Revoir le Collectif Mensuel débarquer au Luxembourg est un plaisir coupable. Un quintette vandale jouant dans l’un des temples du libéralisme assumé, avouez que la réunion prête à sourire! D’ailleurs, dès la première rencontre, les bases étaient posées : avec L’Homme qui valait 35 milliards, pièce imaginant le rapt rocambolesque de Lakshmi Mittal, patron d’Arcelor, la bande de Liège mettait les pieds dans le plat. Dans la foulée de cette charge maligne, qui racontait le déclin industriel, la misère sociale et l’émancipation par l’art, voilà qu’elle revenait à la charge avec Blockbuster, détournement jubilatoire de 1 400 plans de films américains pour parler, derrière les rires, de la violence de la classe dominante à l’égard du peuple.
C’est un fait : le Collectif Mensuel aime le burlesque et le démontre avec énergie sur scène. Mais il défend parallèlement un «théâtre de sens», ancré dans les problématiques de son temps. Pour résumer, se marrer, c’est sympa, mais il y a un temps aussi pour réfléchir ! Alors, pour rappeler aux spectateurs que dehors, le monde fonce clairement dans le mur, il use de multiples artifices, qu’il manie comme un chef sur une scène aux airs de bric-à-brac : bruitages à l’ancienne, faux doublages sur des séquences de films projetés, manipulations d’objets, jeux de caméra, sans oublier une musique «live» orchestrée par deux touche-à-tout : Quentin Halloy et Philippe Lecrenier. Un joyeux remue-ménage qui passe ses idées avec bruit et inventivité, le tout sans donner de leçon, ni tomber dans le catastrophisme.
Direction une île perdue au milieu du Pacifique
Sabordage, sa nouvelle production chahutée, comme beaucoup d’autres, par la pandémie, n’en perd pas moins de sa pertinence. Il en effet ici question d’écologie et de folie des hommes, thématiques si larges qu’il a fallu trouver un point d’accroche pour ne pas s’y perdre. Le Collectif Mensuel l’a découvert au beau milieu du Pacifique Sud, un minuscule point sur l’eau de 21 km2 : l’île de Nauru. Oui, «des anecdotes surgit la grande Histoire», comme ils disent, et ce choix en est une preuve étonnante. «Incroyable, mais vrai !», tiennent même à préciser, en chœur, les trois comédiens (Sandrine Bergot, Baptiste Isaia, Renaud Riga), juste avant de lancer les hostilités durant deux soirs au Kinneksbond (Mamer).
On prend donc sa crème solaire et on plonge vers l’Océanie, au cœur d’un bout de terre luxuriant et pacifique. De sa découverte (ou conquête, c’est selon où l’on se place), un explorateur britannique ramènera avec lui un caillou qui, bien plus tard, sera reconnu comme étant du phosphate (utilisé principalement comme engrais). Une richesse naturelle qui va faire la fortune de Nauru, comme son malheur. Du miracle économique (dans les années 80, il était considéré comme l’un des pays les plus riches du monde) jusqu’au désastre écologique. Une «belle histoire» qui dépeint le capitalisme dans tout ce qu’il a de plus charmant : expropriation, surexploitation, cynisme à tout crin… Aujourd’hui, l’île est ruinée, les migrants s’y entassent, tenus du bras par l’Australie, la population survit difficilement et en deux générations, sa culture a été totalement balayée.
Dans un rythme d’enfer, emmené parfois par de la musique klezmer, le Collectif Mensuel a, encore une fois, fait le travail, s’offrant même, dans les dix minutes de la pièce, un sursaut révolutionnaire et des perspectives positives – importantes en ces temps nébuleux. Avec lui, on est finalement comme de grands enfants, invités derrière le rideau, là où l’on découvre les ficelles, les petites astuces : cette façon d’agir sur le décor, d’imiter avec des accessoires «maison» le bruit d’un swing au golf, de changer les voix de Gérard Depardieu, Marlon Brando, Anthony Hopkins, Mel Gibson… Dommage qu’il n’ait pas, parmi ses multiples talents, la possibilité de «pouvoir changer le monde», comme dit l’un des comédiens. Ça aurait été bien utile pour le coup… On se consolera en se disant que leur prochaine pièce s’intéresse à la superbe BD de Fabcaro (ZAÏ ZAÏ ZAÏ ZAÏ), conte surréaliste qui se moque, entre autres, de la consommation, de la médiatisation à outrance et de l’abrutissement des masses. Espérons que le monde tienne le coup d’ici là.
Grégory Cimatti
Sabordage du Collectif Mensuel
Avec Sandrine Bergot, Baptiste Isaia, Renaud Riga, Quentin Halloy et Philippe Lecrenier
Durée 1 h 30
Lieu Kinneksbond – Mamer
Un joyeux remue-ménage qui passe ses idées avec bruit et inventivité