Le vacarme de marteaux et d’engins de chantier résonne sur les sites des Jeux olympiques de Tokyo, disséminés dans la mégapole. Les travaux ont bien avancé, vantent les organisateurs, au prix cependant de rudes conditions de travail rétorquent les syndicats. Plus de la moitié sont déjà achevés.
« Nous en sommes là où nous voulions être », a récemment souligné, très confiante, la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, alors que les Jeux se tiendront du 24 juillet au 9 août 2020. Loin de ce satisfecit, certains s’alarment d’une construction à marche forcée aux dangereuses conséquences.
Une organisation internationale, la BWI (Building and wood workers’ International), a mené l’enquête et publié un rapport en mai, intitulé « La face obscure des JO d’été de Tokyo ». « Les conclusions sont alarmantes », écrivent les auteurs qui ont rencontré 40 ouvriers œuvrant à la construction du nouveau stade national et du village olympique. La moitié des personnes consultées n’avaient ainsi pas de contrat de travail en bonne et due forme, ce qui n’est pas illégal au Japon mais peu courant dans les pays industrialisés.
28 jours de travail en un mois
La BWI, basée à Genève, s’inquiète aussi du rythme harassant souvent imposé, avec par exemple 28 jours de travail accumulés en un mois et des hommes sur le terrain sous extrême pression pour tenir les délais afin que tout soit prêt quand s’ouvriront les festivités le 24 juillet 2020.
« Le travail est dur », témoigne un vétéran du secteur qui a participé en tant que sous-traitant à la construction du village olympique, érigé dans la baie de Tokyo. Selon son récit à l’AFP, seulement sept ouvriers avaient été mobilisés pour une tâche qui en aurait nécessité 11.
Et le planning était si serré qu’une fois, lui et ses collègues ont continué à travailler alors que se balançait au-dessus de leurs têtes un énorme bloc de béton. Il y a bien eu des sifflets pour appeler à la prudence mais « nous étions trop occupés », confie ce sexagénaire. « C’est comme travailler sur une chaîne d’assemblage de voitures. Il faut installer les capots quoi qu’il arrive car ceux qui installent les pare-brises viennent après », dit-il.
La moindre pause doit être compensée par « une accélération des cadences le reste de la journée, et par là-même des risques accrus » pour les ouvriers.
14 blessés fin 2018
Outre 14 blessés (à fin 2018), au moins deux travailleurs ont succombé depuis le début des travaux olympiques. Un ouvrier surmené de 23 ans s’est suicidé en 2017, à cause d’un nombre excessif d’heures supplémentaires, tandis qu’un autre est mort écrasé en 2018. C’est certes moins dramatique que dans le cas des précédents Jeux d’été, à Rio en 2016, avec 11 ouvriers décédés, mais aucun n’avait péri à Londres en 2012.
Rejetant le rapport du BWI, les autorités japonaises répondent que tout va bien, parlant de « malentendu ». « De nombreuses personnes qui ont travaillé ailleurs disent que les conditions ici sont vraiment bonnes », réagit le vice-président du Conseil japonais du sport, Jugo Imaizumi. Il chapeaute la construction du stade, qui devrait être terminée pour fin novembre, et assure que « personne ne travaille le dimanche ».
« Nous prenons des dispositions rigoureuses » pour garantir de bonnes conditions : le site ne ferme pas à des heures indues, les horaires d’entrée et de départ des ouvriers sont enregistrés et leur santé surveillée, précise l’instance.
« Pour les organisateurs, parce qu’il n’y a pas eu beaucoup de plaintes, il n’y a pas de problème », résume le responsable d’un syndicat, dénonçant une façon de se voiler la face. En réalité, selon le BWI, une « culture de la peur » découragerait les travailleurs de signaler les problèmes rencontrés, « de crainte d’être réprimandé ou de perdre leur emploi ».
Mais pour la Fédération nationale des syndicats du secteur, la situation dépasse le simple cas des Jeux olympiques. « Le système au Japon demeure féodal », à cause de l’empilement de sous-traitants derrière le premier contractant, déplore Hidenori Miyamoto, secrétaire général de l’organisation Zenkensoren. Et de brosser un tableau peu reluisant du monde de la construction, où les salaires sont bas et où il est fréquent de faire des semaines de six jours à cause de la pénurie de bras.
Les sexagénaires nippons et immigrés venus de Chine, du Vietnam ou d’autres pays, parfois dans l’illégalité, ne suffisent pas à combler les besoins.
LQ/AFP