Tuys fait monter la sauce avant la sortie, au printemps, de son nouvel album. Vendredi soir, le groupe, qui a traversé de nombreux changements depuis deux ans, fera son retour sur la scène de la Kulturfabrik.
Demain soir, Tuys sera à la Kulturfabrik pour le premier concert au Grand-Duché de sa nouvelle tournée. De passage, c’est ce qu’il faut dire pour le quatuor luxembourgeois désormais installé à Berlin.
Après A Curtain Call for Dreamers (2020), le groupe fait monter la sauce en attendant la sortie de son prochain album, Reality Management Ltd., prévue le 28 avril 2023. Un nouveau projet d’envergure qui allie la musique et l’image, puisque l’album sera accompagné par un court métrage aux accents de thriller d’anticipation.
Deux singles, l’énigmatique Title Sequence et Open Ears on a Straitjacket Party, titre énergique qui change constamment de forme, sont déjà disponibles. Ils seront suivis, demain, par la sortie du plus intime Yellow Ether. De jolies portes d’entrée pour découvrir la nouvelle version de Tuys, où les accents electro introduits dans leur précédent album prennent une tout autre ampleur, et toujours plus décidé à faire un pont entre la musique et le cinéma.
Un lien qu’ils renforceront dans la deuxième partie de leur tournée, début 2023 : «On fera trois dates dans des cinémas, avec l’idée de jouer la musique du court métrage en live, à côté de l’écran», expliquent-ils.
C’est en route vers Stuttgart, où Tun Biever, Yann Gengler, Sam Tritz et Tom Zuang donnaient un concert hier soir, que le groupe répond au Quotidien, présentant son nouveau projet et faisant le point sur deux années riches en changements.
Après l’album visuel A Curtain Call for Dreamers, vous enchaînez avec un nouveau projet en musique et en vidéo. C’est votre nouveau credo?
Yann Gengler : C’est vrai qu’avec A Curtain Call for Dreamers, on a commencé à produire nos propres vidéos. C’est une expérience qui nous a tellement plu que, pour cet album, on a continué. On avait assez de temps pour le faire. C’est quelque chose qui prend beaucoup de temps et qui coûte aussi très cher.
Dans notre processus, on commence toujours par la musique, qui reste la première initiative, mais avec la vidéo, on a la possibilité de donner une autre interprétation.
Tun Biever : La musique et la vidéo sont deux perspectives du même concept. On était intéressé par l’idée d’un projet qui existe sous différentes formes, mais c’est finalement toujours de la musique et des paroles que naissent les idées visuelles… même s’il nous arrive, maintenant, d’être influencés par des films, parce qu’on en regarde souvent ensemble.
Title Sequence, le morceau instrumental qui ouvre l’album, peut tout à fait être considéré comme une musique de film…
T. B. : Absolument. Avec ce morceau, on essaie d’inscrire cette dimension cinématographique dans l’ADN du groupe.
Y. G. : Au tout début du projet, avant même d’avoir écrit les chansons, on essayait d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’album. Et pour son ouverture, j’avais cette image d’un objet électronique qui charge et qui, une fois la batterie pleine, nous permet d’attaquer les chansons plus directes. J’avais commencé à bricoler un truc avec du violon et un arpège de synthé, et on s’est dit que ce pourrait être le title sequence (NDLR : générique d’ouverture) de l’album.
Reality Management Ltd., l’entreprise mystérieuse qui donne son nom à l’album, c’est quoi?
T. B. : C’est une entreprise dystopique qui vend des réalités à des clients frustrés, des gens qui veulent s’échapper de leur vie actuelle. Le court métrage suit quatre clients en particulier et plongera en profondeur dans chacune de leurs réalités artificielles.
En déménageant (à Berlin), on a changé de style de vie et ça a débloqué quelque chose
Le monde de l’entreprise, ça vous angoisse?
T. B. : (Ils rient en chœur.) Un peu, ouais! Mais je souligne une nouvelle fois l’aspect dystopique de cette entreprise, qui n’est pas vraiment le genre de boîte où l’on a envie de travailler.
