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[Théâtre] Si le XXe siècle m’était conté…


Trois individus censés, comme tant d'autres, trouver un sens à leur vie, intercalés entre la génération des baby-boomeurs et les premières du XXIe siècle. (©Cédric Jean)

Créée en 2014, la pièce « Un Siècle », de la compagnie messine Pardes Rimonim, tisse des liens entre mémoire intime et collective. Pour mieux se connaître… et mieux se projeter.

Depuis quelques années maintenant, Bertrand Sinapi, metteur en scène, et sa compagne Amandine Truffy, comédienne (têtes pensantes de la compagnie Pardes Rimonim), s’interrogent sérieusement sur les thèmes de la mémoire, de l’identité, du souvenir. Engagée en Grande Région, il n’est pas rare que la compagnie transmette ses «obsessions» à d’autres, comme ce fut le cas, récemment, avec les jeunes élèves de l’école Marie-Consolatrice, à Esch-sur-Alzette.

Des ateliers où il était question d’héritage, de place dans la société et, par extension, dans un monde chaotique, au rythme effréné et aux exigences libérales. Après coup, Amandine Truffy est formelle : «Les adolescents se heurtent aux mêmes problématiques que nous !» Par nous, elle entend la génération «X», née entre 1960 et 1980, dernière à être devenue adulte au siècle dernier, et à laquelle elle appartient, tout comme les deux autres comédiens associés à la pièce Un Siècle – Augustin Bécard et Valéry Plancke.

Génération désenchantée

Trois individus censés, comme tant d’autres, trouver un sens à leur vie, intercalés (étouffés ?) entre la génération des baby-boomeurs (nos parents) et les premières du XXIe siècle. «On est le fruit de cette désillusion, qu’on le veuille ou non !», soutient, mordant, Bertrand Sinapi, sans pour autant trop insister sur le caractère «désenchanté» des siens, comme le suggère notamment le roman fondateur de Douglas Coupland.

Pour preuve, avec Hamlet, «c’était déjà le cas !», au XVIe siècle. Amandine Truffy explique : «Dans cette pièce, la question centrale est : est-ce que je suis capable d’agir avec ce qu’on m’a donné ?» Deux solutions s’offrent alors : «Soit je prends la suite, je deviens roi, mais suis-je capable de faire autre chose de ce qui a déjà été fait ? Ou alors je ne m’engage pas, je fuis, je deviens fou… Bref, je me dégage de tout impact.» Une remarque aux résonances modernes, en effet. Mais le couple n’est pas allé chercher sa matière chez Shakespeare, mais plutôt du côté de Georges Perec – notamment son livre W ou le Souvenir d’enfance, mélangeant biographie et grande Histoire.

Mieux, dans les réflexions de Pier Paolo Pasolini. «Pour lui, l’identité est une chose qui se fabrique et permet d’avoir une action politique, explique le metteur en scène. Pour synthétiser, réussir à être un individu et non pas se perdre au cœur d’une masse opprimée.» Et pour ce faire, les souvenirs «sont essentiels». Se basant sur «deux textes» de l’écrivain-réalisateur italien – Le Cahier rouge et Italie magique – le couple développe même un spectacle, vite tué dans l’œuf après une seule représentation au TNL.

Moments intimes et universels

«L’histoire s’est terminée au pied de son immeuble, à Rome, à essayer de convaincre l’ayant droit. En vain», précise Bertrand Sinapi. Une interdiction qui va leur donner des idées : puiser dans leurs propres souvenirs, et dessiner cette esquisse du XXe siècle à travers leurs expériences, leurs vécus, leurs anecdotes… Ainsi, sur scène, la comédienne confie notamment qu’après le décès de sa grand-mère, elle a cru longtemps qu’elle avait été kidnappée par des Chinois. Augustin Bécard, lui, se rappelle de ce qu’il faisait le jour de la chute du Mur de Berlin ou le 11 septembre 2001. Valéry Plancke, de son côté, se souvient qu’il embrassait sa tortue sur la bouche en chantant Couleur menthe à l’eau, en slip dans son salon…

Ces moments intimes, finalement partagés, universels – «toutes ces histoires différentes ont bien des liens communs», affirme Amandine Truffy – Un Siècle les mélange à la grande Histoire, s’appuyant, pour ce faire, sur des chansons («un vecteur mémoriel énorme», soutiennent-ils) et des images d’archives. Le tout pour susciter quelques questionnements, nécessaires : «Est-ce que l’on peut agir dans le monde ? L’Histoire se passe-t-elle avec ou sans nous ? Et comment elle interfère dans nos propres vies ?»

Et si depuis 2014, la pièce a évolué – notamment au regard des attentats en France – sa projection, suggérée, reste pertinente, pouvant se résumer à cette phrase qu’Amandine Truffy lâche sur scène : «On nous a trop appris ce qui s’était passé, mais pas assez ce qu’on devait faire»… Oui, «se réapproprier son histoire, c’est un premier pas vers la liberté». Et contrairement à l’idée d’un «grand soir», «un monde se change par petits morceaux». Comme autant de souvenirs, légers, pétillants, et pourtant essentiels.

Grégory Cimatti

Vendredi à 20h, à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette

 

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