Ce 15 janvier 2022, c’est la fête à Molière ! On célèbre le 400e anniversaire de sa naissance et, à Paris, la Comédie-Française, sa «maison», lance une série de spectacles, dont le très attendu Tartuffe ou l’Hypocrite, mis en scène par Ivo van Hove avec Denis Podalydès.
Au cœur de Paris, à proximité du musée du Louvre, la place Colette et sa station de métro dont la bouche est ornée des perles de Jean-Michel Othoniel. À quelques mètres, un bâtiment imposant. La Comédie-Française, appelée également «la maison de Molière».
On y pénètre, on découvre une relique : un fauteuil en bois, il est protégé par une vitrine – ce fauteuil sur lequel, durant une représentation du Malade imaginaire en février 1673, Jean-Baptiste Poquelin, que l’éternité retiendra sous le pseudonyme de Molière, a agonisé avant de mourir peu après, chez lui à quelques pas du théâtre.
Ce fauteuil, utilisé par les comédiens jusqu’en 1879, qui fait dire à la conservatrice-archiviste des lieux : «C’est le seul objet qui nous reste de son théâtre. Il a une présence telle qu’on a presque l’impression que Molière y est encore assis.»
Dans cette maison, des portraits, des bustes aussi, de l’omniprésent des lieux, que les comédiens prennent soin d’effleurer, de toucher, convaincus que ce geste leur portera chance et réussite.
Molière est un homme aux mille visages et aux mille théâtres, bien malin celle ou celui qui désignerait l’authentique
Et dès ce 15 janvier et jusqu’à la fin juillet, cette maison va honorer le dramaturge en lançant le cycle «Molière 2022», pour fêter le 400e naissance sa naissance (ou plutôt de son baptême, aucune date officielle de naissance n’étant connue).
Administrateur de la Comédie-Française dont il est également le 498e sociétaire, Éric Ruf évoque cette «saison Molière» : «Ce que je voulais absolument, c’est que l’on puisse y voir des mises en scène et des pensées différentes.
Que l’on ressorte avec un éventail large, que l’irrévérence soit de mise et la découverte aussi», comme ce sera le cas avec un Tartuffe «inédit» recréé par le grand spécialiste de Molière qu’est Georges Forestier – et mis en scène par Ivo van Hove en ouverture de cette saison. Ce qui lui fait dire : «Je suis particulièrement fier de pouvoir dire que l’on fait une création mondiale d’une pièce de Molière cette année à la Comédie-Française!»
Donc, au programme, pas moins de neuf pièces du maître de théâtre du XVIIe siècle ! Avec un constat – encore Éric Ruf : «S’il est une maison de théâtre où l’on ne sait pas comment on doit jouer Molière, c’est bien la sienne ! Ce n’est pas une boutade : aucun membre de la Comédie-Française n’affirmera jamais rien le concernant, la fréquentation de son théâtre imposant avant tout la modestie.
Désigner l’art du Patron – comme on le nomme en ces murs – serait aussi vain que de choisir un juste portrait entre les centaines de dessins, peintures, gravures et bustes qui tapissent les murs des théâtres et musées. Molière est un homme aux mille visages et aux mille théâtres, bien malin celle ou celui qui désignerait l’authentique.»
Un autre sociétaire (le 505e, depuis 2000) de la Comédie-Française, Denis Podalydès, poursuit : «Molière est une matière extrêmement vivante, avec ses zones de mystère.» Et d’évoquer le Molière grand public, le Molière de «la langue de Molière», le Molière bon enfant, le Molière qui, pour les enfants, constitue la porte d’entrée de l’art du théâtre.
Molière est un provocateur-né, un homme proche de l’anarchie, un « bousilleur » de première!
«Mais il y a aussi un Molière moins consensuel», ajoute Podalydès que l’on verra dans Le Tartuffe ou l’Hypocrite, mis en scène par le Belge Ivo van Hove, et qui va, à coup sûr, provoquer débats et critiques chez les «molièriens» puristes.
Auteur de Molière, la fabrique d’une gloire nationale (Seuil, 21 janvier 2022), l’historien Martial Poirson prolonge les mots de Denis Podalydès : «Il faut décaper le mythe!», faire la part du vrai et du faux. Ainsi, on est sûr que Molière «utilisait les cabales qui s’exerçaient à l’encontre de son théâtre.
À chaque attaque, il renchérissait dans la provocation. Dans la façon dont il a toujours su se mettre sous la protection de Louis XIV, il avait un grand sens tactique.» Sans pour autant «devenir un courtisan ni faire allégeance».
Ainsi, aujourd’hui encore, on fantasme sur un autre dramaturge du XVIIe siècle, Corneille, qui aurait été son prête-plume, sur son corps qui aurait été enterré à la fosse commune, sur la rupture avec sa famille… Conclusion de l’historien : «Toutes les mythologies entrées dans l’inconscient collectif nuisent à l’interprétation des textes.»
En 1978, la cinéaste (et metteur en scène) Ariane Mnouchkine avait réalisé Molière, ou la vie d’un honnête homme avec Philippe Caubère dans le rôle-titre. À l’évocation du nom du dramaturge, elle s’enthousiasme : «Cet homme nous éclaire encore aujourd’hui. Il est bien sûr un repère artistique fondamental, mais il est surtout un combattant. Il s’avance en terrain miné, à ses risques et périls.»
Dans ce terrain «molièrien» où l’on croise un Tartuffe, un Misanthrope, un malade imaginaire, des précieuses ridicules, un Dom Juan, un fourbe ou encore des dévots et des Diafoirus, on écoute le grand Michel Bouquet – immense serviteur des pièces de Molière. Comme personne, il a défini «le patron» :
«Pourquoi est-il le plus grand ? Parce qu’il s’ignore comme écrivain, parce qu’il n’a pas de vision du monde à faire partager. Mais il a une vision de l’homme! Il est l’intelligence pure en étant le contraire d’un intellectuel. Molière est un provocateur-né, un homme proche de l’anarchie, un « bousilleur » de première»…
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan