Cinq musiciens irlandais et américains de talent se sont regroupés dans le collectif The Gloaming. Ils seront de passage à la Philharmonie dimanche pour présenter leur deuxième album, 2, sorti il y a un an.
Leur musique traditionnelle revisitée touche un plus large public que les seuls aficionados du genre. Entretien avec la tête pensante du groupe, Martin Hayes, grand spécialiste du fiddle, qui nous parle au téléphone depuis sa maison en Espagne.
Je ne m’attendais pas à appeler en Espagne…
Martin Hayes : Oui c’est vrai ! Deux d’entre nous vivent aux États-Unis, deux en Irlande, puis il y a moi, en Espagne ! Je me suis marié avec une Espagnole il y a des années déjà.
Vous allez effectuer une tournée en Europe et aux États-Unis, avec notamment sept dates au National Concert Hall de Dublin. Êtes-vous surpris de ce succès ?
Oui, c’est incroyable que cela soit devenu aussi populaire. Nous n’avons joué qu’une fois à Paris, et là je crois que le concert est sold out. Cela arrive lorsqu’on s’y attend le moins je crois.
Votre musique est un mélange de musique traditionnelle irlandaise avec quelques touches de musique moderne. Ancien et récent à la fois en quelque sorte, ce qui est plutôt surprenant.
Je pense que c’est une description assez juste de notre musique. Elle est ancrée fondamentalement dans la musique traditionnelle, c’est l’élément le plus significatif. Mais vous avez Caoimhin (NDLR : prononcez Kouivin), Thomas et Dennis qui ont une solide base en musique traditionnelle mais qui ont aussi d’autres formations. Tout cela crée un environnement propice à ce que les musiciens interagissent entre eux et aillent plus loin que de refaire simplement de la musique traditionnelle.
Comment expliquez-vous que la musique traditionnelle irlandaise soit toujours aussi populaire ? Est-ce qu’elle est une part essentielle de la culture et de l’identité irlandaises ?
Je pense que la musique irlandaise ainsi que la langue ont joué un grand rôle au début du XXe siècle alors que le pays avait soif d’indépendance. Cela servait à nous démarquer par nos différences culturelles. Évidemment, de l’eau a coulé sous les ponts, donc il n’est plus question de ça aujourd’hui. Dans le cas de notre groupe, il s’agit d’apprécier la musique, et purement la musique.
C’est quand même surprenant de tomber dans n’importe quel pub en Irlande sur des musiciens qui jouent de la musique traditionnelle…
C’est vrai que cela a pris de l’ampleur depuis des années maintenant. C’est vraiment émouvant de voir que beaucoup de jeunes s’y mettent et jouent de la musique traditionnelle. Ce qui n’était pas le cas quand j’étais jeune ! À mon époque, à l’école, c’était un peu honteux de jouer de la musique traditionnelle, je me cachais. On était seulement deux ou trois dans toute l’école à en jouer. La révolution musicale a commencé dans les années 50 jusqu’aux années 70 avec l’émergence de nombreux groupes, puis un aspect peut-être plus commercial dans les années 90 avec le succès de Riverdance par exemple. La musique traditionnelle est devenue au fil du temps un aspect dominant de la culture irlandaise.
Vous parliez de la langue tout à l’heure, vous avez choisi un chant en langue irlandaise. Pourquoi ?
Ce n’était pas vraiment un choix conscient quand on parlait de monter ce groupe, Dennis et moi. Sa première langue est l’irlandais. Il chantait dans cette langue depuis son enfance. En fait, nous sommes un peu comme Sigur Ros (NDLR : groupe islandais qui chante en islandais et même dans une langue inventée), peu importe la langue dans laquelle nous chantons. Toute ma vie, j’ai écouté des chanteurs d’à travers le monde, dans des langues que je ne comprends pas. Mais ce qui m’importe, c’est l’émotion que le chant provoque, pas vraiment ce que les mots veulent dire. En tant que musicien, c’est vraiment l’expression de cette musique et du chant qui est important pour moi. Le phrasé, être en harmonie avec la mélodie, c’est tout cela. La voix est aussi un instrument et on a tendance à l’oublier.
Je voulais juste revenir sur une chanson qui s’intitule « Saoirse » (NDLR : Liberté en Irlandais) qui témoigne d’une forte connotation politique en Irlande…
Oui, c’est vrai, mais il faut plus le prendre comme « liberté personnelle », se libérer de votre propre vie, devenir qui vous voulez en quelque sorte. On parle donc de liberté plutôt dans son sens abstrait. Cela n’est donc pas forcément lié à une lutte d’ordre politique, mais je comprends que vous puissiez faire ce lien.
Comment est-ce que vous travaillez ?
Thomas est un musicien moderne talentueux. Il évolue plutôt dans le monde de la musique indie mais connaît très bien la musique irlandaise depuis son enfance. Caoimhin a été formé à la musique traditionnelle mais il s’est par la suite tourné vers de la musique d’avant-garde un peu plus expérimentale. Puis il y a Dennis, qui a été formé à la musique américaine, country, rock’n’roll tout ça… Mais on joue ensemble depuis des années, alors il connaît l’influence traditionnelle. Il y a encore Iarla. Il a grandi au cœur de la musique traditionnelle mais a également travaillé avec des compositeurs modernes qui l’ont poussé dans d’autres directions. Moi-même, je suis intéressé par différents genres, même si la musique traditionnelle reste ma formation première.
Mélangez tout ça et vous trouverez une langue commune entre toutes nos influences et nos différences. Cela me pousse à sortir de mes retranchements, même chose pour Thomas qui doit s’adapter. Notre musique est donc le résultat de notre réunion, sans vraiment qu’on y réfléchisse. On joue et on voit où cela nous mène.
Il y a quand même des aspects inhabituels dans votre musique, on n’entend pas souvent de piano dans la musique traditionnelle. Est-ce que ces aspects modernes étaient une volonté de départ quand le groupe a été formé ?
Je connais Thomas depuis qu’il est enfant, donc cette musique c’est un peu un nouveau Thomas. En réalité, le piano a précédé la guitare, apparue ensuite. Jusque dans les années 50 et 60, c’était le piano qui était au centre. Thomas a eu une pause de piano pendant des années et maintenant il est de retour. Il faut juste voir notre musique comme une expérience de sons sur une musique qui n’avait jamais expérimenté ça jusque-là.
Vous avez sorti votre deuxième album l’année dernière. Il n’a pas de nom…
Parce que nous n’en avons pas trouvé ! En fait, il n’y avait pas vraiment de différence avec ce que nous avions fait pour le premier album, donc cet album est plutôt comme un autre chapitre d’une même histoire.
Entretien avec Audrey Somnard
Philharmonie Luxembourg. Dimanche à 20h.
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