Le collectif ILL revient à la charge avec Claire Thill, auteure de Footnotes, pièce retraçant le parcours initiatique d’un personnage à travers les mouvements féministes actuels et passés. Pour réfléchir et surtout, pour agir.
C’est une question de marches. Nombreuses. Anciennes et à venir. Celles qui s’emparent des rues, au Luxembourg et ailleurs. Autant de cris de colère collectifs contre un monde en pleine crise, entre angoisses écologiques, montée du populisme et persistance des inégalités, notamment entre les sexes. «Cela ne suffit plus d’être chez soi et de signer des pétitions en ligne», martèle ainsi Claire Thill, auteure de Footnotes, pièce estampillée «ILL» (Independent Little Lies) qui synthétise ces élans du cœur, nécessaires.
Elle-même reconnaît n’avoir jamais été trop «activiste» par le passé, en dehors d’un ancien soutien à Greenpeace. Mais tout va changer lors d’un projet artistique mené à Paris, place du Trocadéro, pour lequel elle «infiltre» un cortège parisien, le 21 janvier 2017, soit le lendemain de l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis. «J’en ai été marquée en profondeur, explique-t-elle. Sur place, j’ai rencontré des gens d’horizons différents, discuté avec eux. J’ai ressenti alors une atmosphère particulière, quelque chose de fort, de fédérateur.» Dans la foulée, en tant que «femme de théâtre», comme elle se définit, elle décide de faire quelque chose «de grand» sur ces déambulations urbaines, ces marches contestataires.
Montrer aussi, par ce biais, «que l’on n’est pas seul» et que, malgré les tristes convulsions sociétales, il y a toujours moyen d’être «rassuré». Mais partir seule, bille en tête, aurait été contraire à l’essence même du mouvement. Elle s’est donc trouvé une camarade de «marche», Jenny Beacraft, et des comédiens, danseur, chanteur – Frédérique Colling, Damian Diaz, Stephany Ortega, Elsa Rauchs, Claire Thill – pour matérialiser ses idées. «Je ne voulais pas quelque chose d’autobiographique. Il fallait trouver une forme pour partager cette expérience.»
Cela ne suffit plus d’être chez soi et de signer des pétitions en ligne !
Deux ans plus tard, après «beaucoup de recherches», de «discussions et d’échanges», d’«improvisations» sur scène, Claire Thill dévoile Footnotes, pièce pour laquelle il faut enfiler ses baskets et suivre la foule mécontente, dont une femme, personnage qui va se construire, comme elle quelques mois auparavant, une âme de militante. L’auteure s’explique : «Elle se rend à une marche, mais sans envie. Elle est curieuse, mais elle vit confortablement.» Afin de ne pas être trop «didactique» dans sa vision transversale des mouvements féministes actuels et passés, elle dote sa pièce d’humour et, surtout, d’une bonne dose de fantastique, y développant une atmosphère singulière que n’aurait pas reniée l’écrivain Gabriel García Márquez, l’un des chantres du «réalisme magique».
Dans les pas de la figure principale, on tombe ainsi, entre autres, sur une «suffragette» – militante d’une organisation créée en 1903 pour revendiquer le droit de vote pour les femmes au Royaume-Uni – une protagoniste symbolisant l’actrice hollywoodienne… et même un ange. «Il incarne le progrès, en regard du chaos passé. Son message pourrait être : « Regardez ce qui a été fait et allez vers l’avant ! »»
Bref, toute une galerie de «personnages originaux» – «un peu comme dans Alice au pays des merveilles» – pour autant d’«expériences» censées ouvrir les yeux de cette femme, et ceux du public, sur «les insécurités, les doutes et les hypocrisies qui entourent le féminisme», et surtout, «quelle voie suivre à partir de là». Sur sa route, elle rencontrera aussi des hommes – «car le féminisme ne concerne pas que les femmes». D’ailleurs, les mecs «sont aussi victimes de la société patriarcale», soutient-elle avec justesse. Footnotes, plus qu’une promenade instructive, se propose de marcher ensemble pour un avenir meilleur. «Oui, comme collectif, on peut faire quelque chose, lâche Claire Thill. Aller dans la rue, donner de la voix, c’est important, même si les résultats n’arrivent pas tout de suite.»
Entre regards sur le passé et regards sur les privilèges occidentaux, sans oublier une projection sensible sur un avenir en pointillé, ILL ouvre donc la voie à «l’activisme», ou plutôt à une «prise de conscience» que le collectif théâtral souhaite «généralisée». «C’est qu’il y a encore tant à faire», souffle Claire Thill. La voie est aujourd’hui ouverte. Reste à s’y engouffrer.
Grégory Cimatti
Théâtre – Esch-sur-Alzette (jeudi et vendredi à 20 h), TNL – Luxembourg le 10 décembre à 19 h, Neimënster – Luxembourg le 8 mars 2020 à 17 h. Spectacle en anglais
avec surtitrage en français. À noter que la pièce sera suivie de lectures et d’ateliers.