À l’occasion du 150e anniversaire du séjour à Vianden de Victor Hugo, les Éditions Phi rééditent un essai précieux signé René Engelmann, accompagné d’une importante introduction d’Yves De Smet, spécialiste du sujet.
Objet de bien des légendes, la vie de Victor Hugo est sans aucun doute celle d’un grand romancier et poète, à égale mesure avec celle d’une grande figure contestataire. Au Luxembourg, on le voit plus volontiers comme une figure romantique. En particulier à Vianden, où l’écrivain a séjourné pendant trois mois, entre juin et août 1871, qui poursuit et conclut une belle histoire entre Hugo et le Grand-Duché. «Il était tout à fait amoureux de Vianden», conscient qu’il s’agissait toutefois d’un «amour de passage», précise Yves De Smet, spécialiste en la matière, puisqu’«après 1871, il (n’y) remettra plus jamais les pieds, ni même au Luxembourg». Néanmoins, si pour Victor Hugo, «ce séjour est une parenthèse de trois mois, les Viandenois savent que la ville ne serait pas ce qu’elle est sans lui».
À l’occasion du 150e anniversaire de ce dernier séjour, les Éditions Phi rééditent, en fac-similé, un essai du jeune écrivain viandenois René Engelmann, Victor Hugo à Vianden (1907), augmenté et précédé de prolégomènes signés Yves De Smet, déjà auteur de Victor Hugo à Vianden ou l’impossible manuscrit (Éditions Phi, 2018). Entre le neuropsychiatre et le poète, il existe une histoire qui remonte à près de quarante ans : «En 1983, j’ai organisé un congrès international avec tous les neurologues et psychiatres du Luxembourg, avec, comme orateurs, des professeurs de Belgique et de France», dit celui qui exerçait alors à Ettelbruck. «En soirée, j’ai organisé une conférence sur Victor Hugo par Frank Wilhelm, qui était vice-président des Amis de la Maison de Victor Hugo à l’époque. Nous avons sympathisé, puis je me suis lancé dans ce travail.» De longue haleine, puisqu’il a accumulé pendant des années des données et savoirs concernant le Luxembourg, «Vianden en particulier», et l’auteur des Misérables. Mais il ne tire aucun fil entre ses deux domaines de prédilection : «Hugo était un cas psychiatrique comme un autre!», résume-t-il en riant.
«Asile politique»
La réédition, cet été, de Victor Hugo à Vianden, était l’occasion pour lui de «prolonger le travail» commencé il y a plusieurs décennies, mais aussi celui de René Engelmann. Un travail qui consiste à briser la légende, ou, comme l’explique Yves De Smet, «ramener les choses à leur exacte mesure». Dans ses études sur le fameux séjour viandenois, il insiste qu’il n’a «rien inventé : tout est confirmé par ce que Hugo lui-même a écrit, ou est plus que probable». Et s’il n’est resté que trois mois à Vianden, après vingt ans d’exil – auparavant, Hugo avait visité la ville à trois reprises en tant que simple touriste – et l’insurrection de la Commune de Paris, les croyances, les erreurs et les omissions concernant ce séjour ne manquent pas. Ainsi, le défi d’Yves De Smet est aussi celui d’offrir une connaissance complète de cette période de la vie de l’écrivain. On sait qu’il y «écrit essentiellement (le recueil de poèmes) L’Année terrible», publié l’année suivante, et qu’il «est subjugué par la topographie, la nature, les paysages»… «Il dessine énormément, et ses plus beaux dessins ont été réalisés au Luxembourg.»
Pendant son séjour, les yeux d’Hugo sont à Vianden mais son esprit est à Paris
Le quotidien de Victor Hugo à Vianden a été consigné dans ses carnets intimes, qu’Yves De Smet a étudiés et déchiffrés. «Ils n’étaient pas rédigés ni détaillés, mais ils nous informent sur ce qu’il faisait, ce qu’il voyait, ce qu’il disait et qui il rencontrait, indique-t-il. C’était le quotidien de quelqu’un qui attendait de pouvoir rentrer en France, une fois que les événements de la Commune seraient calmés.» Tous les matins, Hugo «écrit sur Paris et la Commune»; ses après-midi, il les passe «à observer et à partir en balade». En résumé, «ses yeux sont à Vianden mais son esprit est à Paris», tranche Yves De Smet. La beauté médiévale et paysanne de la ville offre certes à Victor Hugo un havre de paix qui sied bien au poète, mais dans la pratique, il ne se détourne pas de ses pamphlets. À Vianden, il a ainsi profité d’«une sorte d’asile politique», que son ami Adolphe Pauly, le bourgmestre, a soutenu.
