Le pays le plus peuplé au monde se met au ski… avec ou sans neige et quelque six millions de pratiquants.
Des moniteurs tout jeunes qui n’ont jamais skié et des stations qui poussent comme des champignons sous une neige artificielle: la Chine se met aux sports d’hiver, pour le plus grand plaisir de sa nouvelle classe moyenne.
« J’ai commencé ma formation le 28 novembre, je n’avais jamais fait de ski avant. Depuis fin janvier, je suis moniteur », raconte Hao Rui, un garçon de 17 ans, à bord de la télécabine qui monte vers le sommet d’une des stations du secteur de Zhangjiakou (au nord-ouest de Pékin), qui accueillera en 2022 les épreuves de descente des Jeux olympiques d’hiver de Pékin.
Objectif : 300 millions de Chinois sur les pistes – un ordre du Parti communiste. Et à l’approche de l’échéance olympique, cruciale pour le prestige du pays, Pékin met le paquet pour développer un secteur économiquement prometteur.
Pour l’instant, on ne dénombre «que» cinq ou six millions de pratiquants et quelque 200 stations de sports d’hiver. Mais seule une grosse dizaine d’entre elles ont des domaines skiables comparables à ceux qu’on trouverait en Europe dans des stations de moyenne taille. Et rien de similaire à de grands domaines des Alpes françaises tels que ceux de Tignes-Val d’Isère ou des Trois Vallées.
Futur cadre des JO, les monts Yan culminent péniblement à 2 000 mètres et n’ont reçu cette année que quelques flocons de neige naturelle. Qu’à cela ne tienne : des centaines de canons à neige dernier cri s’alignent le long des pistes, donnant sous les spatules une piste un peu dure, mais où l’on peut skier avec une étonnante fluidité.
« Le temps est sec et constamment froid pendant tout l’hiver : la neige reste bonne », explique Bertrand Camus, un moniteur de la station française de Courchevel, venu participer au boom du ski que connaît la Chine depuis deux ou trois ans, le choix de Pékin pour les JO-2022 en 2015 ayant servi d’accélérateur. « Ce n’est pas comme dans les Alpes où la neige fond et regèle en permanence », dit le Français.
«L’air est pur»
Pour accueillir une clientèle majoritairement débutante, les stations n’ont pas pris de risques : les pistes sont larges comme des autoroutes, en pente douce, bien aplanies et damées. On se prend facilement pour un as du slalom sans risquer trop de bobos – malgré deux accidents mortels en début d’année.
La recette fonctionne et les stations sont envahies le week-end de skieurs venus le plus souvent de Pékin, la capitale située à 200 km de là. « Avec le développement économique, beaucoup de Chinois ont gagné plein d’argent. Ces gens-là sont passionnés de nouveauté », observe Wang, un fondu de ski qui vient une fois par semaine à Wanlong, la plus grande station du domaine avec une vingtaine de kilomètres de pistes et sept remontées mécaniques.
Le jeune dentiste s’est levé à 5 h 30 pour quitter Pékin au volant de sa voiture avant les embouteillages et attaquer les pistes dès 9 h. À seulement 30 ans, ce célibataire s’est offert un appartement à la montagne, dont il profite quand il le peut dès l’ouverture du domaine en novembre jusqu’à la fin de la saison début avril. « On est bien mieux ici qu’à Pékin, l’air est pur », explique-t-il, désignant le ciel bleu alors que la capitale suffoque une fois de plus sous un nuage de pollution.
Et puis, « le ski, c’est l’un des seuls sports que l’on peut faire l’hiver au lieu de rester enfermé chez soi. Les citadins apprécient », observe Liu Yang, la première monitrice chinoise à avoir obtenu le diplôme français de moniteur. Mais le plaisir de la glisse reste réservé à ceux qui peuvent dépenser sans compter dans ces montagnes chauves aux stations sans grand charme, où le froid est vif.
Du ski pour les riches, et en anglais
Dans un pays où le salaire moyen tourne autour de 7 000 yuans (soit 960 euros), le budget pour faire du ski est considérable : à Wanlong, il faut compter au minimum 450 yuans (60 euros) pour le forfait de remontées mécaniques à la journée, et plutôt 100 euros avec la location du matériel. Et les prix s’envolent forcément le week-end et en période de vacances : la nuit dans les rares hôtels de la station revient facilement à 1 500 yuans (environ 200 euros).
Tingting, 9 ans, passe elle un mois entier à l’hôtel avec ses parents, profitant des vacances du nouvel an chinois, tombé fin janvier. Elle skie cinq jours par semaine à Wanlong et assure ne pas s’en lasser. Elle garde ainsi le même rythme qu’à l’école, les deux derniers jours de la semaine étant consacrés à la détente et aux révisions. Si les plus riches vont skier au Japon, aux États-Unis ou en Europe, beaucoup de Chinois apprécient de retrouver dans leurs montagnes un peu d’exotisme, avec des moniteurs étrangers qui leur enseigneront le ski… en anglais.
La station de Thaiwoo, qui compte 28 pistes, a embauché ainsi 16 étrangers dans son équipe de 60 moniteurs formés par Thierry Nilo, directeur de l’école de ski de la station, où il est mis à disposition par l’école française Evolution 2. « Les cours sont principalement individuels », souligne-t-il. Au pays de Mao Tsé-Toung où le tout collectif a longtemps été la règle, les cours en groupe n’ont pas vraiment la cote pour l’instant.
Le Quotidien /AFP