Turist : la famille moderne disséquée sous le scalpel d’un réalisateur suédois.
Les acteurs de « Turist » avaient fait le show lors de leur passage au Festival de Cannes en mai 2014. (Photos : DR)
Une semaine de ski dans les Alpes, quoi de mieux pour resserrer les liens familiaux ? Mais une avalanche met à nu les pulsions de chacun et rompt l’équilibre du couple parental. Turist, tragicomédie d’un réalisateur suédois à l’humour grinçant, dynamite l’image de la famille moderne. Ainsi, Tomas, Ebba et leurs deux jeunes enfants passent quelques jours aux Arcs, dans un appartement-hôtel moderne, conçu pour accueillir les familles. Le deuxième jour, alors qu’ils déjeunent à la terrasse d’un restaurant en haut des pistes, une avalanche dévale vers l’établissement.
La mère appelle son mari au secours et se réfugie sous la table avec les enfants. Le père, pris de panique, prend la fuite. L’avalanche s’arrête à quelques mètres. Rires nerveux, plus de peur que de mal, la journée reprend. Mais tout a changé au sein du petit groupe… « J’ai toujours été intéressé par les situations qui remettent en cause ce qui va de soi dans notre esprit », explique Ruben Östlund. Turist, en salles au Luxembourg demain, est le quatrième long métrage de ce cinéaste de 40 ans. « Dans notre culture, le personnage le plus représenté est celui de l’homme en tant que héros », mais dans de nombreux cas, « lorsque la survie est en jeu, les hommes ne se comportent pas forcément de la manière attendue ». Les statistiques sur les taux de survie lors des accidents de ferries montrent par exemple qu’un homme a beaucoup plus de chances de s’en sortir qu’une femme ou un enfant, selon une étude de chercheurs de l’université suédoise d’Uppsala. Beaucoup d’hommes tentent de s’enfuir plutôt que de protéger leur famille.
> Univers blanc, humour noir
Tomas nie avoir fui et accuse sa femme de déformer la vérité. Ebba, elle, voit l’image qu’elle avait de son mari se fissurer et elle l’oblige à reconnaître ce qu’il a fait (grâce aux images filmées par un smartphone resté sur la table) devant un couple d’amis médusés. Le fossé grandit petit à petit entre les deux époux. La caméra s’attarde sur leurs silences, leurs regards, les gestes quotidiens qu’ils tentent de reproduire, devant leurs enfants, alors que le malaise s’accroît.
Tomas a failli au rôle de père protecteur que la société attend de lui. Il a perdu son identité et se désagrège peu à peu. Pour Ruben Östlund, « Ebba et Tomas sont les victimes des rôles que la société, y compris moderne, attribue à l’homme et à la femme, et ils ont du mal à sortir de ce cadre ». Quelle est la place du père et de la mère dans la famille nucléaire au XXIe siècle ? Comment admettre avoir, d’instinct, préféré sauver sa peau plutôt que celle de ses enfants ? Et comment pardonner au conjoint qui a déçu ?
Des questions d’autant plus crues que la Suède passe pour l’un des pays les plus en avance en matière d’égalité hommes-femmes. La semaine s’écoule sur les pistes ou dans l’appartement. En toile de fond, un décor blanc, vide et immaculé, dont le silence est troué seulement par les canons à neige et les moteurs des dameuses la nuit. Un environnement entre nature et artifices qui suscite une angoisse sourde. Ruben Östlund sait emporter l’adhésion du spectateur, même au plus profond du malaise, grâce à un humour noir qu’il injecte dans cet univers très blanc. Et il veille à ne jamais se moquer ou condamner ses deux protagonistes.
Le Quotidien (avec AFP)
Actuellement à l’Utopia (Luxembourg)