Accueil | Culture | Une rentrée littéraire en quatorze incontournables

Une rentrée littéraire en quatorze incontournables


(Photo d'illustration : Pixabay)

C’est la rentrée littéraire, avec 459 nouveaux romans et récits, dont le délicieux roman de Gabriella Zalapi et le livre-événement de Camila Sosa Villada. Mieux : pour un plaisir total, en toute subjectivité, Le Quotidien a sélectionné douze autres ouvrages aussi indispensables qu’enthousiasmants. Bonne lecture !

« Thomas Helder »

Muriel Barbery

Éditeur Actes SudEn campagne aveyronnaise enveloppée par la neige, un homme meurt. Il s’appelle Thomas Helder, est néerlandais et écrivain. Ses ami(e)s se sont rassemblé(e)s pour l’accompagner pour cet ultime voyage, parmi lesquels Margaux, une architecte française qui avait disparu depuis de nombreuses années. Le défunt a laissé une lettre à son attention : les fantômes du passé ressurgissent, tandis que la femme discute avec les présents, dont Jorg, le frère de Thomas… Après L’Élégance du hérisson (2006), Muriel Barbery rappelle avec ce nouveau roman combien elle est maîtresse dans l’art de créer un huis clos dans une maison emplie d’amour et de mensonges, dans des paysages bouleversants de vierge beauté.

« Le rêve du jaguar »

Miguel Bonnefoy

Éditeur RivagesLe narrateur est catégorique : «On est tous fils d’un rêve de jaguar». Et plus que jamais dresseur de mots, Miguel Bonnefoy se glisse en librairies avec un roman impeccable, Le rêve du jaguar. L’an passé, il avait brillé avec L’Inventeur. Il est de retour avec l’histoire d’une famille formidable du Venezuela, qui signifie «la petite Venise». On y fait halte à Maracaibo, université qui apporte la science dans un monde où règnent ignorance et misère. Au fil des pages, le narrateur, enfant-jaguar à Paris, déroule la mythologie familiale : un grand-père, abandonné enfant, devenu cardiologue; une grand-mère devenue la première femme médecin du pays; une mère prénommée Venezuela, exilée à Paris…

« La petite sœur »

Mariana Enriquez

Éditeur Éditions du Sous-SolConnue et reconnue pour ses livres de littérature fantastique (dont Notre part de nuit ou Les dangers de fumer au lit) et ses textes à caractère politique, l’Argentine Mariana Enriquez fait un pas de côté. En se glissant à nous avec La petite sœur, elle offre un gros plan sur le «portrait de Silvina Ocampo», comme le précise le sous-titre. Épouse d’Adolfo Bioy Casares, amie de Jorge Luis Borges et de la poétesse Alejandra Pizarnik, Silvina Ocampo (1903-1993) n’est pas seulement reconnue pour ses textes de poésie et ses nouvelles du genre fantastique : elle est aussi le sujet de nombreux mythes et légendes. Avec La petite sœur, Mariana Enriquez signe là un portrait documenté, sensible et émouvant.

Coup de coeur

« Ilaria »

Gabriella Zalapi

Éditeur ZoéUne fillette de huit ans. Elle se prénomme Ilaria. Son père, en froidavec sa femme (et mère de la petite fille), l’emmène en voiture. Un périple dans le nord de l’Italie sans idée précise de la destination. Ce sera Milan, Trieste, plus tard Bologne, puis l’internat à Rome et encore plus loin la Sicile, dans un monde aussi solaire que paysan. Certain(e)s auteur(e)s, laborieux de la chose écrite, auraient rédigé un banal road trip. Avec Gabriella Zalapi, multilingue (italien, espagnol, anglais, allemand, français), artiste et scénariste, il n’en est rien. Vivant à Paris, elle cultive la modestie et la discrétion, et publie donc, après Antonia (2019) et Willibald (2022), son troisième et impeccable roman, Ilaria – sous-titre «ou la conquête de la désobéissance». Là encore, dans ce voyage avec un père «jaguar nerveux» et une fillette qui l’aime et le déteste, l’auteure raconte le périple en se mettant à hauteur de l’enfant de huit ans. Il est difficile de réussir ce genre d’exercice sans tomber dans la niaiserie. Ilaria va apprendre, seule, la vie près de ce père flottant et cette mère au loin, présente et absente. Un roman bref et tellement saisissant, à l’écriture allant toujours à l’essentiel.

