Repoussé par Universal et détesté par Donald Tump, The Hunt sort sur les écrans, précédé d’une sulfureuse réputation. Derrière la farce et le gore, cette satire cherche surtout à souligner la profonde fracture entre les différentes classes sociales américaines. Et personne n’en réchappe.
C’est ce que l’on appelle un joli coup de publicité… En juillet dernier sortait avec fracas une bande-annonce, brutale, provocatrice, d’autant plus dérangeante que l’Amérique avait été endeuillée par deux fusillades quelques jours plus tard. Si les États-Unis ont un problème récurrent avec les armes à feu, ici, c’est surtout ceux qui les portent qui posent véritablement problème, notamment à son président, Donald Trump.
The Hunt, dans le viseur de Républicains scandalisés, verra ainsi sa sortie annulée par les studios Universal, avant que celle-ci ne soit reportée en mars, juste avant la pandémie. Il deviendra même la cible préférée du milliardaire à l’audace capillaire, qui n’aime pas que l’on tape sur ses fans et défenseurs. Car le film en question ne fait clairement pas dans la bagatelle.
Son concept ? Des gens du peuple, enlevés dans des bastions traditionnels et ruraux du parti de Trump (Wyoming, Mississippi…), se réveillent dans un champ, en territoire inconnu. Ils sont alors traqués et abattus – par pur snobisme et mépris de classe – par des chasseurs issus de «l’élite» fortunée, qui les abattent impitoyablement pour se donner le frisson.
«Le Hollywood gauchiste est raciste au plus haut point, et avec une grande colère et de la haine !», avait tweeté le président américain. «Le film qui va sortir cherche à allumer le feu et à provoquer le chaos», avait-il ajouté. Les créateurs de The Hunt vont finalement s’approprier la controverse pour faire la promotion de leur film. «Celui dont a le plus parlé sans l’avoir jamais vu… pour l’instant», écrivent-ils sur l’affiche, dont certaines mentionnent une citation attribuée à la conservatrice chaîne de télévision Fox News : «Montre le vrai visage de Hollywood… dément et maléfique.»
La vérité, à l’écran, est toutefois plus fade, ou en tout cas moins insolente que prévue. D’abord parce que The Hunt – mis en scène par Craig Zobel (Z for Zachariah, 2015) et écrit par Damon Lindelof, cocréateur et scénariste de la série à succès Lost – respecte à la lettre les codes du genre «survival», lancé en 1932 par Les Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game en VO), et suivi par une kyrielle de successeurs (la série Hostel, la franchise American Nightmare, mais aussi The Purge, Battle Royale, Hunger Game ou le récent Wedding Nightmare, pour ne citer qu’eux).
Ensuite, en raison d’un parti pris pour la légèreté derrière le fracas des armes, le film reste sagement en retrait de tout clivage politique, préférant souligner la profonde fracture entre les différentes classes sociales américaines.
D’un côté, on a donc les riches chasseurs, certes assimilés «démocrates», qui appellent parfois leurs proies les «déplorables», un terme employé durant la campagne présidentielle de 2016 par Hillary Clinton pour désigner les militants de Donald Trump les plus extrémistes. «Nous payons pour tout, donc ce pays nous appartient», lance l’un de ses représentants. De l’autre, donc, des «rednecks», ou comme le dit Athena, incarnée par l’actrice oscarisée Hilary Swank, ces «homophobes accros aux flingues», ces «racistes académiques», ces «bigots sans dent»… En somme, une satire des couches de la société, de la loi du plus fort et du pouvoir poussée à l’extrême.
Au milieu des pièges mortels et des exécutions sommaires, on trouve un électron libre, Crystal (Betty Gilpin), proie coriace au visage sans expression et à l’humour noir qu’elle dégaine sans faillir. C’est elle qui se rebiffe et finit par traquer à son tour ses tortionnaires, les éliminant les uns après les autres – on a même droit à un combat final, chorégraphié à la Kill Bill. C’est elle qui, finalement, va semer le trouble entre les deux parties, prouvant l’intention initiale du film de ne prêcher pour aucune chapelle. Ce que confirmait déjà le producteur Jason Blum (Get Out, Invisible Man) dans une interview pour Hollywood Reporter. «Aucun de nous n’a voulu prendre parti avec ce film, s’est-il défendu. Le public est assez malin pour savoir que ce qu’il voit est une satire et que c’est grotesque.»
The Hunt continue donc de diviser. Ceux qui s’attendaient à une chronique intelligente des États-Unis version Trump risquent d’être déçus par l’approche plus badine que sérieuse. Pour les fans d’hémoglobine et de cinéma «pop-corn gore», cette chasse à l’homme devrait les ravir, surtout pour ses moments cocasses – notamment lorsque le film suit, dès les premières minutes, l’actrice Emma Roberts, suggérant que c’est bien elle l’héroïne, avant de la tuer… cinq minutes plus tard. Disons, pour conclure, que la caricature, plutôt que de choisir un camp, dézingue à tout va, préférant le doigt d’honneur et le coup de fusil bien placé à une quelconque querelle idéologique. Oui, ici, tout le monde en prend pour son grade, des «bouseux» du fin fond de l’Amérique (racistes, mal éduqués, attirés par les théories complotistes) aux intellectuels riches blasés de tout, et qui se croient tout permis. Et pendant ce temps-là, Donald Trump, lui, continue de tweeter.
Grégory Cimatti
The Hunt, de Craig Zobel.