En adaptant Sarah & Hugo, la metteuse en scène Véronique Fauconnet s’offre une première mondiale à domicile. Derrière la grandiloquence, une pièce toute simple autour de l’amour entre une mère et son fils.
Il a beau avoir à son compteur pas moins de 70 pièces et être le dramaturge australien le plus connu (et joué) dans le monde, Daniel Keene n’est pas vraiment établi au Luxembourg. De mémoire, juste quelques pièces disséminées dans le temps, comme La Pluie (vue aux Casemates) ou, plus lointain encore, Pour une heure plus belle (aux Capucins). De quoi laisser la place aux surprises, comme ce Sarah & Hugo, écrit en 2016 à Avignon, jamais retranscrit en français et encore moins joué. Mais le TOL a son réseau, toutefois ici réduit à une seule personne : l’agent du célèbre metteur en scène, Séverine Magois. Également traductrice, on lui doit la VF d’Objet d’attention de Martin Crimp. On est alors en 2020, pour ce qui restera la première création luxembourgeoise postconfinement, avec aux manettes Véronique Fauconnet.
Cette dernière a gardé le contact, comme Séverine Magois, qui lui envoie un texte en anglais, inconnu au bataillon : Sarah & Hugo. La qualité de l’œuvre ne lui saute pas aux yeux d’emblée, mais elle infuse et fait lentement son chemin. «Elle m’est restée en tête, impossible de la faire sortir!», lâche-t-elle. Elle connaît aujourd’hui la raison de cette hantise : «C’est une pièce banale, mais extrêmement profonde. Tout un art!» Fin octobre, après des mises au point de rigueur, elle est enfin prête pour le TOL et une première mondiale. «Ça le fait, non!», balance fièrement la metteuse en scène, avant de remercier ce joli «cadeau» fait par Daniel Keene. «De se dire que le public va la voir ici, pour la toute première fois, c’est touchant!» De quoi figurer en bonne place dans son «petit panthéon».
Un «bijou de délicatesse»
Pour le reste, la pièce, calée sur son titre composé de deux simples noms, évite les complications et va droit au but : il sera question de l’amour entre une mère et son fils, avec toute la beauté et la difficulté que cela implique. «Il n’y a rien de plus universel que l’amour! Et c’est extrêmement rare de voir une œuvre qui ne se sert pas des travers de l’humanité», soutient la metteuse en scène. Mais attention : derrière l’apparente naïveté des propos, Sarah & Hugo n’est pas si lisse. Déjà, la relation entre cette femme, mère à seize ans, et son garçon, aujourd’hui du même âge, est faite de hauts et de bas, d’engueulades et de réconciliations, de tension et de joie. Il y a également le statut social qui compte : les galères d’argent, cette vie de solitude et ces rêves en pointillé. «Tout n’est jamais rose!», souffle Véronique Fauconnet.
Il y a ensuite cette écriture épurée et poétique. Un «bijou de délicatesse» fait de silences, de non-dits, où tout se joue entre les lignes. Une «fine partition» qui oblige les comédien(ne)s à être «attentifs» aux pauses et à tout ce que l’auteur «sous-entend». Un «défi» relevé par Émeline Touron (déjà aperçue au TOL dans Never Vera Blue), qui explique : «C’est un texte qui réclame une prise en charge physique et émotionnelle. Vu qu’il y a peu de mots, ce sont les sentiments qui les traversent qu’il est important d’incarner.»Il y en a un paquet quand on l’écoute : de la nostalgie, de l’angoisse, du courage… Elle résume tout de même : «Ce sont deux parcours de maturité, deux envols, deux solitudes qui se prennent en charge» et avancent l’une avec l’autre, parfois l’une en opposition à l’autre. En un mot encore, une émancipation «respectueuse».
Aller «au bout de ses rêves»
En parlant justement d’affranchissement, dans le rôle d’Hugo, on découvre une nouvelle tête : Noam Villa, 17 ans, soit à peine plus âgé que son personnage. Un «comédien né!», s’enthousiasme Véronique Fauconnet, qui lui promet un bel avenir. Partagé entre ses études (il passera bientôt son baccalauréat) et la scène, le jeune garçon est sensible aux idées de Daniel Keene, surtout quand il s’agit de prendre «des risques» pour aller «au bout de ses rêves». «Moi, j’ai la chance de pouvoir le faire, car je suis bien entouré, bien accompagné», tempère-t-il. Comme par ses parents qui, régulièrement, se sacrifient – ici ils ont dû multiplier les allers-retours entre Nancy et Luxembourg. Cette précaution et cette sollicitude lui font dire, à la veille d’une première mondiale : «Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur.»
Enfin, demeure une question vraiment dans l’air du temps : Sarah & Hugo est-elle une pièce féministe, avec cette trentenaire qui se démène pour élever seule son fils? Véronique Fauconnet parle effectivement d’une «amazone», d’une «battante», mais préfère insister sur le côté «humaniste» de l’œuvre. Émeline Touron, qui précise ne pas avoir d’enfants, y voit elle aussi une forme d’universalité, qui pourrait se résumer par des questions pour le coup très contemporaines : comment grandit-on? Comment avance-t-on? Comment se sort-on d’une situation pour évoluer? Avec Daniel Keene, les réponses sont enrobées d’une bonne dose d’amour, de bienveillance et de résilience. «Le lire et l’entendre, ça nous aide à mieux vivre!», conclut la metteuse en scène.
La pièce
Sarah, 32 ans, caissière, rêve de devenir enseignante et a repris ses études après avoir dû les abandonner à l’adolescence après la naissance de son fils Hugo. À 16 ans, ce dernier a quitté l’école pour travailler, préférant les métiers manuels aux études. Dans un appartement de banlieue parisienne, le quotidien de cette mère et de son fils s’entrecroise, entre sacrifices, compromis et amour inconditionnel.
Première ce soir à 20 h.
Jusqu’au 13 février.
TOL – Luxembourg.