les a faits en conférant à son set une vigueur quasi berlinoise.
Pascal Arbez-Nicolas a fêté ses 47 ans le mois dernier et a soufflé les vingt bougies de son célèbre alter ego Vitalic en pleine pandémie, un anniversaire «un peu triste, car plein de faux départs», mais qui a vite été corrigé. Pour un artiste dont la musique est traversée par une forme de chaos, cet anniversaire se posait en triste apothéose. Mais, dans la foulée, Vitalic a traduit la colère du monde par un retour aux sources d’une techno dure, dans l’album en deux parties Dissidænce (2021-2022), et a composé la musique du film Disco Boy – sa deuxième B. O. en dix ans. Entretien avec un artiste convaincu que la solution aux problèmes du monde se trouve au creux du dance floor : la danse comme plus beau geste politique.
Vous avez récemment fêté vos vingt ans de carrière. Quel regard portez-vous sur votre longévité, faite de virages stylistiques et d’allers-retours entre vos projets et pseudos ?
Vitalic : Je suis content de tout ce que j’ai fait. Chaque album, chaque virage que j’ai pu prendre, j’en ai toujours été convaincu. Autrement dit : je ne me suis jamais compromis. Qu’on parle de succès ou de choses qui ont eu moins de résonance, tous mes projets ont été portés avec une démarche sincère. C’est la différence entre un producteur et un musicien : un producteur peut produire n’importe quoi, sans y mettre vraiment son âme. Moi, je suis avant tout musicien : si je mens, ça s’entend.
Le film Disco Boy, actuellement en salle, marque votre deuxième incursion dans la musique de film. Comment le musicien réagit-il à la lecture d’un scénario ?
Le scénario, c’est le moment où je décide ou pas de m’investir dans le projet. On a déjà beaucoup d’indications sur ce que va être le film. Disco Boy, c’était quelque chose de très dense, de très politique, en plus d’être porté par une démarche artistique qui me plaisait. La danse, comme la musique, peut être politique, déjà parce que c’est culturel…
Votre façon de travailler la musique à l’image a-t-elle gardé une empreinte sur vos projets suivants ?
Ce sont des approches très différentes. La musique de film implique qu’on soit au service d’un réalisateur ; j’ai beaucoup de liberté dans mes propositions, mais je n’ai pas le dernier mot, contrairement à mes albums, pour lesquels je suis seul à décider. L’autre différence, c’est qu’il s’agit d’un travail de longue haleine, soit deux ans et demi d’un travail intense… voire relou! Mais tout cela dans le but de servir au mieux un artiste et son œuvre, et c’est réussi.
En tant qu’artiste electro, avec une musique qui transcende les langues et les frontières, comment vous positionnez-vous à l’intérieur d’une programmation qui met en avant la francophonie ?
Je compte malgré tout pas mal de chansons dans ma carrière. Mais je me sers des langues comme je me sers de la musique. En composant, je peux entendre de l’allemand, comme c’était le cas avec Kompromat, de l’espagnol, de l’italien, de l’anglais, du français, du russe… La musique, c’est un autre langage qui peut embrasser toutes les langues. Forcément, c’est un élément avec lequel je m’amuse beaucoup.
Ce retour à la rave et son énergie brute est manifeste sur Dissidænce, votre dernier album. Qu’est-ce qui vous a motivé à revenir dans cette veine ?
Ce ne sont pas des choses qu’on peut prévoir… Encore une fois, je ne peux pas mentir. La musique s’installe d’elle-même dans mon studio, naturellement. Je vais dans le sens où la musique m’amène. Ça ne sert à rien d’aller contre elle, puisqu’elle émane de moi. Si je dois l’analyser autrement, il est clair que le côté complètement vénère de ce double album est dû à mon ressenti d’un monde en colère. On est dans une époque de pleine tension et d’hyperviolence, qui se manifeste de façon très bizarre, avec des discours très lisses, très polis, qui dissimulent une vraie haine. Et d’un autre côté, il y a (le chanteur de country) Kid Rock qui tire à la mitraillette sur des canettes de bière en réaction au partenariat entre Budweiser Light et une influenceuse transgenre… Le monde est hyperviolent, et on y vit tous ensemble.
La solution se trouve-t-elle sur la piste de danse ?
La solution, c’est de venir vivre avec moi et mon équipe (il rit). On n’est pas du tout violents, nous. On fait du bien à notre âme : on fait la teuf tous les soirs et on parcourt le monde dans le tour bus de l’amour !