Depuis mardi, la metteuse en scène luxembourgeoise Larisa Faber livre une comédie musicale sur l’avortement «sans regret», célébrant le droit des femmes à disposer de leur corps. Un spectacle sur un sujet délicat, toujours dans l’air du temps.
Elle l’avoue sans retenue : «J’ai eu un avortement et je me suis sentie soulagée». Pas de trauma chez elle, en dehors du jugement porté par différents professionnels de santé et le poids des bonnes mœurs. L’interruption volontaire de grossesse, contrairement à ce qu’en dit la morale populaire, n’est pas un geste tragique. Non, c’est un choix qui permet à une femme de garder son destin en main, au cœur d’un monde patriarcal. Ramené à sa plus simple expression, c’est même un acte plutôt banal dans la vie de toute personne avec un utérus, et une procédure sûre (pour peu que ça soit légal). Alors, autant en parler au grand jour, et raconter toutes ces histoires personnelles, intimes.
C’est tout le sujet de Good Girls, spectacle concocté par l’actrice, scénariste et réalisatrice Larisa Faber. Celle-ci s’est basée sur des interviews réalisées au Luxembourg, en Lituanie et au Royaume-Uni pour mettre en place une comédie musicale irrévérencieuse qui donne la parole aux femmes qui ont avorté et qui se sentent bien, malgré tout. Loin des clichés qui voudraient que l’expérience soit uniquement dramatique, elle renverse les idées communément admises et s’attache à répondre à une question : «Pourquoi ne pourrais-je pas faire de l’humour sur mon propre vécu?». Alors que le sujet reste délicat et que l’avortement est remis en cause dans certains pays, Larisa Faber dédramatise le débat. Entretien.
En 2019, avec la pièce Stark Bollock Naked, vous abordiez déjà le corps féminin et sa nécessaire réappropriation. Est-ce que Good Girls est sa suite logique?
Larisa Faber : Oui. C’est une thématique que j’aime approfondir, avec cette idée, centrale, qui est celle de disposer de son corps. C’est vrai, ces deux dernières années, il y a eu des amalgames sur la question, du port du masque à la vaccination. Ce n’est pas mon intention! Moi, je parle de cette liberté de choisir un itinéraire de vie, et surtout, d’en changer si nécessaire, sans que ça nuise aux droits d’autrui.
Souvent, l’avortement est vécu comme un acte culpabilisant pour la femme. Là, vous prenez le contrepied. Pourquoi?
J’en ai fait moi-même l’expérience, et en discutant avec d’autres personnes, j’ai vu que ce message sur la culpabilité n’est pas très représentatif pour la majorité des femmes. Il y a d’ailleurs de quoi se demander pourquoi ce sujet est lié, dans l’imaginaire collectif, à des connotations négatives. Il y a sûrement différentes explications à ça : l’éducation, le poids de la religion… Et c’est un thème qui, nous touchant tous intimement, provoque de fortes réactions.
C’est-à-dire?
C’est lié à notre propre naissance, avec ce constat, sans ambages, qu’il y a une autre personne qui peut en décider. Et tant qu’on ne pourra pas fabriquer des bébés à la demande, il y aura toujours ce pouvoir énorme de décision, lié à la biologie propre d’une personne.
Vous êtes née en Roumanie, où l’avortement a longtemps été illégal. À quel point cela vous a-t-il marqué?
Beaucoup. J’ai grandi avec ces histoires qui, dans ma famille, n’étaient ni taboues ni culpabilisantes. Ça faisait partie de la réalité de beaucoup de gens. C’était même banal d’en parler, autant que d’aborder par exemple la pénurie alimentaire sous la dictature. J’étais consciente de tout cela, et par quoi sont passées ma mère ou ma grand-mère. En Roumanie, toute forme de contraception était interdite. On en revient alors au droit de disposer librement de son corps et de ne pas être qu’un four ambulant!
Au Luxembourg, en plus de porter un jugement, on a essayé de m’en dissuader
LA PIÈCE
Vous-même, vous avez connu un avortement. Comment avez-vous traversé cette expérience au Luxembourg?
Concrètement, je n’avais pas d’information, et l’expérience s’est avérée plutôt désagréable. Sans trop savoir pourquoi, la peur et la honte arrivent sans prévenir, d’un coup. Instinctivement, toute une vague d’émotions s’est abattue sur moi. J’ai d’abord été voir deux gynécologues qui, en plus de porter un jugement sur ma décision, ont essayé de m’en dissuader, au point de chercher à retarder le délai de la prise de médicaments, dernière possibilité avant de recourir à la chirurgie. On m’a fait passer des tests, j’ai dû faire des prises de sang qui n’étaient pas nécessaires… Heureusement que ma mère m’a orientée, au tout dernier moment, vers le Planning familial. Le pire, c’est que je ne suis pas la seule à avoir vécu cela, loin de là! Et si cela n’était pas encadré par la loi, ça serait encore plus difficile.
