Après une première mondiale fin janvier, le TOL remet ça avec Foxfinder, pièce «visionnaire» qui répond aux inquiétudes du moment, entre désastre écologique, vérités manipulées et complotisme étatique.
Elle commence à y prendre goût, même s’il faut composer avec la fatigue et le stress : après Sarah & Hugo de Daniel Keen, présentée au TOL fin janvier, la metteuse en scène Véronique Fauconnet s’offre à nouveau une première mondiale à domicile. Un prestige, somme toute symbolique, derrière lequel se cache encore la traductrice Séverine Magois, mise en lumière, à raison, à la Banannefabrik, ce soir en préambule de Foxfinder. Ce seront les seules analogies, car les deux pièces ne se ressemblent pas : si la première exigeait de respecter le ton et le souffle d’une écriture dentelée, la seconde, elle, impose un autre «challenge», revenu à la scénographe Anouk Schiltz : articuler vingt-et-une scènes, illustrant sept lieux différents, sur le très petit plateau du théâtre. Comme le souligne la comédienne Rosalie Maes, oui, le métier réclame «de la flexibilité et de l’imagination».
Ils ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu’après s’être révoltés
De l’imagination, l’Anglaise Dawn King en a eu pour inventer cette histoire de renards et de fermiers. Rappelons qu’en 2011, année de la création de Foxfinder, les «fake news» étaient encore un concept lointain, et le complotisme à la marge. D’une certaine manière, elle suit le chemin balisé, des années auparavant, par Aldous Huxley et autre George Orwell, en racontant un monde en proie à la manipulation et au contrôle gouvernemental, aux armes bien connues : jouer sur la peur, surveiller les populations, créer des boucs émissaires et imposer une vérité «alternative». Autant de thématiques que l’on retrouvera plus tard chez l’autrice, star en Grande-Bretagne et peu connue ailleurs, qu’elle reprenne Brave New World, s’attaque aux mensonges (Ciphers) ou à la crise climatique (The Trials).
Du rire au tragique
Dans ce sens, Foxfinder est une sorte de compilation avant l’heure, portée par une écriture «visionnaire», insiste Véronique Fauconnet. La pièce se situe en Grande-Bretagne, à une époque indéterminée – qu’importe, puisque «tout est un éternel recommencement», dit la metteuse en scène. N’empêche : les campagnes sont en crise, les terres sont inondées et la famine menace. Mais pour l’État, il n’y a qu’un seul responsable : le renard, source de tous les malheurs, capable de contaminer les fermes, d’influencer le climat et, surtout, de troubler l’esprit des citoyens. Les Covey, couple d’agriculteurs déjà perturbé par la mort de leur fils et des récoltes déficitaires, se retrouve sous le coup d’une enquête menée par le jeune William Bloor, chasseur attitré. Mais à mesure que l’instruction progresse, il trouve plus de questions que de réponses…
Dystopie qui, en ces temps cruels et toqués, n’en est plus finalement une, Foxfinder cumule les sujets qui fâchent, et pour la presse anglo-saxonne, se situe habilement à la croisée de Far Away de Caryl Churchill, The Crucible d’Arthur Miller et, plus généralement, de l’œuvre de Kafka, à «l’absurdité» bien flippante. Le comédien Matila Malliarakis, qui retrouve ici Rosalie Maes et Aude-Laurence Biver (ils ont joué ensemble dans Objet d’attention, monté en 2020 au TNL), préfère parler de Twin Peaks avec cette «excursion dans le surnaturel». Au passage, tous saluent unanimement un texte tout en tension qui se dévore façon «page turner». «On le lit d’une traite, car on veut connaître la fin, trouver ce qui se cache derrière tous les sous-entendus», résume Mika Bouchet-Virette, quatrième membre de l’équipe et fin connaisseur du théâtre anglais, lui qui s’est formé à Londres et à Liverpool.
Il insiste d’ailleurs sur l’humour, ponctuant ici et là la pièce, «propre à l’écriture anglaise» où le rire «amène le tragique et le drame». Il évoque également la figure du renard, rusé et anarchiste à ses heures (confère la chanson de Bérurier noir ou le film de Wes Anderson, Fantastic Mr. Fox), «très présente dans les villes et les campagnes» outre-Manche, mais invisible ici, ou du moins, existant seulement «dans les esprits». Pour Dawn King, l’animal est utile, à plusieurs fins : il s’impose comme une «excuse pratique» pour «se défausser de toute responsabilité», notamment sur la question environnementale. Il est en effet plus simple de sortir de sa manche un prétexte que de suivre une approche scientifique ou envisager des solutions durables. «Il faut pourtant accepter la complexité du monde!», s’insurge alors Matila Malliarakis.
Actes de résistance
Un système dans lequel les agriculteurs redeviennent des maillons essentiels de la chaîne humaine, clés d’un éventuel renouveau écologique que l’on se plairait à applaudir «comme lors de la crise sanitaire» de 2020, se souvient Véronique Fauconnet. Un système, aussi, dont ils sont paradoxalement les victimes toutes indiquées, symboles d’une mécanique affaiblie par des discours autoritaires et anxiogènes. Avec au centre, cette désinformation qui manipule, contrôle, oriente, divise, et brise tout esprit critique. «On voit comment tout ça se construit, se met en place, s’exerce», précise la metteuse en scène. Au bout, cette question : «Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour préserver un ordre fragile, même au prix d’une réalité détournée?».
Véronique Fauconnet, à défaut de dévoiler l’issue de la pièce (et de savoir quel protagoniste aura le dessus sur l’autre), a sa réponse, que partagent d’ailleurs ses comédien(ne)s : «Il faut en ressortir avec l’envie de se battre, de bouger, d’aller voter. D’éduquer aussi.» De se dire que toute forme de manipulation, diversion ou propagande exige, en réponse, une résistance, et plutôt que d’être attentif aux supposés dangers du renard, mieux vaut l’être vis-à-vis de ceux qui le voient partout et disent le chasser. Une philosophie que le public pourra expérimenter dès sa sortie du TOL, situé juste en face du concessionnaire Tesla. Et qui sait, peut-être résilier son inscription sur X.
La pièce
C’est dans une Angleterre rurale dystopique que l’on suit l’histoire de William Bloor, un jeune homme chargé par l’État d’enquêter sur la ferme de Samuel et Judith Covey, soupçonnée d’être infestée par des renards. Dans ce monde oppressant, ces animaux sont considérés comme des ennemis dangereux, capables de ruiner les récoltes, de menacer l’ordre social et doivent être éradiqués à tout prix. Au fil de son enquête, William découvre un univers de tensions cachées, de secrets enfouis et de croyances aveugles. Une histoire haletante où chaque personnage lutte pour sa survie dans un environnement où la vérité est aussi insaisissable qu’un renard dans la nuit…
Première ce soir à 20 h.
Jusqu’au 11 avril.
TOL – Luxembourg.