Le festival d’Avignon ouvre samedi sa 78e édition dans un double climat olympique et électoral tendu, avec une volonté de promouvoir «plus que jamais» les valeurs démocratiques du théâtre et de la culture.
La metteuse en scène espagnole Angélica Liddell, auteure de pièces radicales, va inaugurer samedi le festival d’Avignon, lequel fera la part belle à la langue espagnole et sera marqué par la venue sur scène de femmes ukrainiennes et biélorusses. Cette 78e édition, qui courra jusqu’au 21 juillet, comprend «pour moitié des découvertes» de nouveaux noms, et «pour moitié des retrouvailles», a déclaré son directeur, Tiago Rodrigues, qui prévoit 21 premières mondiales sur la quarantaine de spectacles proposés.
Angélica Liddell présentera son travail pour la première fois dans la Cour d’honneur du Palais des papes, avec El funeral de Bergman (déconseillé aux moins de 16 ans, des scènes pouvant «heurter»), une plongée dans l’univers du cinéaste suédois qui avait imaginé et écrit ses propres obsèques. La metteuse en scène est connue pour ses spectacles qui dérangent, comme une performance poussée à l’extrême en 2021, avec automutilation sur scène.
Pour Tiago Rodrigues, présenter cette artiste «à la dramaturgie puissante, radicale», est «absolument urgent, à un moment où l’on voit tellement d’attaques contre les libertés d’expression et la liberté artistique». «C’est aussi soutenir les discours artistiques et esthétiques qui peuvent nous bouleverser, nous bousculer, mais qu’on considère essentiels de partager avec le public.» Auteur de mises en scènes qui ont également pu choquer, Krzysztof Warlikowski, l’un des maîtres polonais de la scène européenne, fera son retour après dix ans d’absence, avec Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, qui s’empare de l’écriture de J. M. Coetzee, prix Nobel 2003 de littérature. La pièce est l’une des quatre dans le «in» coproduite avec les Théâtres de la Ville de Luxembourg (lire encadré).
«Démocratique, populaire, antiraciste…»
«Il y a deux façons» de «défendre la démocratie pendant les prochains jours : l’une, c’est évidemment participer aux élections, l’autre, c’est de remplir» les places du festival d’Avignon, assure son directeur. C’est un évènement «démocratique, populaire, républicain, écologiste, féministe, antiraciste», martèle-t-il, appelant à faire barrage à l’extrême droite dans les urnes, à l’instar d’autres organisations du spectacle vivant.
Les deux tours des législatives (30 juin et 7 juillet) viennent en effet percuter de plein fouet la tenue du premier rendez-vous international du théâtre, qui propose 35 pièces (dont la moitié sont des créations) du côté du «in» (jusqu’au 21 juillet) et plus de 1 600 spectacles du côté du «off». Ce dernier démarre officiellement le 3 juillet, même si certaines compagnies commenceront dès le 29 juin.
Toujours politique, avec Mothers. A Song for Wartime, la jeune metteuse en scène polonaise Marta Górnicka mettra sur le plateau de la Cour d’honneur un chœur de femmes d’Ukraine, de Pologne et du Bélarus. Elles «chantent et parlent de l’exil et la guerre», et «nous demandent : « Regardez-nous, ne regardez pas ailleurs »», selon Tiago Rodrigues.
Hommage à Pina Bausch
Après l’anglais l’an dernier, la langue espagnole est à l’honneur : elle représente 30 % de la programmation. Outre Angélica Liddell, seront présents les Argentins Mariano Pensotti, Lola Arias et Tiziano Cruz, l’Uruguayen Gabriel Calderon, la Suisso-Espagnole La Ribot (danse contemporaine) ou encore la Péruvienne Chela de Ferrari, qui travaille avec des artistes malvoyants. La chanteuse Silvia Pérez Cruz viendra clore le festival.
Le directeur lui-même présente sa nouvelle pièce, Hécube, pas Hécube, inspirée de la tragédie grecque d’Euripide, montée avec sept comédiens de la Comédie-Française, dont Denis Podalydès. Une réécriture de «l’histoire d’Hécube, mélangée à la vie d’une actrice, inspirée de cas véridiques de maltraitance d’enfants et de plaintes portées au tribunal», explique-t-il.
