Les applaudissements ne sont pas arrivés tout de suite à la fin de cette première représentation, vendredi, de Jimi Hendrix (monologue électrique). On pourrait s’expliquer cela en se disant que si le silence après du Mozart est encore du Mozart, le silence après du Hendrix est encore du Hendrix ! Il y a du vrai là-dedans. Mais il n’y a pas que ça. Si le public a mis quelques secondes avant de se manifester c’est aussi qu’il sort pas mal sonné de cette expérience proposée par le comédien Tchéky Karyo, le metteur en scène Jean Michel Roux et l’ingénieur du son Philipe Moja.
Pendant une petite heure en effet, Tchéky Karyo dit, récite, scande, chuchote, chante, crie… le magnifique texte de Zéno Bianu Jimi Hendrix (Aimantation) publié en 2010 dont est tiré le spectacle. Un spectacle, à la scénographie minimaliste avec juste un ampli Marshall – les préférés d’Hendrix – au milieu et quelques caisses « fly cases » ci-et-là sur les côtés et l’arrière, qui ne tient que par le son. Au point que le comédien garde le texte de la pièce constamment devant lui. Après tout, les musiciens gardent bien les partitions !
Dans ce texte Zéno Bianu rend un hommage appuyé à Jimi Hendrix. Au musicien de génie, comme à l’homme qui a brulé sa vie au point de la quitter à l’âge de 27 ans, le 18 septembre 1970, suite à une overdose de somnifères alors qu’il se trouvait dans un hôtel de Londres. C’est justement ce soir-là où replongent Bianu et Karyo. Telle une séance de spiritisme, ils invoquent Jimi. Lui, ou du moins son esprit. La scène restera d’ailleurs une grande partie de la pièce dans la pénombre.
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« Je ne suis plus relié à la terre » lance ce Hendrix fantasmé par Bianu encore un peu groggy et un peu perdu dans ces limbes. « J’entre dans le grand livre de l’espace », «la mort revient devant moi, elle est là. Tout au fond » ajoute-t-il. Un Hendrix rêvé qui se remémorera quelques grands moments de sa carrière – « j’ai joué des couleurs, pas des notes», qui expliquera sa manière de voir la vie, la musique : « pourquoi je jouais avec les dents ? pour être libre, pour être totalement libre, débarrassé du soucis de plaire ou de déplaire » -, qui cite quelques grands qui l’ont marqué : Bird, Ornette Coleman, Brian Jones, Wilson Pickett…, qui parle de sa vie – « Noir, Indien, je suis l’Américain absolu, avec deux génocides dans le sang ! », de son Amérique…
Un Hendrix qui parle de la mort aussi et qui se pose encore des questions qui resterons désormais à jamais sans réponse. Le tout sans remords, ni regrets, bien au contraire, avec une certaine sérénité.
Un texte poétique pas toujours facile d’accès mais magnifique quand on fait un petit effort et on s’accroche, ou plutôt qu’on le laisse nous accrocher au risque qu’il nous emporte loin, sans qu’on s’en rende vraiment compte. Surtout dans cette « mise en son » avec ces effets sonores aussi surprenants que maîtrisés qui donnent à Tchéky Karyo 1000 voix, 1000 rythmes, 1000 styles différents…
Des effets qui font de cette étonnante pièce quelque chose de vraiment déroutant. C’est beau, c’est fort, c’est intense… mais une pièce qui reste pour un public curieux et averti. Le comédien lui-même semble d’ailleurs en convenir. Dans les remerciements, il cite Frank Hoffmann, le directeur du TNL, « qui a pris le risque de nous accueillir » dit-il. On le remercie aussi !
Pablo Chimienti
TNL – Luxembourg. Ce samedi 30 avril à 20 h.