True Detective (saison 4)
d’Issa López
avec Jodie Foster, Kali Reis, Finn Bennett…
Genre thriller
Durée 6 x 1 h
Voilà déjà dix ans que Nic Pizzolatto troquait son statut d’écrivain pour celui plus lucratif de scénariste-producteur, avec au bout, une idée qui, malgré sa banalité, va faire son succès : imaginer l’histoire de deux flics fatigués et à bout de nerfs, menant une enquête dans une atmosphère quasi surnaturelle.
Afin de compliquer l’affaire, il impose qu’à chaque nouvelle saison, la série devra se réinventer : nouveau casting, nouveau lieu, nouvelle investigation. Un coup de folie devenu coup de maître, avec une première saison qui gagne cinq Emmys grâce à la prestation habitée de Woody Harrelson et de Matthew McConaughey, magnifiques antihéros au cœur d’une Louisiane poisseuse.
Fidèle au contrat d’origine, True Detective, confiant en son succès, va faire peau neuve : il y aura dès l’année suivante le tandem Colin Farrell-Vince Vaughn qui se frottera aux arcanes du pouvoir en Californie, suivi en 2019 par une autre suite dans les paysages sauvages de l’Arkansas, avec Mahershala Ali et Stephen Dorff à l’affiche.
Deux saisons de plus qui ne tiennent à aucun moment la comparaison. L’une est loupée, et l’autre anecdotique. De quoi longtemps douter d’une éventuelle quatrième tentative. Elle arrive finalement cette année avec un bel atout dans sa manche : l’actrice américaine Jodie Foster, 61 ans, à la filmographie et au talent qui ne se discutent plus. Avec elle, la série espère se faire entendre à nouveau, et qui sait, faire oublier les erreurs du passé.
Mais la présence de cette icône d’Hollywood (et de la communauté LGBT+, comme de l’émancipation des femmes) ne pouvait pas aller sans de sérieuses adaptations dans le scénario, notamment une, principale : donner une part moins écrasante aux personnages masculins, habitude prise par la série depuis ses débuts. Dans ce sens, on retrouve alors derrière la caméra Issa López, et aux côtés de Jodie Foster, Kali Reis, 37 ans, comédienne autochtone au physique impressionnant (elle est une ancienne championne de boxe).
Un duo qui répond une décennie plus tard à une première saison aux airs machos. Mieux : elle en est le reflet, ou plutôt la face opposée de la pièce. En 2014, c’était en effet masculin, moite et lumineux. Là, c’est féminin, glacial et sombre. Même la musique de Billie Eilish, au générique, dit la même chose.
On est donc en Alaska, à 250 kilomètres au nord du cercle polaire arctique. C’est le dernier coucher de soleil de l’année qui plonge dans le noir la ville d’Ennis, sur laquelle flotte un vent de surnaturel. On y croise des caribous qui se jettent du haut d’une falaise, un ours blanc borgne, une étrange motif en spirale (déjà visible lors de la saison 1), des locaux qui croient aux esprits et des morts qui se baladent sans doudoune.
Dans cette ambiance vaporeuse, il y a aussi une usine qui pollue la terre, opposée à une population furieuse face à l’augmentation des cas de cancers, de malformations et de bébés mort-nés. Un ancien meurtre, non élucidé, d’une lanceuse d’alerte. Et enfin une station de recherche dans laquelle sont reclus huit scientifiques, qui vont subitement se volatiliser et se transformer en Mister Freeze géant.
Sur place, tout le monde s’accorde à dire «qu’elle s‘est réveillée». De quelle force mystérieuse s’agit-il? Au «pays de la nuit», chacun est sur ses gardes… Dans une ambiance à la The Thing de John Carpenter (1982) et rabotée de deux épisodes (six au lieu de huit), True Detective : Night Country garde deux principes : intégrer le territoire dans l’intrigue, à la présence asphyxiante.
Sous la caméra d’Issa López, les vastes étendues glacées sont ainsi autant hostiles qu’hypnotiques. Et les sociétés dont parle la série reste d’étranges lieux enclavés, avec leurs propres règles. Des zones oubliées où se côtoient la misère sociale (parfois raciale), la violence et la solitude. Sans oublier des profondes aspirations mystiques.
En évitant de trop jouer avec les flash-back et se perdre dans des détours temporels inutiles, la série s’enracine dans son époque, parle d’écologie, de la condition des peuples indigènes, mais aussi de la violence faite aux femmes, en leur offrant toutefois une revanche : ici, les hommes sont soumis et souvent lâches (avec toutefois un bon point pour Finn Bennett, excellent de bout en bout). Au milieu d’eux, Jodie Foster et Kali Reis brillent dans leur tandem dépareillé, détectives-justicières prêtent à tout pour découvrir la vérité.
Ce qu’elles vont trouver sous la glace n’a rien de fantomatique, ni de fantasmagorique. Non, plutôt des démons et des secrets bien humains, profondément enfouis. C’est en tout cas ce que disent les deux derniers épisodes de belle facture, d’où peut-être cette décision de HBO, annoncée jeudi, de repartir pour une cinquième saison, toujours avec Issa López aux commandes.
Avec 12,7 millions de téléspectateurs en moyenne dans le monde (soit le meilleur résultat de la série depuis qu’elle existe), True Detective a retrouvé une partie de son honneur. Reste maintenant à garder l’inspiration, et à ne plus se planter dans la distribution.