L’univers de Sébastien Thiéry, naviguant entre le boulevard à la Feydeau et l’absurde cher à Ionesco, revient au TOL. Après « Qui est Monsieur Schmitt ? » en 2013, voici « L’Origine du monde », mis en scène par Jérôme Varanfrain.
Sébastien Thiéry n’est pas que l’homme d’un happening, l’année dernière, quand il a débarqué aux Molières (les récompenses du théâtre français) dans le plus simple appareil, pour évoquer le difficile statut des auteurs. Non, c’est également quelqu’un de talentueux, comme en témoignent certaines de ses dernières pièces (Comme s’il en pleuvait, Deux hommes tout nus). Une autre, Qui est Monsieur Schmitt ? était d’ailleurs au programme du TOL en 2013. Son style : marier, avec justesse, le vaudeville et son rythme effréné – sans les portes qui claquent – avec l’absurde si cher à Ionesco.
«C’est un vrai funambule !», confirme Jérôme Varanfrain qui, pour sa sixième mise en scène depuis 2009, a jeté son dévolu sur L’Origine du monde, pièce qui l’a «interpellé» car «c’est la seule de Thiéry qui a été écrite pour le domaine public», en l’occurrence pour le théâtre du Rond-Point à Paris. Une spécificité qu’il explique : «Dans le privé, il s’agit de ne pas trop choquer, alors que dans le public, on peut aller assez loin dans les propos !» Et comme l’auteur prend «un malin plaisir à la provocation», le TOL s’en est emparé, même si «la pièce n’a pas fait l’unanimité» chez les décideurs.
Comme son nom l’indique, en référence au très célèbre tableau de Courbet, celle-ci vise en dessous de la ceinture. L’histoire débute comme un conte fantastique inquiétant, tel que les aimait Dino Buzzati. Ou comme «du Beckett», selon le metteur en scène : «Dès le départ de la pièce, une catastrophe arrive. La question centrale est alors : Qu’est-ce qu’on fait après ?» L’accident en question se passe au cœur d’un riche milieu tranquille, comme dans Qui est Monsieur Schmitt ? et dans tout boulevard qui se respecte : un homme se retrouve privé de pouls mais est toujours en vie. Pour que son cœur batte à nouveau, un marabout lui ordonne de prendre en photo le sexe de… sa mère. Voilà qui est cocasse !
«Oui, le canevas est léger, précise Jérôme Varanfrain, mais l’auteur ne s’arrête pas au simple drame bourgeois. Et il a une vraie finesse dans l’écriture. Il évite les gags lourds et arrive à faire rire en faisant autrement que pouet, pouet.» On sait aussi que la vieille femme est retorse et rétive, et que son fils va user d’artifices pour arriver à ses fins. «Il est fâché avec sa mère depuis cinq ans. Entre eux, il y a beaucoup de non-dits très pesants. D’où les moyens détournés qu’il va utiliser.»
L’effroi de la drôlerie
Mais comment déculotter une octogénaire à cheveux blancs ? Et sur scène, de surcroît ? Les réponses successives sont burlesques ou dérangeantes – ou les deux en même temps. On revient donc à la notion de funambulisme, «d’équilibre scabreux». Explications techniques : «On est ici au carrefour entre le boulevard et l’absurde, ce qui est très difficile à mettre en scène. Le boulevard implique un rythme rapide. Si on fait ça avec L’Origine du monde, ça ne marche pas. Pour que ce soit efficace, il faut être dans la légèreté de la comédie, mais aussi dans l’étrangeté.»
Pour ce faire, même s’il reconnaît «chercher encore le rythme du spectacle» à deux jours de la première, Jérôme Varanfrain a appliqué le texte, qu’il voit comme «une partition», à la lettre. «Si l’auteur a mis une virgule à un endroit, c’est important ! J’ai régulièrement dit aux comédiens : Revoyez et respectez les temps !» Car il s’agit surtout de «créer une atmosphère». «Dans cette pièce, il y a un peu du conte», avoue le metteur en scène.
Parlons-en, justement, de ces acteurs : sur scène, ils sont cinq à s’agiter, venant tous «d’horizons différents», caractérisant involontairement ce déséquilibre : «Hervé (Sogne), de par ses rôles au cinéma, a un jeu assez intime. Jean-Marc (Barthélemy), lui, a un côté proche du clown. Marie-Anne (Lorgé), elle, s’appuie beaucoup sur le ressenti… Il a fallu harmoniser tout ça, ordonner ce chaos.» Tout comme trouver une harmonie entre le cocasse, le tragique et le fantastique, autant de tonalités qui traversent cette pièce aux multiples facettes. À condition aussi d’accepter la fantaisie de Sébastien Thiéry.
«Dans cette pièce, il place différentes choses arbitraires pour mieux arriver à des moments scéniques très fort théâtralement», explique Jérôme Varanfrain, qui poursuit en cinéphile : «C’est comme dans Thelma et Louise : au tout début, elle bute un mec, comme ça. Est-ce logique ? Non. Mais c’est seulement plus tard que ce geste trouve du sens. On accepte l’illogisme pour l’après.» L’Origine du monde, comme la fameuse toile, va ainsi alterner entre provocation et doses d’humanité. D’un côté, on touche avec les mains sales les sacro-saintes valeurs chrétiennes. De l’autre, on aborde les thèmes de la mort, des rapports mère-fils, des histoires de famille, de la psychanalyse. Ici, derrière le feu de cocasseries résonne en effet la douleur d’un fils que sa mère n’a pas aimé. L’objectif assumé est donc de générer en même temps amusement et gêne, comme lors d’une scène de drague gérontophile ou encore par la nudité impromptue d’une partie des interprètes. C’est ce que l’on appelle l’effroi de la drôlerie, un rire de démangeaison. Bref, une comédie existentielle «avec des choses graves dedans».
Grégory Cimatti
Les 5, 6, 11, 12, 13, 19, 20, 21, 25, 26 et 27 mai, ainsi que les 1er, 2 et 3 juin, toujours à 20h30.