Dans les notes de mise en scène, vous dites avoir « eu« un avortement, et non « subi« , ce qui implique une notion de choix. Est-ce volontaire?
Non, c’est une heureuse surprise. Mon vocabulaire français n’étant pas si étoffé que ça, j’ai seulement appris ça plus tard. Si je l’avais su, de toute façon, je n’aurais jamais utilisé le verbe « subir ». Ça met la femme dans une position passive. D’autres mots sont également trompeurs, comme cet acronyme IVG (interruption volontaire de grossesse) qui n’existe pas en anglais ou en allemand. J’ai cette impression qu’en l’utilisant, on peut parler du sujet sans lâcher le mot « avortement », lourd de sens. Une manière, finalement, de mieux faire passer la pilule (elle rit).
Good Girls s’articule sur des interviews réalisées au Luxembourg, en Lituanie et au Royaume-Uni, auprès de femmes ayant vécu une interruption volontaire de grossesse. Était-ce important de rester dans le concert, surtout avec un sujet qui divise autant?
Oui, car il convient de dire les choses clairement, surtout à l’heure actuelle. Sur scène, j’aime aborder les sujets de manière frontale. Et puis, il était important de donner la voix aux femmes, à celles qui vivent l’avortement, à d’autres aussi, plus marginales, comme celle d’une personne non binaire, encore moins représentée par le sujet. J’étais clairement à la périphérie de mes connaissances, et j’ai beaucoup appris de ces témoignages.
Dans le même sens, est-ce rassurant d’avoir à ses côtés un partenaire comme le Planning familial?
C’est surtout important d’avoir des institutions publiques à ses côtés. Le Planning familial est le premier endroit où je suis allée pour présenter ce projet, et grâce à son soutien, j’ai pu ensuite me tourner vers le théâtre d’Esch-sur-Alzette et Esch 2022. Ils ont été des appuis cruciaux d’un point de vue financier et artistique. Oui, c’est précieux d’avoir des partenaires qui encouragent la diversité des voix, et qui n’ont pas peur de le faire. Car il faut être audacieux pour soutenir une comédie musicale sur l’avortement (elle rit).
[blockquote author="" align="" function=""]Pourquoi devrait-on toujours aborder l’avortement de manière dramatique?[/blockquote]Vous placez en effet ces témoignages dans un format divertissant. Banaliser l’acte d’avorter, jusqu’à en rire, serait-il le message derrière Good Girls?
Je retourne la question : pourquoi devrait-on toujours aborder l’avortement de manière dramatique? Même si on a un avis tranché sur le sujet, ça n’enlève rien au fait que ça a toujours existé et que ça continuera d’exister. C’est un acte banal dans la vie, comme grandir, vieillir, mourir. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les chiffres : on estime qu’une grossesse sur quatre à travers le monde se termine par un avortement chaque année. Ça fait du monde, non? Et ça donne à relativiser.
Néanmoins, le sujet redevient vite grave quand on voit certains États revenir en arrière et punir à nouveau l’avortement…
Ça fait peur, c’est certain. Mais ça me convainc aussi que l’humour et la dérision sont d’excellentes soupapes de décompression. C’est peut-être de la pseudo-psychanalyse, mais ce sont des outils qui permettent de reprendre le pouvoir. Et si on ne peut pas faire de blagues sur sa propre expérience, c’est une forme de double peine que l’on s’impose.
Dans ce sens, Good Girls est-il un spectacle politique?
Tous les spectacles, toutes les pièces sont politiques! Même ceux qui disent le contraire. Dire que l’on ne fait pas de l’art politique, c’est déjà un positionnement, non? Même les choses les plus anodines et banales ont un message à faire passer.
Good Girls part d’interviews réalisées auprès de femmes ayant vécu une interruption volontaire de grossesse. Car l’impact de cette dernière peut se manifester de différentes façons, parfois loin des séquences douloureuses communément admises. Sur une musique live joyeusement débridée, signée Catherine Kontz, trois performeuses – Tekle Baroti, Monika Valkunaite et Nora Zrika – abordent le sujet de plein fouet, avec l’émotion nécessaire mais aussi avec légèreté parce que oui, l’avortement peut être dédramatisé.
Ariston – Esch-sur-Alzette.
Demain, vendredi et samedi à 20 h.
Multilingue (surtitrage en français).
Une table ronde en présence du
Planning familial et des artistes aura
lieu après la représentation de demain.
La pièce est couplée à la publication
d’un recueil illustré, toujours en partenariat
avec le Planning familial.