Dans un discours prononcé après son arrivée à Vianden, Hugo remercie chaleureusement l’«effusion de bienvenue populaire» qui lui a été réservée, et qu’il compare volontiers à «l’acclamation de Paris» reçue quelques mois plus tôt à son retour d’exil. Mais Yves De Smet tempère : «Victor Hugo était aussi un instrument politico-culturel. Il était très près du peuple, aimait papoter avec les gens du coin, même si, à part le bourgmestre et l’institutrice, peu de Viandenois pouvaient tenir une discussion avec lui. Et le curé, lui, ne parlait pas à Hugo!» Quelques années plus tôt, l’Église avait jugé que Les Misérables (1862) était «un roman anticatholique, et l’avait mis à l’index»; au Luxembourg aussi, on ignore – au mieux – la venue de l’écrivain «fataliste, qui s’opposait à la providence de l’Église». «Le Luxemburger Wort était un anti-hugolien de la première heure, en tout cas dès la parution des Misérables», note Yves De Smet, ajoutant au passage que cette aversion pour Hugo passait aussi à travers l’usage de la langue allemande, «qu’il ne parlait pas et qu’il n’a jamais essayé d’apprendre», mais qui, alors, était la langue dans laquelle on disait la messe. «L’Église était une partie de la société qui n’était pas très francophile», précise Yves De Smet.
Corriger les mythes
Si leur objectif est d’élargir les connaissances sur le sujet, les prolégomènes d’Yves De Smet n’enlèvent rien à l’importance précieuse du texte écrit il y a près de 120 ans par René Engelmann. Au contraire : ils la renforcent, l’enrichissent, tout en remettant en place quelques mythes, comme celui qui veut que Victor Hugo ait inséré des descriptions du château de Vianden dans son dernier roman, Quatrevingt-treize (1874). «C’est une légende que les Luxembourgeois ont créé au début du XXe siècle, développe-t-il. En réalité, il ne fait aucune référence à son séjour au Luxembourg dans ses œuvres de fiction, mis à part dans L’Homme qui rit (1869), où il parle d’un bas-relief qui se trouve à Diekirch, et une référence à « Steinfort, en Luxembourg » dans Ruy Blas (1838), mais là, c’est uniquement pour faire la rime…»
Tant que le château a vécu, la ville a été morte. Le jour où le donjon est mort, le peuple est né
Le Grand-Duché n’est pas resté dans la postérité dans les œuvres de Victor Hugo, mais son séjour ne se terminera pas exactement avec son départ de Vianden : par la suite, il réside à Diekirch, passe par Altwies et suit une cure thermale à Mondorf, avant de rentrer à Paris, en passant notamment par Thionville. L’année suivante, Hugo quitte à nouveau la France pour Guernesey, où il écrit Quatrevingt-treize : ce sera son dernier séjour. L’écrivain meurt à Paris le 22 mai 1885. En 1902, à Vianden, «on veut absolument fêter le centenaire de sa naissance, contre vents et marées», dit Yves De Smet. Alors l’État rachète la maison où il avait résidé, «alors que le secteur Horeca de l’époque voulait la transformer en taverne»; elle deviendra le musée que l’on connaît aujourd’hui. Puis, en 1937, «l’institutrice Anne Beffort fonde la société des Amis de la Maison de Victor Hugo». Le reste fait partie de l’histoire, symbolisée par le buste de Victor Hugo, sur le pont qui surplombe l’Our. Yves De Smet met l’accent sur le fait que la ville, aujourd’hui, ne ressemble plus à celle dans laquelle l’auteur a séjourné, mais on y ressent encore aujourd’hui ce qui a pu ensorceler le poète, un charme qui lui a fait écrire, dès le jour de son arrivée : «Quel éblouissement pour l’œil contemplateur!»
Victor Hugo à Vianden,
de René Engelmann (Éditions Phi).
Prolégomènes par Yves De Smet.
152 ans et non 153 Paul Kiefer , membre de la Shal
société de histoire d’Alsace – Lorraine.
Prochain livre de Paul kiefer: 4 mois de la vie de Victor Hugo de juin à septembre 187i de vianden à thionville .publication prévue à thionville le 23 septembre de cette année , 153 ans après son séjour ….