« L’impossible retour »

Amélie Nothomb

Éditeur Albin MichelComme un rituel immuable depuis 1992… À chaque rentrée d’août-septembre, elle est là, fidèle au poste. Ainsi, cette année encore, Amélie Nothomb s’installe en librairies avec son 33e roman, L’impossible retour. En 162 pages, elle conte ce voyage effectué du 20 au 31 mai 2023 au Japon avec son amie photographe Pep Beni. Celle-ci, gagnante d’un voyage pour deux, a demandé à l’écrivaine réputée pour son amour du Japon de l’y accompagner, de lui servir en quelque sorte de guide. Précision d’Amélie Nothomb qui y a vécu les premières années de sa vie et, jeune adulte, travaillé (Stupeur et tremblements, 1999) : «Tout retour est impossible, l’amour le plus absolu n’en donne pas la clé». C’est délicatement nostalgique.

« La couleur noire n’existe pas »

Greta Olivo

Éditeur PhébusUn conseil du grand Paolo Giordano : «Les objets de ce roman demeureront longtemps en vous… Difficile d’imaginer un premier livre plus réussi.» Née en 1993 à Rome, Greta Olivo travaille dans une agence littéraire et elle signe un des textes forts de cette rentrée : La couleur noire n’existe pas. Au cœur de son (premier) roman, Livia, une jeune fille douée pour la course à pied. Elle va vite, gagne des compétitions. Un jour, une fois la ligne d’arrivée passée, elle tombe. Les objets disparaissent, absorbés par un mal qui attaque sa rétine. On lui avait diagnostiqué une grosse myopie, elle ne voulait pas porter les lunettes qui l’auraient faite «anormale». Et maintenant, avec ce noir, il lui faut trouver comment surmonter cet irréversible handicap…

« La Couronne du serpent »

Guillaume Perilhou

Éditeur Éditions de l’ObservatoirePour le réalisateur italien Luchino Visconti (1906-1976), l’affaire était toute simple : adapter Mort à Venise, le roman de Thomas Mann, et trouver, pour le rôle principal, «le plus beau garçon du monde». Donc, en 1970, il part en quête à travers l’Europe, en vain. Et soudain, venu de Suède, un jeune Suédois de 15 ans, Björn Andrésen, surgit. Luchino Visconti écrit à son amie Maria Callas : «Habemus Angelum». Orphelin d’une mère suicidée et petit-fils d’une femme en mal de reconnaissance, Andrésen sera donc Tadzio, mais aussi «l’objet» du cinéaste. Comment vivre après une telle expérience? Particulièrement inspiré par le sujet, avec La Couronne du serpent, Guillaume Perilhou mêle nombre de genres littéraires. C’est follement réussi!

« L’Homme qui apporte le bonheur »

Cătălin Dorian Florescu

Éditeur Éditions des SyrtesDeux continents, trois générations pour des histoires familiales racontées à deux. En quelques mots, voilà le résumé de L’Homme qui apporte le bonheur, le troisième roman en VF de Cătălin Dorian Florescu, né en Roumanie, vivant à Zurich depuis 1982 et d’expression germanophone. Dans ce beau texte, d’abord Elena : elle est fille de pêcheurs du delta du Danube et doit amener les cendres de sa mère en Amérique après avoir succombé dans la dernière léproserie d’Europe. Et puis Ray, orphelin dans les rues de New York où il vend des journaux et cire des chaussures. Son rêve : devenir un chanteur célèbre. En attendant, il «apporte le bonheur» à ses amis, et même à des jeunes paumées. Elena et Ray vont se rencontrer lors d’une nuit dramatique à New York…

« Bienvenue à la librairie Hyunam »

Hwang Bo-reum

Éditeur Éditions PicquierComme une idée fixe. Ouvrir une librairie. Jusqu’alors, Yeong-ju est restée dans les clous. Toujours faire ce qu’on attendait d’elle : de belles et grandes études, épouser un homme convenable, trouver un emploi de haut vol. Un jour, tout s’écroule… Yeong-ju divorce et accomplit son rêve : elle ouvre une librairie. C’est Bienvenue à la librairie Hyunam, le premier roman de la Sud-Coréenne Hwang Bo-reum et best-seller au pays du Matin calme. «Elle est entrée dans sa librairie. Elle se sentait bien; son cœur se réjouissait, son corps entier se détendait, elle s’abandonnait au plaisir de retrouver son lieu de travail. La journée commençait.» Une autre vie pour Yeong-ju dans sa librairie d’un quartier pittoresque de Séoul. Bien mieux qu’un livre «feel good»!

