Partant de quatre textes puissants d’autrices, la metteuse en scène Catherine Schaub explore plusieurs formes du courage au féminin, dans sa pièce Le Courage au théâtre d’Esch-sur-Alzette que l’on pourra voir vendredi et dimanche. Entretien.
Au départ, quatre textes réunis depuis 2017 par Catherine Schaub et lus par leurs autrices – Céline Delbecq, Penda Diouf, Julie Gilbert, Camille Laurens – où il est question de lâcheté ordinaire, de violence domestique, d’un périlleux retour aux sources et de la violence en entreprise qui malmène les voix dissonantes… Pour la première fois, ces cris de colère sont repris sur scène par quatre comédiennes (Valérie Bodson, Charlotte Marquart, Céline Camara, Valérie Geoffrion) incarnant le courage à hauteur de femme.
Qu’est-ce qu’avoir du courage aujourd’hui ?
Avoir du courage, c’est oser l’optimisme!
Selon vous, c’est donc une notion positive…
Il y a tellement de choses qui ne vont pas qu’il faut tendre vers l’optimisme, au moins pour avoir envie de se battre encore.
D’où est né votre questionnement sur cette question ?
Ça a été déclenché par la mort de la philosophe Anne Dufourmantelle qui s’est jetée à l’eau pour sauver des adolescents en difficulté au large. Elle s’est noyée pour sauver des enfants, alors que les siens étaient sur la plage… Elle avait écrit en 2011 L’Éloge du risque et certains ont pris la parole pour dire « qu’elle n’aurait pas dû risquer sa vie », « elle aurait dû penser à ses enfants ». Pour certains, c’était un acte irresponsable, pour moi, c’était un acte de courage phénoménal. J’ai commencé à me demander : qu’est-ce que le courage aujourd’hui?
J’ai fait les vitrines de quelques magasins : certains vendent des tasses « Fort comme papa » et « Pipelette comme maman »! C’est hallucinant et ça fait des milliers d’années que ça existe…
Est-ce une valeur qui manque ?
Je pense surtout que ça n’est pas valorisé. Regardez les lanceurs d’alerte : ils mettent leur vie en danger pour la société, pour les autres, et ils deviennent de véritables parias. Quel discours met-on en avant, et quelles responsabilités prend-on face à des gens qui ont ces actes héroïques? Non, le message est clair : surtout ne faites pas de vagues.
En quoi cette notion varie, d’après vous, selon le fait que l’on soit un homme ou une femme ?
Je ne pense pas qu’il y ait une différence, mais aujourd’hui, c’est cette parole de femmes qui est mise en valeur. D’où cette envie de parler du courage au féminin, d’appuyer cette voix qui pousse, nécessaire aussi, car on l’a quand même fermé pendant pas mal de temps (elle rit).
Que pensez-vous, justement, des récents mouvements d’émancipation ?
Disons que je me suis réveillée avec la montée de ces mouvements. Tout est venue, chez moi, petit à petit. Ça commence par un texto que l’on écrit et que le téléphone corrige au masculin. Et ainsi de suite… On découvre plein de petites choses comme cela, et quand on met une loupe dessus, on se dit : mais pourquoi? Tous ces détails, aujourd’hui, m’assaillent. J’ai fait les vitrines de quelques magasins : certains vendent des tasses « Fort comme papa » et « Pipelette comme maman » ! C’est hallucinant, et ça fait des milliers d’années que ça existe. Du coup, je me suis rendu compte comment j’étais moi-même conditionnée…
Que suggérez-vous ?
D’abord, la parole des femmes doit être entendue et il faut que l’on change, ensemble, hommes et femmes, notre regard sur tout ça. Si ça s’équilibre, je pense que ça fera le plus grand bien à tout le monde. Attention, il est important d’apporter une parole qui ne soit pas elle-même en opposition. Ce qui est intéressant, c’est de regarder dans le même sens et de réfléchir ensemble à la manière d’harmoniser ces rapports de force. Je n’ai pas envie de dire que tous les hommes sont potentiellement des monstres !
Les quatre textes, pris ensemble, peuvent-ils être vus comme un kaléidoscope de la condition de la femme aujourd’hui ?
Oui, c’est là-dessus que l’on est partis. Ça pourrait être presque quatre facettes d’une seule et même femme. Les autrices – à part Camille Laurens – sont toutes jeunes, et c’est en effet intéressant de les réunir pour aborder leurs points de vue.
Que partagent-elles ?
Chez elles, il y a une forme de rage, de colère plutôt, sous-jacente, qui les anime. Le texte de Julie Gilbert, par exemple, raconte l’histoire de la lanceuse d’alerte Yasmine Motarjemi qui, depuis douze ans, est en procès contre Nestlé. Aujourd’hui, elle en est à un point où plus rien ne va dans sa vie : elle est malade, elle a tout perdu… Pourtant, cette femme extraordinaire ne lâche rien. Elle tient trop à sa dignité.
En tant que metteuse en scène, vous avez dû inventer les liens entre les quatre textes. Quelle a été votre orientation ?
Il y a sur scène un homme, quand même (elle rit). Un musicien (NDLR : Aldo Gilbert) qui fait chanter toutes ces femmes. Comme le sujet est intense, qu’il prend au ventre, je me suis dit qu’il fallait trouver une forme ludique pour enrober le tout. Il y a même un quiz sur le machisme ordinaire ! Les corps et leurs mouvements sont aussi importants. Au final, c’est comme une sorte de cabaret, avec un fond assez grave.
Les précédentes lectures s’achevaient sur une phrase de Jean-Paul Sartre : « L’important n’est pas ce que l’on fait de nous, mais ce que nous faisons de nous ». Que faut-il comprendre ?
Il s’agit de se projeter, une fois que le problème sera totalement posé. Que proposera-t-on alors ? Comment va-t-on se comporter ? Ce qui compte, c’est ce qu’on va faire de tout ça.
Un mot sur l’égalité hommes-femmes dans le spectacle vivant…
Déjà, le fait que Carole Lorang soit la directrice du théâtre d’Esch, c’est très encourageant ! En France, les choses bougent doucement, mais c’est encore faible. Si on imagine que 50% de la population est composée de femmes, c’est se priver de 50% des cerveaux pour inventer, créer… C’est dommage qu’on ne s’en serve pas.
Entretien avec Grégory Cimatti
EN SCÈNE
Le Courage au théâtre d’Esch-sur-Alzette, vendredi à 20 h et dimanche à 17 h.
Pendant la représentation du dimanche, vos enfants pourront s’épanouir dans le cadre d’un atelier créatif. Ce format, gratuit, est ouvert aux enfantsde 6 à 12 ans. Inscription : ateliers.theatre@villeesch.lu
Des auteurs restent des auteurs même si ce sont des femmes.
Cette manie de saboter la langue française sous divers prétextes est insuppportable.