Accueil | Culture | Une plongée dans 150 ans d’histoire du Luxembourg au CNA

Une plongée dans 150 ans d’histoire du Luxembourg au CNA


Entre passé, présent et futur fantasmé, l'artiste de 40 ans suit à la trace l'évolution de la richesse créée au pays. (photo ezio d'agostino)

[Exposition] Pour raconter «ce qui n’existe pas encore», le photographe italien Ezio D’Agostino s’est plongé dans 150 ans d’histoire du Luxembourg pour imaginer un univers visuel évoquant la future conquête spatiale.

Entre passé, présent et futur fantasmé, l’artiste de 40 ans suit à la trace l’évolution de la richesse créée au pays. De la sidérurgie à la place financière, sa trajectoire le mène au programme «SpaceResources», qu’il «illustre» à travers des clichés abstraits, pour un «voyage dans l’imaginaire» intitulé «NEOs». Non sans critique.

Ezio D’Agostino vient de Calabre, et du Luxembourg, il l’avoue, «il ne connaissait rien». Juste quelques clichés sur les banques et un avis qui se tient : «C’est l’un des pays les plus riches du monde!» Depuis 2016, année où il a convaincu le jury d’experts de la Portfolio Night de la justesse de sa démarche artistique, il a pu combler ses lacunes à travers une résidence de plusieurs semaines au pays. Son idée : «Remonter aux origines de la richesse du Grand-Duché. Comment s’est-elle constituée, développée?»

Après des mois à se plonger dans le territoire du Luxembourg, son paysage social, à naviguer à travers son histoire, à visiter ses lieux symboliques, à potasser des «livres d’économie», le photographe italien compte alors différentes phases temporelles : le passé avec l’industrie sidérurgique, le présent avec les services et transactions de sa place financière, et le futur avec son programme spatial visant à l’étude et l’exploitation minière d’objets célestes à proximité de la Terre. «C’est un développement naturel du pays, et, de manière plus large, un paradigme de l’évolution du système capitaliste et technologique.»

«Pour moi, ça a été un parc de jeux immense»

Une vision diachronique, par «stratifications» – «car il y a toujours un avant et un après» – qui va l’amener à «raconter un voyage qui n’existe pas», «jouer avec l’imaginaire de l’espace». En somme, «un mirage gigantesque» à travers lequel il a laissé «libre cours à la fantaisie». Il le reconnaît lui-même : durant trois ans, il ne s’est pas ennuyé… «Je ne pensais pas qu’il y avait de tels endroits au Grand-Duché. Pour moi, ça a été un parc de jeux immense!»

Grâce à l’aide et l’accompagnement du CNA – qui lui a permis d’accéder à certains lieux impénétrables – Ezio D’Agostino photographie, entre autres, le détail du plan des galeries dans l’ancienne mine d’Oberkorn, le flambage de l’acier en fusion à Belval, le radar parabolique au siège de la Société européenne des satellites (SES), la tour centrale de la façade de l’immeuble de la Deutsche Bank, un capteur de fréquence cardiaque dans le hall d’entrée du Freeport… La matière est là, reste alors à la transformer, à lui donner un autre sens. Du coup, de simples ballons, découverts dans le quartier italien de Dudelange, deviennent pour lui des atomes, tandis qu’un fragment d’or, privé de sa couleur, s’apparente à une «île flottante», comme une roche ou planète à la dérive.

Des clichés volontairement codés, abstraits, géométriques, souvent en noir et blanc, qui permettent à l’illusion de s’installer. «On a l’impression de regarder le futur, mais en réalité, on observe les 150 dernières années du pays», dit-il. D’autres choix appuient cette idée de chimère, comme cette volonté de plonger la galerie dans le noir, les photos étant mises en valeur par des projecteurs (pour les plus petites) et «lightbox». Mieux, elles sont présentées sans aucune légende, pour laisser l’imagination au travail – idem pour le livre d’exposition, scindé en deux, avec d’un côté les œuvres et de l’autre, les explications (le tout caché sous un plastique argenté, très futuriste).

Une jolie fantasmagorie qui ne cache toutefois pas une amertume, même pour ce fan d’aventures spatiales qui reconnaît que ce «projet l’a calmé»… «Plutôt que de se questionner sur la fin des ressources terriennes, on part sur le même système en élargissant l’échelle.Aujourd’hui, on arrive à quantifier l’espace en dollars, alors qu’on a du mal à évaluer les distances… On est en train d’exporter la propriété privée dans l’espace. Cette conquête n’a plus rien de mythique.»

Grégory Cimatti

Une exposition à voir au CNA (Display01) à Dudelange jusqu’au 9 juin.