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Un collectif de poètes aide à faire son deuil en Belgique


Au dimanche soir 5 avril la Belgique recensait 19.691 cas, 1.447 décès et 3.751 guérisons. (Photo / AFP)

A une époque où la pandémie chamboule les rites funéraires et les adieux, la poésie peut être une consolation: un collectif de dizaines de poètes s’est constitué en un temps record en Belgique pour offrir un texte aux familles endeuillées.

« C’est une première dans l’histoire de la poésie belge. Jamais autant de poètes ne se sont réunis autour d’un projet commun. Ils viennent de toutes les régions linguistiques mais aussi de toutes les provinces », raconte Carl Norac. Cet auteur d’une centaine de livres traduits en plus de 40 langues (recueils de poésie, contes pour enfants) a rassemblé avec l’aide de partenaires plus de 80 poètes en deux jours, avant de lancer jeudi l’opération « Fleurs de funérailles » sur le site du « Poète National ».

L’écrivain francophone de 59 ans a été désigné en janvier « Poète national » de la Belgique par un collectif qui regroupe Maisons de la poésie et festivals littéraires. « Avec la pandémie, les deuils sont des moments dépourvus de la tendresse habituelle de gens qui se prennent dans les bras. Le poème apporte de la chaleur. C’est un moment de beauté, un moment suspendu. C’est pas grand-chose mais ce n’est pas rien », explique l’ancien professeur de français.

Le site propose deux sortes de textes poétiques

Ceux que les poètes ont déposés spontanément, comme celui du Flamand Paul Demets « Re-respire » (pour R), écrit en hommage à la plus jeune victime de la pandémie du pays, une fillette de 12 ans, dont le décès a été annoncé mardi. Ces poèmes, plus d’une quarantaine, sont libres de droits et peuvent être imprimés, récités ou lus lors d’une cérémonie. Ils sont traduits dans les trois langues officielles de la Belgique, français, néerlandais et allemand.

Les autres sont personnalisés à la demande des familles –  plus d’une vingtaine se sont manifestées depuis jeudi – qui disposent de trois adresses mail en Wallonie, Flandre et à Bruxelles pour leurs requêtes. Celles-ci donnent alors lieu à un entretien avec un poète du collectif. Carl Norac a répondu à celle d’une personne originaire de sa ville natale de Mons. « J’ai discuté environ une heure avec la famille. Elle voulait un texte de portée universelle, qui reflète plus la personnalité du défunt, sa philosophie personnelle que sa biographie », raconte-t-il.

Même expérience pour la poétesse flamande d’Anvers Ruth Lasters. « J’ai reçu un courriel du petit-fils d’un défunt vendredi matin. Il me donnait des informations sur son grand-père de 88 ans décédé du Covid-19. Il aimait le jardinage et il était fort en calcul mental. Je me suis dépêchée car l’enterrement était aujourd’hui samedi », confie cette néerlandophone, qui a intitulé son texte « Somme ». Ces poèmes personnalisés seront mis sur le site avec l’accord des familles et les initiales du défunt.

« C’est notre profession de trouver les mots »

Carl Norac en a entendu parler lorsqu’il a rencontré au Marché de la poésie de Paris le Néerlandais Tsead Bruinja qui écrit des poèmes pour des funérailles solitaires. Un collectif d’Anvers le fait aussi depuis plusieurs années pour ceux qui sont morts seuls et les poètes lisent leur texte lors de l’enterrement. « C’est notre profession de trouver les mots pour capter la douleur humaine. Mais cette fois l’expérience est plus intime » puisqu’il y a un lien avec la famille, estime Michaël Vandebril, le coordinateur de ce collectif.

Elle se fait aussi dans l’urgence car les morts sont enterrés très vite. « Alors que les communautés en Belgique ont chacune leurs propres médias, elles se sont retrouvées ensemble pour la poésie », se félicite le coordinateur. « Le grand éditeur français d’origine belge Pierre Seghers disait que dans aucun autre pays, il n’y avait plus de poètes au km2 », rappelle Carl Norac dont le projet accueillera bientôt des poèmes dans d’autres langues, comme l’anglais, l’italien ou l’arabe.

 

LQ / AFP