Y. G. : Parmi nos inspirations pour ce film, il y a Momo (NDLR : le roman fantastique de Michael Ende publié en 1973), où les méchants sont des hommes en gris qui sentent le cigare et qui veulent voler le temps des honnêtes gens. Pour le cinéma, on avait aussi en tête le film de Yorgos Lanthimos The Lobster (2015).
T. B. : Cette idée de l’entreprise est arrivée après l’écriture des chansons. En fait, c’est même arrivé après leur enregistrement, en août 2021. C’est là qu’on a commencé à conceptualiser le film, visuellement, et à en écrire le script. Ce mood gris, brutaliste, nous a été soufflé avant tout par la musique. Et puis, Tuys, c’est en quelque sorte une entreprise… Ça nous amusait d’imaginer une métafiction autour du groupe.
Dans ce nouvel album, on découvrira la chanson Historic Lies, dans laquelle vous mélangez l’anglais et le français. Ça aussi, c’est inédit…
T. B. : C’est ce qui reste de l’une de nos premières ambitions pour cet album, qui était de le rendre plus multilingue, car cela fait partie de notre identité en tant que Luxembourgeois. Finalement, on a gardé l’anglais comme langue unique, mais il subsiste ces quelques lignes en français qui, par ailleurs, sont plus du spoken word que du chant.
Y. G. : Pour cet album, on a fait des démos dans d’autres langues que l’anglais. La communication, c’est un grand thème de ce projet, alors on s’était demandé au départ : pourquoi ne pas chanter dans plusieurs langues? Ça fait partie de notre vie : on habite en Allemagne et, pourtant, on utilise presque plus souvent l’anglais que l’allemand. Entre nous, on parle luxembourgeois, mais lorsqu’on est en tournée, on parle français, parce que notre ingé son est français.
Cet album signe véritablement un nouveau chapitre dans votre parcours artistique. Votre récent déménagement à Berlin y est-il pour quelque chose?
T. B. : Pendant la pandémie, on s’est retrouvés coincés au Luxembourg, d’une part, à cause du confinement, mais aussi parce qu’on vivait encore chez nos parents. Ce qu’on voulait, c’était écrire et composer ensemble, bref, cultiver une énergie de groupe ailleurs qu’au Luxembourg. À Berlin, on a trouvé cette énergie, qui a donné un coup de fouet à nos projets et qui a clairement inspiré l’album.
Y. G. : Avant Berlin, on était en terrain connu. Puis en déménageant, on a changé de style de vie et ça a débloqué quelque chose chez chacun d’entre nous, et dans le groupe en tant qu’entité. Et puis, l’arrivée de Tom (Zuang), qui a un jeu de batterie très différent, a aussi joué son rôle dans notre nouveau son. Ces deux dernières années nous ont complètement réinventés!
Le single Yellow Ether, qui sortira demain, est en partie inspiré par le départ, fin 2020, de Kay Gianni, votre batteur de longue date…
T. B. : Kay était avec nous depuis le début et on a joué ensemble pendant treize ans. Ça fait maintenant deux ans que Tom Zuang a rejoint le groupe. Sa présence a beaucoup transformé notre son, c’est une transition dont on est très fiers. Kay voulait vivre une autre vie, on respecte et on comprend totalement son choix, mais son départ, dans une période assez difficile, nous a beaucoup marqués. On n’a jamais pu discuter de cette décision en profondeur… Le morceau Yellow Ether est né de deux relations manquées – dont celle-ci –, marquées par le manque de communication. On en avait fait deux chansons à la base, puis on en a fait une sorte de collage, à base de samples.
On a beaucoup souligné les difficultés de communication à l’intérieur de la société et entre les êtres humains pendant la période du covid. À quel point ce manque vous a-t-il affectés?
Y. G. : De façon générale, on a senti, ces deux dernières années, que la société est très polarisée et que l’on pouvait se perdre très vite entre ces deux extrêmes. La solution à cela est la discussion – question centrale de l’album – et le court métrage joue sur ce thème à travers la dystopie. Dans leurs réalités alternatives, les clients de Reality Management Ltd. n’ont pas besoin de communiquer. C’est justement pour ça qu’ils les choisissent.
Demain soir à 20 h 30.
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.