L’artiste luxembourgeoise Su-Mei Tse revient au Luxembourg et fait apprécier sa sensibilité poétique. Une quête sensible du beau, entre spiritualité et errance tranquille, à découvrir au Mudam.
Fruit d’années de recherche dans différents contextes géographiques, notamment en Italie et en Asie, «Nested» rassemble un large corpus d’œuvres récentes et de nouvelles productions à voir comme un carnet de notes : Su-Mei Tse y rassemble ses impressions et ses émotions à travers des thématiques aussi variées que la nature, le langage, le temps qui passe et la musicalité.
Depuis son succès à Venise et le Lion d’or décroché en 2003, Su-Mei Tse ne souffre d’aucune contestation au pays. Chacun s’autorise à dire que c’est une artiste totale, sensible et douée, ne serait-ce qu’à travers cette reconnaissance internationale. Hypocrite, simpliste même, quand on sait que parallèlement, au Grand-Duché, l’art contemporain et ses discours parfois alambiqués peinent encore à trouver des échos irrécusables – la récente affaire Lunghi rappelant que la vindicte populaire est toujours prête à ramener au sol toute velléité éthérée de hauteur.
Pourtant, avec l’artiste luxembourgeoise de 44 ans, qui revient là au pays qu’elle avait laissé il y a dix ans et sa dernière exposition au Casino, il est question, plus qu’avec d’autres d’ailleurs, d’oublier la gravité. Et pour «voyager» léger, rien de tel que de prendre ses distances vis-à-vis de cette société au rythme effréné, bruyante et abêtissante. Tel le poète, elle réclame alors une pause. Prendre des chemins de traverse pour s’oublier… et observer – «pour aller au fond des choses, il faut savoir prendre du temps», dit-elle.
C’est ainsi que Su-Mei Tse glisse sur le monde, se laisse porter par l’émotion, les sensations, la nostalgie. Son message? Porter attention à la beauté qui se dégage du quotidien, se manifeste au coin d’une rue, en écoutant un morceau de musique, devant un lieu, ou touché par un objet. «Il ne faut pas, par force, toujours vouloir, mais se laisser guider par l’intuition», lâche-t-elle. Son travail comme sa personnalité répondent en effet à une obsession : «Habiter poétiquement le monde.»
À la manière de l’encre noire qui s’écoule de la fontaine Many Spoken Words – qui, joliment mise en évidence au Mudam, fait beaucoup pour sa popularité –, l’artiste s’amuse du détail, force l’imaginaire chez le spectateur, cristallisant dans chacune de ses œuvres une impression, une image, un souvenir, comme si elle, également, voulait poursuivre indéfiniment cette expérience, l’inscrire au plus profond d’elle.
«Moment charnière»
Selon Christophe Gallois, commissaire de «Nested» – terme qui renvoie «à l’idée de quelque chose qui est niché» –, cette exposition, qui rassemble un large corpus d’œuvres récentes et de nouvelles productions, fruit de plusieurs années de recherche dans différents contextes géographiques, à commencer par l’Italie et l’Asie, constitue un «moment charnière» dans la carrière de l’artiste.
Sûrement parce qu’elle matérialise une longue réflexion qui emmène Su-Mei Tse, toujours bercée par ses origines cosmopolites, «entre l’Europe et l’Asie», vers d’autres préoccupations jusqu’alors sous-jacentes chez elle, comme la notion de nature (minérale et végétale), la méditation, le passé «sensible». Combinées au rapport, toujours profond, avec les sons – eu égard à sa formation de musicienne – et à certaines thématiques récurrentes (temps, mémoire, langage, existence), cela se croise, se superpose, se tisse, s’imbrique.
D’où l’idée du commissaire de parler, ici, de «carnet de notes», soit un ensemble d’«esquisses, de pensées et d’observations spontanées face au flux de la vie». L’exposition s’ouvre ainsi dans le Grand Hall du musée, avec une installation rappelant la tradition chinoise des «rochers de lettrés» au pouvoir mystique, symbole prouvant toute la force de l’artiste, à savoir «osciller entre le très grand et l’extrême simplicité», tout en donnant à ses créations un «important pouvoir d’évocation», comprendre une «pluralité de lecture».
«Un acte méditatif»
Plus loin, «fascinée» par sa rencontre avec un jongleur pratiquant le «contact juggling», Su-Mei Tse imagine trois vidéos sur lesquelles trois boules transparentes portent en elles trois lieux, jalons de la culture européenne : l’édifice de l’Altes Museum (Berlin), les intérieurs de la Villa Farnesina (Rome) et la Villa Adriana (Tivoli). Quand le poids de l’histoire, ici réenchantée, devient aussi léger qu’une bulle de savon. Même ordre d’idées avec Snow Country (2015), autre film dans lequel elle se met en scène au cœur des jardins de la Villa Médicis – où elle était pensionnaire en 2014/15 – dans un rituel d’effacement imaginé en réponse au poids artistique dont jouit l’institution. «Un acte méditatif», explique-t-elle encore.
Empruntant des formes variées (vidéos, donc, mais aussi sculptures, photographies et installations) – «je ne me sens pas tenue à une quelconque technique ou spécificité» –, elle poursuit ses déambulations tranquilles et ses observations sensibles.
Ici, une installation inspirée du jeu de go et de celui du «coup scellé», invoquant un temps en suspension, là, des boules de gui devenant partition (Mistelpartition) ou encore un ensemble de photographies traduisant les liens subjectifs, personnels, qui nous lient à l’histoire et aux œuvres du passé (Rome).
Quand Su-Mei Tse évoque la musique, c’est pour montrer l’attente, la poussière du vinyle, le volume du silence… Quand elle joue avec des billes pour enfants, c’est pour les imaginer dans un univers cosmique. Autant de «contre-pieds» qui font tout le sel de son travail : celui de trouver des failles dans l’ordinaire, s’y engouffrer et les sublimer.
Mudam – Luxembourg.
Jusqu’au 8 avril 2018.
L’exposition «Nested» se poursuivra, jusqu’en juillet 2019, dans trois musées d’envergure internationale.
Elle sera ainsi présentée au Aargauer Kunsthaus à Aarau (Suisse), puis au Yuz Museum à Shanghai (Chine) et au Taipei Fine Arts Museum (Taïwan).