Le danseur à la tête du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, Boris Charmatz, présentera Forever, une immersion de sept heures dans le travail de la célèbre chorégraphe allemande, ainsi que Cercles, un atelier à ciel ouvert de transmission de danses en cercles à 200 personnes professionnelles et amatrices. Il rejouera aussi Liberté cathédrale (2023), non pas dans une église, mais sur l’herbe.
Calendrier sportif et agenda politique
Le festival démarre une semaine plus tôt, pour s’adapter au calendrier des Jeux olympiques et paralympiques qui débutent le 26 juillet et nécessitent une mobilisation massive des forces de l’ordre. Il comprend néanmoins deux jours de plus qu’en 2023. Et propose légèrement moins de spectacles que les précédentes éditions, mais ces derniers ont une durée d’exploitation allongée. «Ce qui permet de mieux produire les artistes» et «offre plus de places, démocratisant l’accès» au festival, selon son directeur. Le syndicat La Scène indépendante (entrepreneurs du spectacle) anticipe pourtant une baisse du public les sept premiers jours, «les enfants étant encore à l’école et les programmateurs pas encore arrivés». Soit un trou de 25 % des recettes d’une compagnie réalisées sur l’ensemble du festival, selon lui.
Les organisateurs, qui mettent en vente 120 000 places, espèrent attirer comme l’an dernier au moins 5 000 jeunes grâce à l’initiative «Première fois». À noter qu’un spectacle est aussi dit en langues des signes (Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre national de Strasbourg). Autre fait notable : le théâtre est célébré à un moment où le spectacle vivant public est touché par des coupes budgétaires, annoncées par Bercy en février, qui vont se traduire par une baisse de la création et une réduction des programmes d’éducation artistique.
Pour Tiago Rodrigues, «dans le contexte perturbé de la politique française» après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le festival «est plus nécessaire que jamais». Et il sera donc d’abord militant, avec samedi, en marge de l’ouverture, une manifestation contre l’extrême droite, à l’appel d’une intersyndicale de la branche culture.
Fondé en 1947 par Jean Vilar, le festival d’Avignon transforme chaque juillet la Cité des papes en ville-théâtre. Le festival «in» avait réuni près de 115 000 spectateurs en 2023 (94 % de taux de fréquentation) et près de deux millions de billets avaient été vendus au «off», le plus grand marché de spectacle vivant en France.
Avignon, côté luxembourgeois
Cette année encore, le Luxembourg débarquera au festival d’Avignon, fort de huit productions et coproductions réparties de façon égale entre le «in» et le «off». Du théâtre, de la danse, une lecture… Les arts de la scène y seront célébrés avec, en cette année olympique, deux pièces autour du sport : Corps au bout du monde, de la metteuse en scène et ancienne gymnaste Marion Rothhaar, et Go!, spectacle de Jennifer Gohier «à la croisée de la danse contemporaine, des arts martiaux et du numérique». En marge des spectacles énoncés ci-dessous, le collectif transfrontalier Le Gueuloir organisera une lecture sur le thème «Habiter la terre, peupler le monde, écrire le théâtre» avec des textes inédits d’Aude-Laurence Biver, Ian De Toffoli et Tullio Forgiarini.
LE OFF
Corps au bout du monde,
de Marion Rothhaar.
Du 4 au 21 juillet à la Manufacture.
Relâche les 9, 10, 16 et 17 juillet.
Go!,
de Jennifer Gohier.
Du 3 au 21 juillet au théâtre du Train Bleu.
Relâche les 8 et 15 juillet.
Megastructure
de Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson.
Du 6 au 18 juillet aux Hivernales.
Relâche le 10 juillet.
Héritage,
de Cédric Eeckhout.
Du 30 juin au 21 juillet au théâtre des Doms.
Relâche les 2, 9 et 16 juillet.
LE IN
Absalon, Absalon!,
de Séverine Chavrier.
De samedi au 7 juillet.
Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux,
de Krzysztof Warlikowski.
du 16 au 21 juillet.
Lacrima,
de Caroline Guiela Nguyen.
Du 1er au 11 juillet.
Liberté cathédrale (reprise),
de Boris Charmatz.
Du 5 au 9 juillet.