Sixième édition du Fundamental Monodrama Festival, avec ses artistes, comédiens, danseurs et autres performers, une nouvelle fois seuls sur scène. Un art qui ne doit rien au hasard. Ce sont des spécialistes qui le disent.
Luc Schiltz (Discopolitik), Denis Jousselin (À portée de crachat), Max Thommes (Medea Material), Leila Schaus (The Immortals) et encore Anne Simon (metteur en scène de Mirrors) évoquent ce délicat exercice. Tous seront présents au Fundamental Monodrama Festival 2015 qui, cette année, vise large avec une programmation tournée aussi vers les enfants («MiniMono»), aux œuvres en cours de création («MonoLabo») et hors les murs («TaTi : Take Time»).
Anne Simon : «Personne ne peut vous sauver»
«C’est l’acte, à mes yeux, le plus difficile. Être seul en scène, c’est accepter d’être sans aide. Personne ne peut vous sauver. Certes, cette mise en danger induit parallèlement une plus grande liberté. On est indépendant, confronté à moins de barrières même si, il est vrai, être face à un ou plusieurs partenaires, ça reste un bel appui. Bref, il y a là un équilibre à trouver, et c’est ce qui fait du monodrame une forme théâtrale très intéressante.
En tant que metteur en scène, la relation de travail est de surcroît très différente avec un seul comédien qu’une troupe en entier. On est dans l’ordre de l’intime, du personnel, du privé… Des fois, on n’est même plus dans le théâtre! Je me rappelle qu’avec Steve Karier, pour Swimming to Iraq (NDLR : présenté en 2010 au Fundamental Monodrama Festival), on répétait dans sa cuisine. Et au final, lui ne jouait pas et moi, je ne mettais pas en scène : j’étais plutôt le premier spectateur et regardeur. Enfin, l’un des rôles en toutes circonstances du metteur en scène, à savoir donner la confiance et la sécurité, devient plus évident avec le solo.»
Denis Jousselin : «M’écouter moi-même, ça me saoule !»
«Personnellement, je préfère – et de loin – être au milieu d’une troupe. Au théâtre, j’aime être avec d’autres personnes, car ce sont les interactions entre elles qui créent la part de danger qui me nourrit. Je trouve que l’exercice du monologue est moins périlleux, même si c’est loin d’être évident. Mais ce qui me manque dans cette disposition, c’est d’être à l’écoute des gens sur scène, car ce sont bien les échanges qui me passionnent. M’écouter moi-même, ça me saoule! Être seul en scène, non, ce n’est pas mon truc…
À portée de crachat est ma seconde pièce en solo. La première – La Nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès, également dans une mise en scène de Sophie Langevin – était avant tout la défense d’une écriture, texte qui, il faut le préciser, est une longue phrase de 1h30… Là, je me sens moins légitime. C’est en effet bizarre de porter la parole, l’histoire de quelqu’un, surtout quand elle est autant personnelle. J’ai eu vraiment du mal à me situer, à saisir toute la teneur des propos. Bon, mon voyage en Palestine m’a permis de mieux saisir le combat quotidien de ces gens-là, dans leur quête de reconnaissance, mais c’est tout. Et au final, À portée de crachat m’a apporté plus de questions que de réponses.»
Leila Schaus : «Ça implique une part de schizophrénie»
«En tant qui comédienne et metteur en scène, je trouve le processus intéressant. Déjà pour ce petit côté dangereux, parce qu’être seule en scène, c’est avancer sans filet. Ensuite, parce que dans le fond, comme la forme, on est dans quelque chose de plus viscéral, de l’ordre de l’intime. Après, ce qui est certain, c’est que cette approche nécessite plus de travail, ne serait-ce simplement par le fait que, sur scène, il n’y a pas d’action-réaction. Il m’arrive alors de m’imaginer quelqu’un qui me donne la réplique. Oui, ça implique une part de schizophrénie (rire).
Pour The Immortals, l’expérience du solo était d’autant plus singulière qu’à New York, je me suis glissée dans la peau de personnage célèbre (Lysistrata, Dom Juan…) tout en me confrontant à un public non averti. Là, il n’y avait plus de limites, comme celles posées par un théâtre (lieu fermé, existence d’une pièce…). J’étais à la merci des passants, dans un mélange de jeu, d’improvisation et d’interaction. En plus, j’étais Médée qui, pour mémoire, a tué ses enfants pour se venger de son mari. Et quand la fiction se mêle à la réalité, ça peut être assez cocasse… J’ai ainsi rencontré un couple hongrois qui est resté une demi-heure en ma compagnie, persuadé que j’avais besoin d’aide (rire).»
Max Thommes : «Quelque chose de complètement à moi»
«Ce qui me plaît vraiment, c’est d’avoir quelque chose de complètement à moi, en maîtrisant un projet de sa conception à sa réalisation. Travailler seul le permet : on reste ainsi créatif sans dépendre de la fantaisie d’une autre personne…
De plus, sur scène, on a la liberté de prendre le temps que l’on a besoin, voire d’improviser quand ça semble nécessaire. La pièce est à vous. Sans oublier le rapport fort qui s’établit avec le public, à mes yeux plus énergique, dynamique qu’avec une troupe. Disons que la proximité est directe, plus intense. Pour Medea Material, le principe est justement de renforcer cette liberté, sachant qu’on est là avec une pièce qui ne raconte pas une histoire, mais qui véhicule plutôt des émotions, à travers un mélange de monologue et de musique. C’est un drôle d’objet, artistique, et surtout très impactant, agressif.»
Luc Schiltz : «On n’est jamais vraiment seul»
«Le seul en scène devient une pratique courante, notamment pour des questions de budget (rire). Pour moi, cet art implique une responsabilité vis-à-vis du texte, comme du rythme et de la tension qu’on y injecte. Chaque fois que ça m’est arrivé, en tout cas, je me dis toujours la même chose : « Ça y est, c’est parti, lance-toi dans le gouffre ! »… Après, que l’on soit seul ou accompagné d’un ou plusieurs partenaires, le théâtre reste le même : c’est un art solitaire qui se pratique en groupe! On reste toujours face à soi-même, même perdu au milieu d’autres comédiens sur scène.
Cela dit, en creusant bien, peut-on parler de solo quand on a devant soi un public – qui est votre premier partenaire – et des personnes en coulisses, aux lumières ? On est certes seul face à son art, mais toujours soutenu (rire). C’est justement ce qui me plaît le plus dans ce métier : être sur le fil et, le temps d’une heure, être hors de tout, du temps, de l’espace… Un mélange d’abandon et de présence plutôt addictif. Un piment qui se retrouve encore plus en solo, car le rapport aux spectateurs est différent, plus puissant. J’espère que ça s’observera avec Discopolitik – We’re Fucked, Let’s Dance !, sorte de « one man shoot » original. C’est la première fois que je fais un truc pareil !»
Grégory Cimatti