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Théâtre : Myriam Muller prend les rênes du Centaure


Myriam Muller reprend la direction artistique du théâtre du Centaure avec la volonté de professionnaliser un endroit fonctionnant encore en grande partie grâce au bénévolat. (photo Hervé Montaigu)

La comédienne, metteuse en scène et réalisatrice Myriam Muller prend, à partir de cette saison, la direction artistique du théâtre du Centaure. Rencontre.

Fondé en 1973, le théâtre du Centaure a réussi à se faire un nom, aussi bien aux niveaux national, régional qu’international –malgré sa toute petite salle de 50 places aménagée dans une cave voûtée –grâce à un programme de qualité, pertinent et revendicatif mis en place depuis près de 25 ans par sa directrice artistique, Marja-Leena Junker. À 70 ans, cette Finlandaise installée au Grand-Duché depuis 1966 a passé le flambeau, «contente et rassurée», à son ancienne élève du Conservatoire, Myriam Muller.

En attendant la présentation, le 30 septembre, de la première saison du Centaure de l’ère Muller, Le Quotidien est allé à la rencontre de la nouvelle directrice.

Le Quotidien : Vous succédez à Marja-Leena Junker à la direction artistique du théâtre du Centaure. Comment cela s’est-il passé?

Myriam Muller  : Assez naturellement. Sachant que j’allais de plus en plus vers la mise en scène, il semblait clair que j’allais reprendre la direction artistique quand Marja-Leena Junker déciderait de passer la main. On en parlait depuis, quoi?, trois ans peut-être. Ce qui me convenait bien, car ça me laissait le temps de finir mes projets et de m’habituer à l’idée. Mais bon, il y a un comité et c’est à lui que revenait cette décision.

D’abord, il y a eu Pierre Bodry qui a quitté la direction administrative –  la tâche la plus ingrate et la plus volumineuse de la maison, un poste repris depuis par Jules Werner  – et puis, comme elle l’avait annoncé, Marja-Leena, qui a vraiment donné ses lettres de noblesse à ce théâtre, a aussi décidé d’arrêter à l’occasion de ses 70 ans. Désormais, avec Jules (NDLR  : il est l’époux de Myriam Muller), on en rigole, car, à nous deux, on se partage, avec le Centaure, un travail à plein temps bénévole, tout en travaillant ailleurs pour nourrir notre famille nombreuse (NDLR  : le couple a trois enfants).

C’est un rêve d’avoir « son » théâtre?

Non. Pas un rêve. Je ne pense pas que quand on commence, à 18 ans, à vouloir être comédienne, on rêve d’avoir un lieu comme ça. Si on commence en tant que metteur en scène, peut-être. Mais ce n’est pas mon cas. Pour moi, ça rentre dans la logique d’un parcours, d’une évolution professionnelle.

Vous avez été comédienne, chargée de cours au Conservatoire, metteuse en scène de théâtre, réalisatrice de cinéma…

Voilà, c’est justement ça. Tout ce que j’ai fait, tout ce que je continue à faire, raconte la même histoire et a le même but.

Lequel?

Celui de donner la possibilité aux gens de raconter et d’écouter des histoires. Après, peu importe qu’on se situe en haut, en bas ou à côté de cette histoire, finalement c’est la même chose. Et diriger un théâtre, c’est de nouveau gérer des équipes, choisir des pièces, choisir des gens, etc. Un peu comme un metteur en scène, mais sur toute une saison et qui passe la main aux autres. Après, chacun voit le travail de directeur artistique à sa façon. Et je pense que Marja-Leena et moi, là-dessus, on n’a pas tout à fait la même vision.

C’est-à-dire?

Ne serait-ce que parce que, moi, j’ai envie de continuer à travailler ailleurs, sur d’autres projets et ne pas avoir toujours le tampon « théâtre du Centaure » sur tout ce que je fais. Je veux pouvoir séparer les deux. J’ai envie de faire de la mise en scène ici, mais aussi de travailler comme un producteur. Marja-Leena, en plus de ses mises en scène, recevait des propositions dans lesquelles elle piochait.

Moi, par la force des choses, comme personne ne savait que j’allais reprendre la direction artistique, on ne m’a rien proposé pour la première saison. D’où ce travail de producteur que j’ai dû faire. J’ai sorti tous mes livres de la bibliothèque, tout relu et trouvé des pièces qu’il m’a semblé important de monter, là, maintenant. Comme je ne vais pas mettre en scène toutes les pièces de la saison, je les ai donc proposées à d’autres personnes. Un peu comme faisait Frank Feitler (NDLR  : directeur des Théâtres de la Ville qui vient, lui aussi, de prendre sa retraite) avec moi et avec d’autres metteurs en scène.

