Le metteur en scène français Dominique Pitoiset est de retour au Grand Théâtre, ce soir et demain, avec la pièce qui valut le Pulitzer et un Tony Award à Tracy Letts, « Un été à Osage County ». Jubilatoire !
Les décors réalisés par les Ateliers des Théâtres de la Ville de Luxembourg reprennent l’architecture nord-américaine des années 50-60 dans une maison toute en transparence. (Photos : Cosimo Mirco Magliocca)
Sur le papier, c’est un grand écart théâtral que propose Dominique Pitoiset entre son Cyrano de 2013 et son Été à Osage County cette année. Classique d’un côté, contemporain de l’autre. Théâtre français contre théâtre nord-américain. Alexandrins nobles contre prose qui fait mal. Intrigues de noblesse, contre histoires de famille au fin fond de la Bible Belt américaine.
Et pourtant, Dominique Pitoiset voit, dans cette nouvelle pièce, une suite logique dans son travail de ces dernières années, puisque cette œuvre entre aussi bien dans son « cycle nord-américain », composé de Qui a peur de Virginia Woolf ? d’Albee et de Mort d’un commis voyageur de Miller, que dans sa « saga des misanthropes » : « À travers le père, Beverly, qui aurait été un grand personnage de cette lignée de misanthropes s’il ne mettait pas fin à ses jours à l’issue du prologue de la pièce », souligne-t-il. Toute la pièce fonctionne néanmoins « en creux, dans l’absence de ce personnage ». Une mort nécessaire pour réunir tout le clan Weston.
Cela dit, niveau misanthropie, la mère, Violet, met elle aussi, la barre assez haut. « Un monstre », dira même d’elle le metteur en scène, pour qui elle représente désormais également « un des plus beaux rôles féminins du répertoire contemporain ». Un rôle de vieille femme acerbe, rongée par la maladie et les excès de médicaments, qui n’a plus envie de prendre des gants avec les gens, et qui n’hésite plus à dire la vérité, même quand elle blesse, que Meryl Streep a magnifiquement incarné dans l’adaptation cinéma de la pièce et qu’Annie Mercier fait sien dans cette mise en scène de Pitoiset, créée en novembre dernier sur la scène nationale Bonlieu d’Annecy et coproduite par les Théâtres de la ville de Luxembourg.
« C’est une pièce de femmes, avec sept rôles féminins majeurs et des hommes assez faibles, reprend le metteur en scène, une pièce à la fois très « yankee », avec une sorte de revers de la médaille du rêve américain avec ces anciens intellectuels qui ont sombré dans la dépression et l’alcoolisme dans cet endroit paumé et aride. Et à la fois une pièce universelle sur des rapports mère-fille et les règlements de comptes autour de lourds secrets de famille. » Et il poursuit : « une sorte de Festen au féminin » ou encore « comme un « OK Corral familial ». Des références qui ne laissent, même pour ceux qui ne connaîtraient rien à la pièce, au film ou à l’œuvre de Tracy Letts, que très peu de place au doute. Ici, chacun usera de sa voix comme d’un Colt et de ses silences comme d’un Smith & Wesson.
> « Dur comme une vérité qui se cherche »
Cela tape dur, c’est sans concession. Et, moralement, personne n’en sortira indemne. « C’est un chef-d’œuvre absolu sur les relations familiales », résume Dominique Pitoiset. Un drame terrible, plein de sarcasme, mais dans lequel on rit aussi beaucoup. « On sent chez l’auteur une grande empathie pour tous ses personnages. Il y a une vraie tendresse qui traverse toute la pièce. Même si c’est dur comme une vérité qui se cherche et des appels au secours dans la nuit. » Il sera question des problèmes de communication intergénérationnels, de manque de projets de société, de gens complètement largués… « Et cela, c’est un miroir cruel », balance le metteur en scène.
Autant de thèmes, de débats à ouvrir, de remarques à faire, lors du rendez-vous que l’équipe artistique du projet donne au public, ce soir, après la représentation de la pièce. « Ce n’est pas un simple service après-vente, souligne Dominique Pitoiset, mais une envie d’entamer une conversation et d’accompagner ce projet. C’est quelque chose que je fais souvent et qui plaît aux spectateurs. Cette fois, en plus, cela vaut vraiment la peine de raconter un peu plus l’écriture de Tracy Letts. » Avis aux amateurs.
De notre journaliste Pablo Chimienti
Grand Théâtre – Luxembourg. Ce soir et demain à 20h.