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Tom Wesselmann, la star oubliée du pop art


C’est une première en Europe : à Paris, la Fondation Louis Vuitton présente «Pop Forever, Tom Wesselmann &…», un artiste essentiel et pourtant méconnu du pop art. Découverte.

En 1980, dans une biographie consacrée au peintre américain Tom Wesselmann (1931-2004), Slim Stealingworth soulevait la question essentielle : qu’est la réalité dans ce que l’artiste appelle la «super-reality»? Peu après, on apprend que ledit Stealingworth était en réalité le peintre lui-même, qui avait donc écrit là sa propre bio, se considérant sous-estimé par le monde de l’art.

Il écrivait encore : «Plusieurs critiques ont dit de Tom Wesselmann qu’il était le peintre le plus sous-estimé de la génération du pop art américain qui a révolutionné le milieu de l’art américain dans les années 1960». Il acceptait mal que ces derniers, mais aussi les galeristes et les marchands d’art, n’en avaient que pour Andy Warhol et Roy Lichtenstein, tenus abusivement comme les maîtres fondateurs de ce mouvement artistique.

Cette sous-cote a longuement poursuivi Tom Wesselmann. Ainsi, il eut droit à une première rétrospective au musée des Beaux-Arts de Montréal seulement en 2012. Et, pour la première fois en Europe, on peut enfin admirer pas moins de 150 de ses œuvres dans et sur les murs de la Fondation Louis Vuitton à Paris.

Jusqu’alors, en France, seuls deux musées (Saint-Étienne et Grenoble) présentaient au public, chacun, un tableau du peintre américain. Donc, l’exposition parisienne titrée «Pop Forever, Tom Wesselmann &…» prend la dimension d’un évènement.

Toutefois, on se doit de préciser que Tom Wesselmann n’est pas seul à profiter de cette rétrospective, puisque 70 œuvres de 35 autres artistes du pop art d’hier et d’aujourd’hui l’accompagnent.

Claire Selley, muse et modèle

Commissaire de l’exposition avec Anna Karina Hofbauer, Dieter Buchhart commente : «Tout a commencé il y a huit ans. Nous travaillions depuis longtemps déjà autour de Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg, Jasper Johns… Mais l’intérêt suscité par Tom Wesselmann chez les jeunes artistes nous fascinait. D’autant qu’à l’époque, l’impression 3D faisait son apparition.

Une technologie qu’annonçaient déjà ses « steel drawings », découpés au laser. En 1985, l’achat d’une de ces pièces par le Whitney Museum avait suscité une vive controverse parmi les conservateurs, incapables de la définir». Sa collègue ajoute : «Étudier le pop art sous cet angle nous semblait intéressant précisément parce que Tom Wesselmann n’était pas le choix le plus évident».

Né le 23 février 1931 à Cincinnati (Ohio), Tom Wesselmann a découvert le dessin durant ses deux années à l’armée. Alors, le dessin, il le considérait uniquement comme humoristique. Retour dans sa ville natale, il reprend ses études, suit en 1954 les cours à l’Art Academy, puis en 1956, file à New York où il s’inscrit à la Cooper Union for the Advancement of Science and Art.

À la même époque, il visite le MoMA et est impressionné par les œuvres de Robert Motherwell et Willem de Kooning. En 1957, il rencontre Claire Selley, également étudiante à la Cooper Union – elle devient son modèle et sa muse, ils se marieront et auront trois enfants.

Contre un art politique et commercial

En 1959, il quitte la Cooper Union et, immédiatement, s’éloigne du courant artistique de l’abstraction qui, alors, est la règle. Consacre son activité à ce qu’il tient pour la base de la peinture : les nus, les natures mortes, les intérieurs, les portraits… Et ne manque pas d’évoquer Matisse, son influence majeure, tout en cherchant à se défaire de celle très forte de Willem de Kooning.

Ainsi, il accédera à une belle notoriété avec des séries comme «Great American Nudes» et «Still Lifes». Sa marque de fabrique? Le collage et les juxtapositions, ne craignant pas d’intégrer au sein d’un tableau des objets (téléviseur, radiateur, sèche-serviettes, lunette de toilettes…) ou d’emprunter des temps forts de l’histoire.

Il assure être en marge du mouvement dominé dans les années 1950-1960 par Andy Warhol et sa Factory, ou Roy Lichtenstein et Robert Rauschenberg. Commentaire d’Anna Karina Hofbauer : «Il est pourtant une figure clé de ce mouvement dont il partage le goût des couleurs criardes, les emprunts à l’imagerie populaire, le choix de matériaux industriels…».

Et d’ajouter : «Il sortait peu. C’était un père de famille pour qui l’art était un travail à temps plein». Le peintre lui-même confiera : «En 1964, j’ai décidé d’abandonner ce mouvement (le pop art) parce qu’il avait été envahi par le sens du commerce».

Et dans Pop Forever, Tom Wesselmann…, le magnifique catalogue de l’exposition, Monica Serra, qui fut l’un des modèles du peintre confie : «Nous savons tous à quel point il détestait le terme pop art. Il était d’accord pour américaniser la tradition européenne du paysage, de la nature morte, du nu mais la notion de « pop » était pour lui politiquement chargée, et elle avait des connotations commerciales.

Il n’aimait pas cela, même si tout cela est arrivé par une sorte de phénomène d’osmose». Rapidement devenu une des têtes d’affiche du mouvement, il s’intéresse à la psychanalyse, peint des nus féminins, des pieds, des mains, des bouches (par exemple, celle de Marilyn ou une autre crachant la fumée d’une cigarette), des artifices de la féminité…

Des tableaux un peu coquins

Dans une galerie, il rencontre la scénariste française Danièle Thompson. Ils deviennent amis et pendant deux ans, elle pose pour lui. Elle dit : «Il avait cet aspect direct, sans artifices, cette sincérité idéaliste qu’on peut trouver aux États-Unis. C’était un bûcheron qui avait décidé de faire de l’art».

Et aussi : «Il décompose les corps, ajoute d’autres éléments sur la toile, on est très loin de la pin-up! Dans ses toiles, on peut voir une certaine volupté, bien sûr, mais aussi quelque chose de glaçant». Récemment, un critique parisien réputé évoquait «l’ironie mordante et érotique d’une œuvre à part».

Il expliquait : «Tom Wesselmann peut légitimement dérouter : ses tableaux sont parfois lestes, voire presque pornographiques. Presque, car l’artiste, homme des plus subtils, savait mettre le vice dans la tête du spectateur plutôt que dans l’œuvre elle-même, qui fonctionne par allusion. Que l’on se rassure, les tableaux exposés à la Fondation Louis Vuitton sont, au pire, un peu coquins».

Sortant de l’exposition reviennent en mémoire les mots de Slim Steallingworth : «Il considère l’art comme une expérimentation continue et sans fin». Slim Stealingworth savait de quoi il parlait : il n’était autre que Wesselmann lui-même!

«Pop Forever, Tom Wesselmann &…»
Fondation Louis Vuitton – Paris.
Jusqu’au 24 février 2025.