Elles estiment être les grandes oubliées du débat sur les violences faites aux femmes : les prostituées veulent faire entendre leurs voix au sein des mouvements féministes comme #MeToo, malgré des divergences sur les solutions à adopter pour réduire les agressions.
« Les TDS (travailleuses du sexe) doivent beaucoup se bagarrer pour se faire entendre », résume Nina (prénom d’emprunt), 39 ans, devenue escort « sur le tard » pour des « raisons financières ». « Les prostituées ne sont pas considérées comme égales aux autres dans notre société, mais plutôt comme des déchets », juge de son côté Mickey Meji, 38 ans, « survivante » de la prostitution en Afrique du sud et ambassadrice d’Embrace Dignity, association qui milite pour l’abolition de la prostitution.
Invitées la semaine dernière à Paris par l’association française abolitionniste du Mouvement du Nid, une dizaine d’ex-prostituées venues de différents pays ont dénoncé les violences liées à la prostitution. Lors de la marche contre les violences faites aux femmes samedi dernier à Paris sous le hashtag #Noustoutes, quelque 80 associations se sont associées pour dire #Nousaussi, appelant « celles qui sont au premier rang de ces violences » à rejoindre le mouvement.
« Quand vous êtes prostituée, vous n’êtes plus une femme pour laquelle on veut se battre », raconte Anne Darbes, 52 ans, qui a connu le milieu de la prostitution d’abord en tant qu’homme puis comme femme. Elle a arrêté la prostitution il y a environ un an. Le « déclic », une « agression très violente par un client ». Mais elle ne porte pas plainte : « Je faisais le trottoir et j’ai fait une transition (de genre), je me suis dit : on va me rire au nez », raconte-t-elle.
Cruel manque de soutien
Selon Florence Lévy, postdoctorante au Centre de recherches internationales de Sciences Po à Paris, la société oppose l’image de « l’honnête femme abusée » à celle des femmes venant de la prostitution. « Des abuseurs se sont spécialisés dans l’attaque » de prostituées, particulièrement de celles qui sont sans papiers, selon la chercheuse. « Il y a une imbrication des vulnérabilités ».
« C’est tellement facile dans une société sexiste patriarcale de profiter de toutes les mises en précarité pour exclure ces femmes et leurs témoignages, y compris dans des mouvements politiques qui doivent permettre de conquérir plus d’égalité », dénonce de son côté Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole du mouvement féministe pour l’abolition de la prostitution, Osez le féminisme. Thierry Schaffauser, porte-parole du Syndicat du travail sexuel (Strass) dénonce de son côté le manque de prise en compte, notamment des autorités, de « la diversité des mouvements féministes tels qu’ils le sont aujourd’hui. C’est préjudiciable pour les femmes minoritaires ». « Aujourd’hui, la seule réponse politique pour lutter contre les violences faites aux travailleurs du sexe, c’est de sortir de la prostitution », explique-t-il. « Ça ne règle pas le problème ».
De nombreuses prostituées jugent que la loi d’avril 2016 qui pénalise le client est en grande partie responsable de la violence qu’elles subissent. D’autres voix estiment que la prostitution est par nature une violence exercée sur les femmes. « Je suis évidemment pour des mouvements comme #Metoo », affirme de son côté Nina. Mais « quand des féministes partent du principe que la prostitution est du viol en soi (…) je ne vois pas trop comment on peut être prise au sérieux quand on est effectivement agressée », s’offusque-t-elle.
LQ/AFP