Autour des notions d’exil et de frontières, tant géographiques que mentales, la compagnie Pardes Rimonim s’interroge sur la crise migratoire et les réponses qu’on peut y apporter. Avec cette question, centrale : «Et si ça nous arrivait ?»
«Mais ceux qui ne sont pas remontés à la surface ? Nous ne saurons jamais rien d’eux…» En empruntant un passage à La Divine Comédie de Dante pour illustrer sa nouvelle pièce, la compagnie Pardes Rimonim – aperçue récemment au pays (Comme une chanson populaire, Un siècle) – dévoile clairement ses intentions : devenir un porte-voix de toutes ces âmes errantes, bloquées entre deux frontières ou perdues dans les lieux, transitoires ou non, dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.
Petit retour en arrière, en septembre 2015. Le corps d’Aylan Kurdi, Syrien de deux ans, est lui bien sorti des eaux, mais sa mort sur une plage de Turquie symbolisait, dans une image devenue virale, tout le drame des migrants du monde entier. «Ça a été un choc», se rappelle Amandine Truffy, compagne du metteur en scène Bertrand Sinapi et tous deux chevilles ouvrières du collectif messin. Elle poursuit : «On se voyait mal de ne rien faire, alors on s’est tourné vers les associations de solidarité pour apporter une aide concrète.» Leurs réponses l’ont déstabilisée : «On nous a dit : « L’important, c’est que vous donniez une voix à ce qui se passe. Faites du théâtre ! »»
Malgré le poids et la folle arborescence du sujet, voulant éviter le piège d’un «spectacle d’artistes pour artistes» – «Il n’y a pas que notre point de vue qui compte» – et conscient de l’erreur qui aurait été «de mettre les exilés d’un côté, et nous de l’autre», la compagnie, depuis 2016, s’est lancée dans une «complexe» entreprise : aller à la rencontre de réfugiés, de travailleurs sociaux et de gens «lambda» pour évoquer les notions d’exil, d’asile, de frontières. De centre d’accueil de demandeurs d’asile aux quartiers «sensibles», en passant par les ateliers de théâtre «El Warsha», populaires et interculturels, les langues se délient, et les témoignages se ressemblent.
C’est aussi notre histoire !
«Vite, on s’est aperçu que ces histoires ramènent à notre propre vécu, explique Amandine Truffy. On se dit : « Mais, mon grand-père, c’est ça qu’il a vécu quand il a quitté seul l’Italie… Oui, leur histoire se mêle à la nôtre.» Histoire de viser large, d’abord à Liège, puis en France, en Allemagne et également au Luxembourg, la compagnie fait même dans le micro-trottoir, récoltant de nombreuses réactions. «Les gens parlent facilement, tout le monde a un point de vue sur le sujet et beaucoup parlent de leur famille», soutient la comédienne.
Autant de déclarations qui seront audibles sur scène – «On voulait un choc de réalité» – et articuleront une pièce à la croisée du théâtre documentaire et de l’expérience musicale comme visuelle. Autant de messages dans de nombreuses langues (arabe, afghan, albanais, soudanais… toutes sous-titrées) qui se confrontent aux origines des différents interprètes, réunis au sein du réseau européen Bérénice – on y trouve notamment le violoncelliste grand-ducal André Mergenthaler. «C’était important de faire jouer ce miroir-là. C’est un sujet qui, au vu de notre situation, devient vite lointain, alors que c’est aussi notre histoire ! Il faut le remettre au cœur de nos vies.»
Dans une simplicité nue et poétique, sans oublier des ombres chères à Platon, symbolisant ce que nous devinons du reste du monde, Après les ruines remplit donc l’espace de jeu de nombreuses questions : qu’est-ce que tout cela bouge en nous ? Que révèle-t-il de notre récit national, de celui de l’Europe ? Comment réagit-on à cette vulnérabilité ? Qu’est-ce qu’on lègue comme héritage ? Et surtout, si on imaginait que ça nous arrive ? Se basant sur des histoire intimes, personnelles, pour chercher un prolongement universel – «C’est une obsession dans notre travail !» – la pièce, «sensible et politique», soulève aussi l’après. Celui d’un nouveau monde que cet exil, justement, vient bouger.
Grégory Cimatti
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette, mercredi 27 novembre à 20h. À noter que la pièce sera aussi représentée à l’Arsenal de Metz le jeudi 19 décembre