La comédienne est doublement sur scène à partir de cet automne, au théâtre et en concert, pour des projets qui font coïncider son art et son engagement féministe.
La critique de l’hétérosexualité comme système politique, c’est bien qu’on puisse vivre ça ensemble avec le public» : la comédienne Anna Mouglalis est à l’affiche de La chair est triste, hélas, une adaptation, au théâtre de l’Atelier à Paris jusqu’au 25 octobre, du texte de l’autrice et réalisatrice de documentaires Ovidie. Cette dernière raconte comment elle en est venue, par lassitude, à faire «la grève du sexe» avec les hommes.
Le livre d’Ovidie «est tellement personnel qu’il en devient universel», raconte Anna Mouglalis. «Violences gynécologiques, violences au lit, rapport à la douleur… Ça parle à toutes les femmes. On traite nos corps comme des objets», ajoute-t-elle. «C’est très important aussi que des hommes l’entendent.»
La comédienne de 47 ans avait lu le texte d’Ovidie, un cadeau de son compagnon, avant même qu’on ne lui propose de l’interpréter sur les planches. Dans cet ouvrage paru en 2023 aux Éditions Julliard, Ovidie décrit une génération de femmes «mal baisées», à la sexualité dictée par le désir des hommes, en compétition pour rester «désirables» et qui ont «intériorisé» nombre de douleurs et accepté certaines «servitudes». Elle prône des relations «affranchies de la domination». Une résonance évidente avec les nombreux combats d’Anna Mouglalis, qui a milité pour réhabiliter les femmes condamnées pour avoir avorté avant la loi Veil de 1975, et qui, plus récemment, a témoigné devant la commission d’enquête parlementaire française sur les violences sexuelles dans la culture.
On traite nos corps comme des objets. C’est très important aussi que des hommes l’entendent
La comédienne, découverte au cinéma dans Merci pour le chocolat (Claude Chabrol, 2000) puis remarquée dans Romanzo criminale (Michele Placido, 2005), Coco Chanel et Igor Stravinsky (Jan Kounen, 2009) et la série à succès Baron noir (2016-2020), avait aussi joué le rôle d’une avorteuse dans L’Événement (Audrey Diwan, 2021), d’après le roman d’Annie Ernaux.
Au théâtre, son monologue, qui fait rire, gêne ou sidère, est mis en scène par Ovidie elle-même. Il est entrecoupé d’images projetées sur de grands rubans blancs tombant à la verticale : des femmes auscultées par leur gynécologue ou qui se maquillent, des scènes d’opérations de chirurgie esthétique, des manifestations. La première représentation, mardi dernier, s’est conclue par une ovation debout. «Pouvoir vivre cette sortie du tabou ensemble, c’est assez jubilatoire!», sourit l’actrice à la voix rauque, qui a démarré dans le théâtre à la fin des années 1990.
«Prise de conscience de l’être féminin»
Autre jubilation, musicale cette fois : une série de concerts autour de l’album Ô Guérillères, créé au sein du collectif Draga et inspiré du roman Les Guérillères (1969) de Monique Wittig, militante féministe lesbienne (1935-2003) qui prônait la remise en cause de l’hétérosexualité comme modèle de société. Ce poème épique, sorti au printemps, emmène à partir de cet automne Anna Mouglalis et quatre musiciennes – l’artiste electro Lucie Antunes, à la batterie et au chant, la bassiste Théodora Delilez, la claviériste Narumi Herisson et la chanteuse P.R2B – en tournée à travers la France. Draga passera notamment par les Trinitaires, à Metz, le 20 décembre, dans une soirée qui démarrera avec le concert documentaire Rouge Pute, coproduit par la Kulturfabrik, où il a été en partie créé lors d’une résidence en 2024.
La joie d’Anna Mouglalis pourrait-elle être entamée par la montée des discours masculinistes? «Avec les réactionnaires au pouvoir un peu partout, y compris en France (…), on est dans un moment compliqué», concède la comédienne. Mais elle constate parallèlement un accès large à «une pensée émancipatrice», notamment «chez les jeunes filles, où il y a une prise de conscience de ce qu’est l’être féminin, de la domination masculine, de l’horreur du patriarcat, du capitalisme et de l’hétérosexualité comme système politique».
Quant à sa carrière, l’actrice relève que son militantisme n’est «pas un blocage». On ne lui propose plus «des rôles de belles femmes mystérieuses, un personnage qui se définissait uniquement par rapport au personnage masculin, avec un passage obligatoire par une scène de lit» – mais «c’est très bien, puisque de toute façon, je ne les fais pas».