Voilà 25 ans que les Luxembourgeois de Toxkäpp! invitent à la fête avec leurs morceaux à la sauce ska-punk. Un disque anniversaire, en équilibre entre les époques, en est le témoin : le groupe n’a rien perdu de son énergie ni de ses convictions. Rencontre.
Jeudi vers midi, du côté du magasin Vinyl Harvest à Esch-sur-Alzette, l’ambiance est au calme. Malgré un imposant mur de disques et du rocksteady en fond sonore, rares sont les curieux à demander qui l’on fête aujourd’hui, d’autant plus que le groupe, lui, prend son temps pour arriver sur place. Au compte-goutte, la bande se constitue mollement (et partiellement), contente, tour à tour, de manipuler sous la lumière l’album-anniversaire, aux reflets argentés. Son nom, à lui seul, rappelle la philosophie de Toxkäpp! : 25 Joer an Näischt Bäigeléiert (que l’on pourrait traduire par «25 ans, et toujours rien appris»), soit un quart de siècle sans compromis ni déloyauté.
De ses débuts dans une Kulturfabrik encore en état de squat, quand son punk nerveux répondait au hardcore à la mode, le collectif, aujourd’hui de huit membres, a gardé le goût de l’engagement, une énergie fédératrice et une liberté artistique totale. Si sa musique, au fil des années, s’est teintée d’éclats de cuivres et s’est articulée autour de rythmes saccadés, les textes, en luxembourgeois, ont eux gardé leur humour abrasif et leur pertinence. Un pont entre les époques qui se matérialise aujourd’hui avec un disque miroir : soit cinq anciens morceaux sur une première face, réarrangés, voire réinventés sur la seconde.
Un choix qui, en creux, raconte la volonté d’un groupe de ne pas oublier ses racines, sans tomber dans la nostalgie, ni, comme ils le disent, se précipiter dans le futur. Et comme le présent est si intéressant, Le Quotidien ne s’est pas privé pour demander à Toxkäpp! de le commenter. Patrick (guitare), Fränz (basse) – deux des quatre fondateurs – , ainsi que Simone (trombone) et Claus (orgue), dans le groupe depuis plus de dix ans, se prennent au jeu, évoquant, pêle-mêle, la scène nationale, Esch 2022, l’importance du patrimoine, Madness, et les 25 prochaines années.
Vingt-cinq ans d’activité, ça vous réjouit ou ça vous étonne?
Fränz : Étonné? Non. Ce groupe fait partie de ma vie, du coup, je ne calcule pas. De toute façon, je ne suis pas du genre à trop regarder en arrière. Ce qui m’intéresse, c’est où l’on sera dans 25 ans (il rit). Et ça, oui, ça me réjouit.
Patrick : Moi, ça me fait drôle, car j’ai l’impression que ça fait moins longtemps que Toxkäpp! existe. Pourtant, on vient de rentrer dans notre 26e année… C’est aussi un peu angoissant, et en même temps, ça me rend fier. À l’époque, on s’était dit qu’on tiendrait 2-3 ans à s’amuser, à jouer du punk. Et nous voilà, 25 ans après, en compagnie de nouveaux combattants… qui sont déjà d’anciens combattants (il rit). Oui, on est toujours là, et on a toujours la forme!
Ce qui m’intéresse, c’est où l’on sera dans 25 ans!
Vous vous dites fidèles à vos racines. Comment vit-on alors le punk quand on a 40 ans, voire plus?
Fränz : Mon esprit n’a pas changé. C’est aussi quelque chose de naturel chez moi. J’ai toujours mené une vie alternative, et des choix de consommation, comme par exemple, boycotter tout ce qui vient des multinationales. Encore aujourd’hui, Amazon ne vient pas livrer de colis chez moi! J’ai aussi une petite fille, et j’aimerais lui transmettre des valeurs positives.
Claus : Désolé, moi, je ne me considère pas comme punk (il rit).
Simone : Moi non plus, mais depuis que je suis dans Toxkäpp!, être avec Fränz et les autres, ça m’a aidée, disons, à penser plus librement.
Le groupe est né dans les vestiges de l’ancien abattoir – qui deviendra plus tard la Kulturfabrik. Comment vivez-vous la politique de rénovation opérée à Esch-sur-Alzette?
Fränz : C’est vrai que les quartiers changent, et ce n’est pas très joli. Personnellement, je préférais le vieux Esch! J’espère juste que l’on ne va pas toucher à la forêt du Gaalgebierg… C’est là où je me promène tous les jours.
Claus : Bien qu’il faille savoir avancer, évoluer, c’est important de défendre un patrimoine, qu’il soit industriel ou culturel. Dans un sens, en chantant en luxembourgeois, Toxkäpp! défend celui d’une langue.
Pas sûr qu’Esch 2022 ait le budget pour nous engager…
Du coup, vous allez jouer à Esch 2022 ou non?
Claus : Pourquoi pas, mais pas sûr qu’ils aient le budget pour nous engager (il rit).
Fränz : Je n’ai jamais eu besoin d’institutions qui me disent quand et comment faire de la culture! Et puis, en tant que musicien, j’ai toujours préféré le DIY (NDLR : Do It Yourself). De cette façon, l’art vous appartient totalement.
Vous avez toujours défendu une approche « fun ». Comment se manifeste-t-elle aujourd’hui, en pleine pandémie?
Claus : Elle ne peut pas exister. Notre musique est faite pour danser, s’amuser ensemble. Un concert de Toxkäpp!, on ne peut pas vraiment l’apprécier en restant assis, même dans un beau fauteuil avec personne autour…
Patrick : Oui, c’est vrai que tout cela manque même si, pandémie ou non, pour nous, ça reste toujours compliqué de trouver des endroits pour jouer. On fait du ska, et on est huit… Quand on est autant dans un groupe, c’est déjà galère d’organiser les répétitions!
Est-ce vrai qu’en 25 ans, comme vous le dites, vous n’avez rien appris?
Simone : C’est plutôt une façon de dire que l’on ne se prend pas trop au sérieux.
Patrick : C’est de l’autodérision, bien sûr, mais si on s’appelle Toxkäpp, c’est pour de bonnes raisons! On est têtus, et on fait ce que l’on veut! On s’accroche à nos idées, à nos visions musicales…
Fränz : En même temps, on peut tirer une conclusion en écoutant le nouvel album : sur la face B, il y a d’anciens morceaux, et sur la face A, les mêmes, réactualisés… Ça permet de se faire une idée si on a évolué ou non. À vous de juger!
Et vous, que pensez-vous de ces réarrangements?
Claus : C’est autre chose, mais différent!
Fränz : Disons que j’aime les anciens morceaux. Ils sont plus agressifs, alors que les nouveaux sont plus riches, plus relax. Je ne sais pas, il y a trop de choses dedans…
Simone : C’est juste plus ska!
Patrick : Personnellement, je préfère parler de réinvention, car on s’est pas mal amusés avec ses reprises. On part même un moment dans du swing! Je pense que c’est la meilleure manière de fêter nos 25 ans. De regarder en arrière, tous en disant « regardez, ça, c’est nous maintenant! ». Disons que l’on n’a pas perdu nos racines, mais on les regarde d’un nouvel œil.
Comment voyez-vous l’évolution de la scène musicale au Luxembourg? Elle a tendance à chercher coûte que coûte la professionnalisation, alors que vous, vous appréciez, et défendez, l’amateurisme…
Claus : Disons que faire du ska-punk, c’est déjà une mauvaise idée au départ si l’on veut faire de l’argent (il rit).
Fränz : Dès le départ, le but n’a jamais été de vivre de la musique. Et avec Toxkäpp!, on a toujours privilégié les petites structures, les petites salles, aux grandes!
Claus : Sur une scène imposante, c’est difficile de faire danser tout le monde, même si on ne crache pas dessus, comme lorsque l’on a fait la première partie de Madness à la Rockhal (NDLR : en septembre 2013). Être au Luxembourg, ça offre aussi des avantages… Si on avait été à Berlin, dans la même situation, il y aurait eu 50 groupes avant nous!
Était-ce une belle expérience?
Claus : Le mec au clavier a signé le mien. J’étais trop content!
Fränz : Moi, ça m’a laissé froid, surtout que le concert n’était pas génial. Mais franchement, ce sont des gens sympathiques!
Simone : De mon côté, ça a été le stress total : j’ai travaillé, j’étais en retard, j’ai roulé à fond sur l’autoroute, et sur place, j’ai sorti mon trombone et c’était parti! Après, j’ai bu de la bière pour oublier!
Votre groupe aime parler du Luxembourg, en luxembourgeois. Cet ancrage à l’actualité du pays, c’est important dans votre démarche?
Patrick : C’est ce qui caractérise Toxkäpp! On parle de ce qui se passe chez nous, à travers une musique joyeuse et un humour assez amer. Ça nous a toujours tenu à cœur d’avoir des textes qui reflètent l’actualité locale, et non internationale. Pourquoi parler de Trump, alors qu’il est à des milliers de kilomètres? Je trouve ça plus intéressant de parler de ce qui se passe en bas de chez nous, car on peut agir dessus.
Si demain vous deviez alors chacun écrire un morceau pour Toxkäpp!, ce serait quoi votre sujet d’attaque?
Simone : Pour le coup, mon thème sera plus général : je ferais sûrement quelque chose sur le fait de forger son esprit critique. Je crois qu’on en a bien besoin…
Fränz : Moi, sur la forêt du Gaalgebierg (rire général)!
Patrick : La culture et la censure. Ce qui m’a marqué durant cette pandémie, c’est à quelle vitesse les politiciens nous ont rangés au frigo, ont frappé la culture d’une telle force, pour des raisons que je ne m’explique toujours pas. Ça, je ne l’ai pas encore digéré, et j’ai du coup pas mal de venin à déverser!
Claus : Tant qu’à faire dans le local, je ferai un truc sur les cafés du coin qui souffrent. Ça aussi, c’est important.
Toxkäpp!, ça va durer encore longtemps?
Patrick : On aimerait bien fêter nos 50 ans avec un disque, non plus en argent, mais en or! Il va donc falloir tenir…
Claus : C’est notre objectif à tous!
Entretien avec Grégory Cimatti
25 Joer an Näischt Bäigeléiert, de Toxkäpp!