« Dogrun »

Arthur Nersesian

Éditeur La CroiséePour la version française de son premier roman (Fuck Up), il avait fallu attendre plus de trente ans. Pour la seconde, l’affaire a été plus rapide : seulement vingt-quatre ans entre la parution originelle et la VF… Parfois, ça vaut la peine de patienter : Dogrun d’Arthur Nersesian, 66 ans et résidant à Brooklyn, est un roman aussi urbain que déjanté. Ainsi, Mary rentre chez elle un soir à New York, son nouveau «boy friend», Primo, est avachi devant la télé, elle n’est pas surprise. Sauf qu’il est mort… Avec le chien de Primo, elle part en quête d’informations et fait des rencontres bizarres qui lui font découvrir la personnalité de son amant dont elle ignorait tant et tant. Une odyssée urbaine dans le New York furieusement capitaliste du début du XXIe siècle.

Coup de coeur

« Histoire d’une domestication »

Camila Sosa Villada

Éditeur Métailié La littérature queer en majesté pour un des événements de cette rentrée d’été. En 2021, il y eut Les Vilaines, texte implacable sur le quotidien des femmes trans du parc Sarmiento à Cordoba. Également actrice et chanteuse, Camila Sosa Villada récidive avec un second roman follement élégant, allègrement érotique : Histoire d’une domestication. Cette fois, on quitte les bas-fonds du parc Sarmiento et accompagne l’actrice trans la plus connue du monde! Elle dit : «Une comédienne, on ne cherche pas à savoir qui elle est. Une comédienne, on l’invente. Une comédienne est un rêve.» On lit aussi qu’«elle ne signe pas d’autographes», qu’«elle ne passe pas son temps à dire merci». Arrogante, dit-on d’elle. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer dans une vie «normale», de fonder une famille – mari avocat pénaliste homosexuel «pété de thunes», fils de six ans, même si son jeu favori est le lancer d’assiettes dans l’appartement… Comme ça ne lui suffit pas, malgré des avis opposés, elle monte une pièce de Jean Cocteau («Pourquoi pas quelque chose de moins français, de moins tordu?») et retourne voir ses parents dans son village natal. Dans ce roman de scène de famille, la comédienne a opté pour la tranquillité, mais ne se retient pas dès que la démesure se pointe. Un bonheur!

« Le Silence des ogres »

Sandrine Roudeix

Éditeur Calmann-Lévy Scénariste et photographe, présentant Le Silence des ogres, son sixième roman, Sandrine Roudeix confie : «C’est un livre que j’essaie d’écrire, que j’invente dans ma tête depuis vingt ans… C’est mon histoire.» Elle précise : «Lorsque j’écris sur moi, je me décentre, j’ai l’impression d’écrire sur une autre.» Cette autre, la narratrice, a 19 ans quand elle rencontre son père pour la première fois; 28 ans quand elle décide de ne plus le voir; 48 ans quand, dans un salon littéraire, elle entend un inconnu prononcer le prénom de son père… Par l’écriture, elle va tenter de retrouver l’image de ce père qui l’a abandonnée, de comprendre aussi son rapport aux hommes. «Les pères sont des hommes majuscules», écrit-elle dans ce beau roman sur la filiation.

« Ceux du lac »

Corinne Royer

Éditeur SeuilAu loin de Bucarest, une famille est installée en bord de lac. Les Serban – le père veuf et solitaire, ses six enfants et leur vieux chien aux mâchoires de vampire – se glissent dans les saisons dans un décor où la nature est reine. Pour son sixième roman au joli titre, Ceux du lac, la toujours impeccable Corinne Royer aurait pu composer un texte très vert avec des individus vivant librement leur goût pour un environnement quasi vierge. Il n’en est rien : inspirée par une histoire vraie, l’auteure met en lumière et en majesté une famille tzigane sommée par les autorités de quitter les lieux – l’endroit est une zone protégée. Reste alors la promesse d’un des fils à sa petite sœur : partir marcher sur les traces des bisons des Carpates… C’est beau, oui…

« À la recherche du vivant »

Iida Turpeinen

Éditeur Éditions AutrementUn premier roman en provenance de Finlande. Chercheuse, l’auteure a écrit une thèse sur les sciences et la littérature. Pour À la recherche du vivant, Iida Turpeinen a mêlé ses deux domaines de compétence, ce qui donne un roman épique, délicatement envoûtant. Ainsi, on est plongé en 1741 lorsque, à l’occasion de la Grande Expédition du Nord menée par le capitaine Vitus Bering, Georg Wilhelm Steller découvre un nouveau grand mammifère marin qu’on va appeler «rhytine de Steller». Chassée pour sa viande, la rhytine disparaît en moins de trois décennies, et devient dès lors un objet de fascination. D’une écriture enlevée, Iida Turpeinen développe un récit où sont mêlés l’aventure coloniale, les découvertes des sciences ou encore le rapport au vivant.