La chanteuse du groupe punk contestataire russe Pussy Riot, Nadejda Tolokonnikova, va recréer son incarcération en Sibérie dans une pièce de théâtre immersive, à Londres, dans le courant de cette année. Son message: cela peut vous arriver.
Nadejda Tolokonnikova veut que les spectateurs, sur un plateau interactif, puissent revivre l’emprisonnement qu’elle et sa camarade de Pussy Riot, Maria Alekhina, ont subi de mars 2012 à décembre 2013. «Il était très important qu’on communique aux gens que ce qui nous est arrivé peut arriver à n’importe qui. Nous voulions que les gens ressentent, dans leur propre corps, ce que c’est d’être prisonnier», a dit la chanteuse dans une interview téléphonique.
Fervente critique du président russe Vladimir Poutine, Nadejda Tolokonnikova dit avoir eu l’idée de la pièce face à la montée de ce qu’elle qualifie de «tendances autoritaires et misogynes de droite» dans le monde, ce qui inclut selon elle le président américain Donald Trump. Le crime de Nadejda Tolokonnikova et de sa compère Maria Alekhina a été de conduire, pendant moins d’une minute, une «prière punk» contre le président Poutine dans la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou en 2012. Emprisonnée en Sibérie orientale, Nadejda Tolokonnikova avait mené une grève de la faim de neuf jours pour protester contre ses conditions de détention.
Optimiste pour 2018
«En prison, je me suis rendu compte que j’étais privilégiée car j’avais la possibilité de témoigner de ce qui s’y passe. C’est ce que je veux continuer à faire», poursuit la chanteuse. Sa pièce, qu’elle finance partiellement avec une campagne de levée de fonds sur Kickstarter, inclura de nouvelles chansons et vidéos des Pussy Riot. Elle a fait appel aux comédiens de la compagnie anglaise de théâtre Les Enfants Terribles, rompue aux pièces interactives, dans lesquelles les spectateurs explorent différents scénarios. Les représentations dureront six semaines.
Maria Alekhina avait de son côté créé la pièce «Revolution» en mars à New York pour raconter les origines des Pussy Riot, sur fond de hard rock. Les deux Pussy Riot travaillent toujours ensemble sur les droits de l’homme, dit Nadejda Tolokonnikova, mais elles ont séparé leurs carrières artistiques. La chanteuse cite l’intellectuel Noam Chomsky parmi ses influences intellectuelles, et lie la montée des populismes de droite à l’influence croissante des oligarques et à l’inanité des partis politiques traditionnels.
Elle soutient avec ferveur Alexeï Navalny, le principal opposant au Kremlin qui entend se présenter à l’élection présidentielle de l’année prochaine. Pour elle, 2018 est «une année très prometteuse», même si la commission électorale a jugé Alexeï Navalny inapte à se présenter au scrutin, en raison d’une condamnation. Mais la chanteuse se réjouit que les autorités russes «n’arrivent pas à le faire taire». Et de comparer l’opposant russe à Bernie Sanders aux Etats-Unis, ou Jeremy Corbin au Royaume-Uni, tous deux ayant, avec un discours très à gauche, galvanisé une partie de la jeunesse de leurs pays.
Elle se dit persuadée, à la faveur de ses rencontres avec des prisonniers d’origines très différentes, que l’opposition à Vladimir Poutine est plus large parmi les Russes que ce qu’en disent les médias officiels. «Ils ne sont pas aveugles. Ils voient la façon dont la corruption érode l’économie, la société civile et les institutions médiatiques russes. Ils veulent y mettre fin», assure Nadejda Tolokonnikova. «J’ai réalisé, grâce à mes conversations avec les Russes, qu’ils attendaient le moment de pouvoir prendre la rue».
Le Quotidien/AFP