MYRIAM MULLER

« Notre véritable avantage, c’est la proximité entre le public et les comédiens », souligne Myriam Muller. (photo Hervé Montaigu)

La saison 2015/16 ne sera présentée que le 30 septembre, mais sans nous la dévoiler, de quoi va-t-on parler?

Du monde dans lequel nous vivons. Je ne sais pas si je vais fonctionner par thèmes, car je pense que, de toute façon, un thème ressort au fur et à mesure avec les pièces que tu choisis. Mais il est clair que les pièces qui m’ont parlé quand j’ai relu tout ce que j’ai trouvé, ce sont celles sur comment nous concevons le monde aujourd’hui. Pour moi, le théâtre est générationnel.

Si on voit aujourd’hui d’anciennes mises en scène de Vitez (NDLR  : administrateur général de la Comédie-Française décédé en 1990), ça reste très beau, mais ça a terriblement vieilli. C’est long et ennuyeux. Ça n’enlève rien à la qualité exceptionnelle de ce que cet homme a donné au théâtre, c’est juste qu’on ne fait plus du théâtre aujourd’hui comme on le faisait il y a trente ans. C’est pourquoi, dans une programmation, il me semble important de parler du monde d’aujourd’hui. Quitte à ce que, dans dix ans, on la trouve terriblement vieillie. Le théâtre, c’est quelque chose de vivant. C’est aussi ça qui le rend exceptionnel.

Finis les classiques alors?

Non, il y aura toujours une pièce classique au Centaure, ne serait-ce que parce que ça fait partie de nos cahiers des charges de faire des pièces pour les scolaires.

La salle et la scène sont petites, ce qui impose des pièces avec peu de comédiens, des décors tendant vers le minimalisme. Comment voyez-vous cela? Comme une contrainte ou comme un avantage?

Ni l’un ni l’autre. Ou les deux à la fois. C’est un fait. On doit faire avec cette réalité et en tirer le meilleur. Mais c’est vrai qu’il y a quelques metteurs en scène qui sont un peu frustrés ici. La scène est telle qu’on ne peut même pas faire courir un comédien par exemple. Mais d’un autre côté, ça oblige à aller à l’essentiel. À chercher tout de suite ce que raconte la pièce. C’est donc une contrainte et un avantage.

Mais c’est certain, on ne monte pas une même pièce de la même manière ici ou dans un autre théâtre. Par contre notre véritable avantage, c’est la proximité entre les comédiens et le public. Le spectateur, ici, vit quelque chose d’assez unique. On a vraiment l’acteur là, juste devant soi, on le voit évoluer, respirer, vivre… Et ça, ça rattrape les trois frustrations que peut avoir une metteuse en scène ou le fait qu’un comédien ne peut pas courir sans se prendre un mur.

Hosanna, au théâtre du Centaure en mai dernier, avec Dennis Jousselin et Serge Wolf. (photo archives LQ)

Hosanna, au théâtre du Centaure en mai dernier, avec Dennis Jousselin et Serge Wolf. (photo archives LQ)

Et puis, vous, Marja-Leena et d’autres avez déjà prouvé par le passé que ces contraintes n’empêchent pas de faire de très belles pièces avec un casting important, de l’action, etc.

Tout à fait. Il faut travailler sur tous les niveaux de la salle, avec la scène, l’escalier… Il n’y a pas de secret, il faut aller là où il y a de la place pour se mettre.

Vous disiez, plus tôt, que la direction artistique du Centaure, c’est quasiment un emploi à plein temps, bien que bénévole. Comment allez-vous faire pour continuer avec votre travail de comédienne, de metteuse en scène, de réalisatrice, etc.?

Je n’ai pas peur du travail. J’ai toujours beaucoup aimé travailler. Par contre, il faut trouver le temps de tout faire, c’est clair. Et pour ça, il faut s’organiser pour que ça n’empiète pas trop sur le temps consacré à la famille.

Surtout quand on fait du bénévolat, comme c’est votre cas.

