Depuis quatre ans exactement, Takayuki Ueno vit dans le souvenir, celui de ses parents et de ses deux enfants emportés par le tsunami du 11 mars 2011 dans le nord-est du Japon, une tragédie humaine masquée par le panache radioactif de Fukushima.
Takayuku Ueno pose le 8 mars 2015 devant un autel dressé en hommage à sa famille décédée à la suite du Tsunami, le 11 mars 2011 sur la côte de Minamisoma, à une vingtaine de kilomètres au nord de la centrale de Fukushima (Photo : AFP)
« L’impact de l’accident nucléaire a été si fort, qu’il nous a laissés derrière, dans l’ombre », déplore cet homme de 42 ans. Sa petite dernière, Sarii, née après le raz-de-marée qui a tué plus de 18 000 personnes, « va entrer à la maternelle en avril, elle va commencer à faire des choses que son grand-frère n’a pu connaître », regrette ce père hanté par l’image de Kotaro, son fils disparu, qui n’avait que trois ans quand la vague l’a emporté. « Je ne peux pas m’empêcher de penser combien sa vie a été courte ».
Il était 14h46 le vendredi 11 mars 2011 lorsqu’un séisme de magnitude 9 dans le Pacifique a provoqué le pire désastre subi par le Japon depuis la guerre. Au tragique sinistre naturel, s’est ajouté l’accident nucléaire de Fukushima, la fusion des coeurs de trois des six réacteurs. « Dès que la première explosion a saccagé le site, tout le monde a déguerpi. Personne n’est plus venu ici pour aider. J’étais le seul être en mouvement dans toute cette région », confie M. Ueno en balayant du regard la côte de Minamisoma, à une vingtaine de kilomètres au nord du complexe atomique en péril.
« Nous avions désespérément besoin d’aide, avec tant de personnes dont nous étions sans nouvelles. Mais nul n’est venu. Ce n’est que 40 jours plus tard, le 20 avril, que les soldats sont arrivés ». « Je pense à tous ceux qui vivaient auparavant dans la zone évacuée des 20 kilomètres autour de la centrale. Ils voulaient sans doute retrouver les leurs, mais ils n’ont pas pu ».
> Il faut que quelqu’un continue
Le danger des radiations a eu raison du volontarisme des secouristes. Même la femme de Takayuki, enceinte de leur troisième enfant, n’a pu revenir, pas même pour les funérailles de sa fille, Erika, 8 ans, dont le corps a été retrouvé, comme celui de sa grand-mère sexagénaire, près de la maison de la famille. Mais manquent toujours ceux de Kotaro et de son grand-père, malgré la découverte ultérieure de nombreux cadavres dans les jours, mois et semaines suivant le désastre. « J’ai pu prendre Erika dans mes bras et lui demander pardon. Je voulais aussi serrer Kotaro et prononcer ces mêmes mots. Je voulais tellement le retrouver ».
Les ans passent, mais M. Ueno ne renonce pas, il ne peut pas. Les radiations, il ne les compte pas, les déceptions non plus. « En fin d’année dernière, un cadavre a été trouvé par là, le buste et les jambes… mais pas la tête ». « Il faut que quelqu’un continue à marcher le long du littoral, sans quoi la probabilité de retrouver les corps sera réduite à néant ». « Je suis toujours vivant, je fais mon devoir ». Les restes de quelque 2 600 ex-habitants de la côte du nord-est dévasté demeurent introuvables, en dépit des recherches effectuées par les forces de l’ordre et des soldats symboliquement tous les 11 de chaque mois.
AFP