Dépeuplé par l’émigration massive, un village roumain a annoncé fin 2015 accueillir à ses frais des familles démunies. Six mois plus tard, Concesti est devenu un havre de paix pour des femmes victimes de violences conjugales. Reportage.
« On est tellement bien ici, j’ai trouvé la paix et le calme, je peux enfin élever mes enfants comme je veux! », se réjouit Claudia, 36 ans et mère de trois garçons et trois filles âgés de deux à 18 ans, établie depuis quelques mois dans ce village du nord-est de la Roumanie. Le 29 décembre, lorsque son mari défonce la porte de son appartement malgré une ordonnance de protection délivrée par la justice, elle prend ses enfants et monte dans un minibus, laissant derrière elle 16 ans d’un mariage marqué de coups, de viols et d’insultes. Cette femme aux longs cheveux bruns raconte avoir auparavant entendu parler à la télévision d’un maire offrant des logements gratuits à des familles comptant plusieurs enfants. « Je ne savais pas s’il allait nous recevoir (…) mais j’en avais assez de dormir avec les enfants à la gare », confie-t-elle.
Après un voyage de 800 km entre leur ville natale du sud-ouest du pays et Concesti, situé dans l’une des régions les plus pauvres de Roumanie, Claudia et les enfants ont passé enfin leur première nuit tranquille, dans leur nouveau foyer.
Un nouveau foyer
Un peu plus loin, dans une maison située sur une colline ensoleillée, Valentina, 42 ans, s’affaire autour du poêle: cinq de ses huit enfants doivent rentrer bientôt de l’école et le repas doit être prêt. Le cadet Alexandru dans ses bras, elle raconte une histoire similaire: « Les enfants en avaient marre (de la brutalité du père, ndlr), un jour ils m’ont dit: Maman, on ne peut plus continuer comme ça, il faut faire quelque chose ». Même si elle « n’y croyait pas trop », elle décide de tenter sa chance à Concesti. « Quand nous sommes arrivés ici, le feu était fait, il y avait de quoi faire à manger, c’était propre… », raconte-t-elle.
Sur les 12 familles qui se sont installées dans le village depuis décembre, sept sont formées de femmes seules avec leurs enfants, indique le maire, Costel Nazare. Six autres familles sont sur liste d’attente. Selon lui, ce projet sans précédent en Roumanie est né de sa volonté de sauver l’école, qui risquait à long terme de fermer ses portes en raison de l’émigration et d’une baisse de la natalité. La mairie a jusqu’ici racheté une dizaine de maisons pour un total de 450.000 lei (100.000 euros). « Au début, j’ai pensé qu’il y aurait des problèmes, mais ensuite j’ai vu que la réaction (des villageois, ndlr) était très positive », se réjouit-il.
En plus des logements, la mairie aide les nouveaux venus à trouver des emplois dans l’agriculture et le bâtiment. Les samedis, Valentina va travailler dans les champs ou dans un entrepôt de légumes. Elle y gagne l’équivalent de 11 euros par jour, qui s’ajoutent aux allocations familiales et à une aide sociale versée par la mairie, soit au total environ 370 euros par mois, dans un pays où le salaire moyen net s’élève à 470 euros.
Peu de choix pour les victimes
« C’est une initiative remarquable, d’autres localités devraient suivre l’exemple de Concesti », estime Mihaela Mangu, psychologue de l’association Anais qui porte secours aux victimes de violences. « La Roumanie compte très peu de centres d’accueil, surtout dans les zones rurales, ce qui fait que la plupart des victimes n’ont pas d’autre choix » que de continuer à vivre aux côtés de l’agresseur, dit-elle.
Depuis 2012, la loi permet de demander une ordonnance de protection, mais « très souvent elle n’est pas respectée, tandis que la plupart du temps les agresseurs ne sont pas punis », déplore-t-elle. La Roumanie a officiellement recensé 12.461 cas de violence domestique en 2015 mais la réalité est probablement bien pire, souligne l’Agence nationale pour l’égalité des chances (ANES): « Ces chiffres ne reflètent pas les proportions réelles de ce phénomène ». Selon une enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne publiée en 2014, 24% des Roumaines ont été victimes de violences perpétrées par leurs partenaires, un chiffre légèrement supérieur à la moyenne européenne (22%). Mme Mangu estime que ce taux est lui aussi est fortement sous-évalué, car « très, très peu de femmes ont le courage d’en parler ouvertement ».
« Cela s’explique par la culture patriarcale, encore répandue en Roumanie, et par l’absence de confiance dans les autorités », souligne-t-elle, précisant que, sous le régime communiste, évoquer les violences faites aux femmes était tabou. M. Nazare ne boude pas son plaisir d’avoir pu aider quelques femmes à commencer une nouvelle vie: « Elles m’ont dit qu’elles n’imaginaient pas qu’il existait des endroits aussi paisibles que Concesti… »
Le Quotidien / AFP