Florence Minder sera à Mamer vendredi soir pour présenter sa création, Saison 1. Sa pièce de théâtre reprend et questionne avec humour les modes narratifs de la série télé.
Faire de la série télé sur scène, n’est-ce pas antinomique ?
Florence Minder : Je ne fais pas de la télé sur scène. Le code de jeu n’est pas celui de la télé. L’idée de Saison 1 est de questionner ce mode de narration sériel, qui est le mode de narration et de propagande le plus puissant à l’œuvre actuellement. Depuis la création du spectacle, les utilisateurs de Netflix ont doublé, on est à 140 millions d’abonnés désormais. Ce qui m’intéresse c’est le format. La fiction qu’on consomme de manière chronique. Et comment cela a une influence sur notre réel. Autrement dit, est-ce que c’est le réel qui influence la fiction ou est-ce que c’est la fiction qui influence la manière dont on perçoit aujourd’hui le réel. Combien de fois désormais, quand on parle à quelqu’un, on entend : « je vais regarder une petite série avant d’aller dormir » ou « je vais me faire un week-end binge-watching de séries », etc. C’est complètement entré dans le mode de consommation.
Une question d’économie de l’attention
Qu’est-ce qui vous a intéressée à ce point dans tout ça ?
Ce qui m’a intéressée c’est justement l’addiction que les séries révèlent. Le besoin qu’on a, de manière quotidienne, de se projeter dans des univers qui ne sont pas les nôtres. Ça me fascine et ça me questionne tellement je vois les gens, et je m’inclus, consommer ces séries. J’en ai moi-même beaucoup regardé et je me suis rendu compte que, tout à coup, à 14 h, j’étais fatiguée parce que j’avais l’impression d’avoir réalisé une opération à cœur ouvert le matin car j’avais regardé une série médicale. Le cerveau ne fait pas la différence entre le réel et le virtuel! Notre mode de fonctionnement, de relation, passe par les modes de la fiction. Ce qui est intéressant dans le panel de séries qu’on peut avoir, c’est que chaque série vient nous chercher à d’autres endroits.
Vous parliez tout à l’heure de mode de propagande. Pouvez-vous nous expliquer ?
C’est une question d’économie de l’attention. Les séries mangent beaucoup de notre temps d’attention. Il y a, par exemple, l’axe de la violence qui m’a beaucoup intéressée. Dans la pièce, il y a des moments violents, mais proposés de manière à ce qu’on puisse les recevoir avec une certaine distance. Il y a un viol, car c’est un sujet qui revient très souvent dans les séries télé. C’est un sujet traité toujours de la même manière. La femme est victime, il y a un coin sombre, on entend un cri. J’en ai eu un peu marre de ce traitement toujours identique. Les narrations que ces séries véhiculent ne nous permettent pas de nous défaire des clichés, des perceptions les plus soumises aux idéologies actuelles.
Il y a beaucoup de sujets dans la pièce, beaucoup d’humour
On croirait entendre une thèse sur les séries télé.
(Elle rit) Rassurez-vous, le spectacle est super accessible. Il y a beaucoup de sujets dans la pièce, beaucoup d’humour. L’humour, pour moi, c’est toujours une manière d’ouvrir le cœur des spectateurs, ce qui leur permet de se rendre disponibles d’une autre manière pour recevoir les différentes informations.
Comment est-ce que tout cela se présente sur scène ?
C’est une histoire assez rocambolesque en trois épisodes. Ça commence avec une femme qui part en voyage organisé en Amazonie et qui se fait kidnapper. À partir de là, les choses vont partir dans l’absurde et dans l’extrême. On va donc suivre l’histoire de cette héroïne qui, peu à peu, va mettre en question la narration dans laquelle elle est prise. On a donc quelqu’un qui se libère du récit dans lequel on veut la contraindre.
Qui est cette femme ?
Une hygiéniste dentaire (elle rit) qui vient d’un pays européen où on vit confortablement. Elle s’appelle Irène. C’est quelqu’un d’assez commun finalement.
Comment êtes-vous partie sur ce personnage, sur ce récit, sur cette jungle ?
C’est un univers qui me parle. Les séries télé proposent souvent des univers loin des nôtres. Et l’Amazonie, est une bonne métaphore pour parler d’un imaginaire qui est en train de disparaître. L’Amazonie est le poumon de la planète, mais il est en train d’être détruit. Tout comme les séries phagocytent une certaine liberté d’imaginer. C’est une globalisation, une standardisation.
Il ne faut donc pas être expert de Netflix pour apprécier la pièce.
Non, pas du tout. L’univers que j’ai construit, cette jungle, pourrait tout aussi bien se retrouver dans un film ou un bouquin. Ce n’est pas un truc de geeks. Mais c’est clair : ceux qui regardent beaucoup de séries trouveront de petits plus, verront de petits signes, des clins d’œil.
Je ne veux pas spoiler !
Un des fonctionnements historiques de la série, c’est le cliffhanger, mais ça ne marche que parce qu’il annonce une attente jusqu’à l’épisode suivant. Là, au théâtre, avec l’épisode suivant qui arrive tout de suite après, comment est-ce que ça peut marcher ?
(Elle rit) De toute façon, le cliffhanger a un peu disparu, justement parce que les gens binge-watchent ! Désormais, il est surtout utilisé pour la fin d’une saison. Mais peu importe. Dans la pièce, je joue vraiment avec tous ces codes de la série télé. Venez, vous verrez. Je ne veux pas trop en dire pour ne pas spoiler !
Il y a donc Saison 1, qui arrive après Épisode 1, présenté en 2015 en Avignon. D’habitude les séries durent plusieurs saisons. Alors, en ce qui vous concerne, y aura-t-il une « Saison 2 » ?
Non. Ça m’intéresserait de continuer avec mon héroïne, mais je crois être arrivée au bout du thème que j’avais envie d’aborder. Ça ne veut pas dire que je n’y reviendrai pas dans le futur, mais dans ce cas, je pense qu’il faudra vraiment voir où en sera la série à ce moment-là et quelles conséquences tout cela aura. En ce moment, je travaille sur un autre spectacle avec un tout autre type de narration. Ce sera une fiction chorale. Car oui, le mode de narration reste le cœur de mon travail.
Entretien avec Pablo Chimenti
Vendredi, 20h, Kinneksbond de Mamer.