Voilà. Cela dit, au niveau du bénévolat, c’est quelque chose qu’on aimerait, Jules Werner et moi, voir évoluer. On pourrait, avec la convention culturelle qu’on a, se payer pour une ou deux pièces pour notre travail. D’autres associations le font d’ailleurs. Probablement à raison. Mais on n’est pas juste une association de spectacle vivant qui fait des productions à droite ou à gauche.

Ici, on a une salle à faire vivre toute l’année. D’autant que c’est une cave et que si on ne l’entretient pas, elle va vite dépérir. Un lieu historique, au centre de Luxembourg, alors que les gens se plaignent toujours qu’il ne se passe plus rien après 18  h au centre. Ben si, nous on veut continuer à faire des choses.

Marja-Leena Junker, le 1er juillet dernier. La Finlandaise a passé le flambeau du Centaure. (photo archives LQ)

Marja-Leena Junker, le 1er juillet dernier. La Finlandaise a passé le flambeau à son ancienne élève du Conservatoire. (photo LQ)

Vous parliez plus haut de Marja-Leena, « qui a donné ses lettres de noblesse à ce théâtre ». Il est vrai que, quand on a traîné à Avignon pendant le festival, si on parle du Luxembourg, là-bas, on ne connaît que le Grand Théâtre et le Centaure. Et ils n’imaginent pas à quel point la salle du Centaure peut être petite. Comment expliquer cette réussite avignonnaise?

Déjà parce que ça fait de longues années, depuis 1999 si je ne me trompe pas, que le Centaure est présent au Off d’Avignon. Et puis, je crois qu’il ne faut pas rougir en disant ça, grâce à la qualité de ce que le Centaure propose. Les spectacles qu’on a envoyés à Avignon ont su imposer un style et ont bien marché à chaque fois. Ce qui fait que, désormais, on a, à Avignon, un public fidèle qui, parce qu’il a aimé ce qu’on a proposé par le passé, revient voir ce qu’on propose de neuf.

Ça vaut donc vraiment la peine d’aller à Avignon, même si c’est beaucoup de travail et que ça coûte cher.

Oui, bien sûr. C’est important pour nous de sortir de notre cave et de notre petit pays pour se mesurer à d’autres gens du théâtre et à un autre public. Parce que le problème, au Luxembourg, c’est qu’on joue toujours un peu devant les mêmes personnes. On est ravis d’avoir ce public fidèle, mais il est trop restreint.

Comment changer ça?

C’est un vrai challenge. Et tous les théâtres se posent la même question. L’offre et la demande, avec le nombre de salles que nous avons, sont totalement déséquilibrées. C’est donc utopique de penser qu’on va remplir la salle tous les jours, mais c’est clair qu’on doit tout renouveler et élargir notre public.

Il y a plusieurs pistes possibles. On va voir comment ça se passe. Déjà en ayant une plus grande visibilité, avec ne serait-ce qu’une pancarte à l’extérieur du théâtre, et puis en proposant une programmation qui tend vers un théâtre un peu plus jeune. Le tout sans tomber dans un théâtre commercial, car on va, bien évidemment, continuer à faire de la création et à proposer des auteurs inconnus qu’il nous semble important d’apporter au Luxembourg.

Donc, pour résumer, le passage de témoin entre Marja-Leena et vous, est plus une évolution qu’une révolution.

Oui et non. Il y a quand même beaucoup de choses qu’on veut changer avec Jules Werner. Entre autres, dans le côté amateur de la structure. Marja-Leena est devenue une professionnelle extraordinaire, mais venait de l’amateurisme. Elle s’en revendiquait même. Jules et moi, on a fait ça toute notre vie, on a étudié ce métier et on veut donc professionnaliser l’endroit. Moi, je n’ai rien contre le bénévolat.

Mais, voilà, c’est de plus en plus compliqué de trouver des bénévoles. Tout le monde le dit. Bref, pas sûr que les gens verront ce changement, mais on y travaille. Après, au niveau purement artistique, là, oui, pourquoi changer quelque chose qui marche? On a déjà la qualité, de bons metteurs en scène, de bons comédiens, de bonnes pièces. Il n’y a rien à changer.

Le directeur administratif étant votre mari, vous ne craignez pas qu’on vous reproche une prise en main familiale de l’endroit?

On le fait sûrement déjà. C’est inévitable. Et nous aussi, on y a beaucoup pensé avant d’accepter ça. Mais le fait est que, à part Jules, personne d’autre ne voulait s’occuper de l’administratif. Alors laissons les râleurs râler.

Pablo Chimienti

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