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[Théâtre] Norma Jeane Baker de Troie : des remparts à Sunset Boulevard 


Anne Carson mêle les destins de Norma Jeane Baker, alias Marilyn Monroe, et Hélène de Troie, pour parler des femmes face à la violence des hommes. Un texte adapté pour la première fois sur scène par Pauline Collet et Pascale Noé Adam.

C’est l’histoire de deux femmes qui, comme le dit la metteuse en scène Pauline Collet, «n’auraient jamais dû se rencontrer». Deux figures iconiques séparées de plusieurs siècles, mais qui partagent une beauté troublante, de celle capable de déclencher des guerres. «Ce sont des armes de destruction massive!», ajoute-t-elle.

À ses côtés, la comédienne Pascale Noé Adam, autre figure centrale de la pièce, n’a pas enfilé sa perruque blonde coupée court façon «punk», la même qu’elle porte depuis un an, date des premières mises en bouche et répétitions, grâce à laquelle elle se transforme et se démultiplie. «Oui, la schizophrénie me guette!», rigole-t-elle. Blagueuse, elle redevient sérieuse quand il s’agit d’évoquer le texte d’Anne Carson, objet sophistiqué qu’elle résume pourtant en une phrase : «C’est une tragédie gréco-hollywoodienne!»

Derrière la simplicité de la formule, le duo, depuis qu’il a décidé de mettre en scène – une première – ce court livre où se côtoient le théâtre, la poésie, la pop culture et les légendes anciennes, avoue avoir l’impression de «gravir une montagne», dans la forme et le fond. C’est Pascale Noé Adam qui l’a découvert en premier, d’emblée emballée par tout son potentiel et sa singularité.

Dans ce qu’elle voit comme un rôle de prestige, loin de ceux de «faire-valoir» qu’elle a connus et acceptés à contrecœur par le passé, elle va alors se tourner vers une personne de confiance capable de la mettre dans un bel écrin. Ce sera donc Pauline Collet, rencontrée sur Roulez jeunesse! de Luc Tartar en 2017. «À aucun moment, je n’ai eu envie de le partager avec quelqu’un d’autre», confie-t-elle. Surtout qu’un tel «challenge» nécessite quelques compétences, notamment en ce qui concerne  la «direction d’acteurs».

Un «objet sonore et lumineux»

La suite s’apparente à un parcours du combattant, ou plutôt à un «sketch», selon la comédienne. Il faut déjà s’emparer des droits, ce qui le disperse entre Paris, Londres et Broadway. Puis financer le tout, ce qui deviendra un «projet transfrontalier» où les coûts se partagent entre le collectif Bombyx de Luxembourg et la Compagnie 22 située à Metz.

L’approche «Grande Région» se retrouve aussi dans les résidences, nombreuses, auxquelles a participé le duo depuis juin, comme autant d’«étapes dans l’avancée du travail». Il y aura la Kulturfabrik, l’abbaye de Neimënster, l’Espace Bernard-Marie Koltès (Metz) et le Gewerkschaftsraum (Dudelange). «Ce n’est pas une pièce qui se monte en trois semaines : elle réclame du souffle, du recul, du temps… Sinon, ça sonne faux!», commente Pauline Collet.

Au bout de ces «ajustements» permanents, dans des salles de différents calibres, Norma Jeane Baker de Troie offre deux premières représentations, début octobre, à l’Opderschmelz, apparemment réussies. «Deux dames sont venues me voir après pour me dire : « C’était super, mais ça, il faut le jouer à Paris, pas à Dudelange! »», rembobine Pascale Noé Adam. Depuis, selon les aveux Pauline Collet pour qui «un spectacle se rode en 20, 30 dates» (ce qui arrive rarement, pour ne pas dire jamais), la pièce a «changé», mais a gardé son aspect «exigeant», voire «professoral».

La metteuse en scène précise : «C’est un texte qui se suffit à la lecture, n’appelle pas forcément le plateau.» Cela implique de faire des choix stylistiques, notamment pour adoucir les propos, très «littéraires», qui pourraient être assommants, voire clivants, pour le public. Décidée à ne pas niveler sa production par le bas, le tandem s’oriente alors vers un «objet sonore et lumineux», placé sous l’expertise de Manu Nourdin et Théo Berger. De quoi soutenir Pascale Noé Adam dans son monologue. «Je n’ai pas l’impression d’être seule, dit-elle. C’est comme si je les avais avec moi sur scène.»

«Ce n’est pas une pièce anti-homme!»

Faite de phrases «incisives» qui se relient progressivement comme dans «un film d’Almodovar», la pièce entrecroise donc deux destins. Sous les projecteurs, Norma Jean Baker, déclinaison naïve de ce qui deviendra Marilyn Monroe, raconte son histoire comme si c’était celle d’Hélène de Troie, dans la version d’Euripide. Pour cet auteur tragique du Ve siècle avant J.-C., cette dernière, cachée par les dieux, trompe son ravisseur, Pâris, qui n’enlève finalement qu’un nuage. Conséquence : les Troyens et les Grecs se battront pendant dix ans… pour une illusion.

Un mirage que l’on retrouve aussi au cœur de l’industrie hollywoodienne, faiseuse de sex-symbols qui, au regard du public, n’existent qu’à travers leurs images. Une superposition de deux vies qui permet de montrer le drame de ces femmes transformées en butin par les hommes, la violence faite à leur encontre en raison de ce statut réducteur, les stratagèmes qu’elles déploient pour y échapper, et les mensonges qu’elles se racontent pour survivre.

Pauline Collet : «Anne Carson dresse un parallèle entre le fait d’être une femme et d’être en guerre, de manière globale, permanente aussi. Et suggère comment, dans ce sens, elle peut trouver son chemin vers la liberté. Les possibilités pour s’en sortir sont assez restreintes»,  songe-t-elle, avant de souligner que Marilyn Monroe, elle, n’y est pas parvenue. Si quelques figures masculines traversent la pièce, toutes incarnées par Pascale Noé Adam (Truman Capote, Arthur Miller, Fritz Lang), les intentions sont clairement féministes, ou du moins féminines.

«Ce n’est pas une pièce anti-homme, bondit la metteuse en scène, mais plutôt contre la violence. Seulement, celle-ci est exercée par qui?» Loin d’être duale, cette «histoire de femmes» multicouches, qui évoque aussi bien la mythologie que «le jeu, la comédie», s’enracine pleinement dans les questionnements de l’époque et dans la programmation du Centaure. Surtout que jusque-là, concluent-elles d’une même voix, rassurantes, «aucun homme ne s’est plaint!»

C’est une tragédie gréco-hollywoodienne!

La pièce

Qu’est-ce que Hélène de Troie et Norma Jeane Baker, alias Marilyn Monroe, pourraient bien avoir en commun? Ce sont deux figures féminines célèbres à travers le monde qui se sont construites une image, une illusion pour garantir leur survie. Les dieux cachent Hélène en Égypte, tandis que Pâris enlève un nuage qui a son apparence. Norma Jeane, elle, construit son propre mythe, Marilyn Monroe, une star hollywoodienne naïve couleur blond platine. Ces deux femmes ne seraient-elles que des illusions? En tout cas, elles sont l’objet du désir. Elles déclenchent des envies de possession. Elles déclenchent des guerres…

«Norma Jeane Baker de Troie»
Première ce soir à 18 h 30.
Jusqu’au 29 novembre.
Théâtre du Centaure – Luxembourg.