Vingt-cinq ans après la série culte H, Jamel Debbouze renoue avec le genre délaissé de la sitcom en réalisant Terminal, troquant le décor hospitalier pour celui d’un aéroport.
Le choix de l’aéroport comme terrain de jeu «nous a paru évident», a récemment expliqué Jamel Debbouze au festival Canneseries, où la sitcom Terminal, lancée dès ce soir sur Canal+, a été projetée en ouverture. «C’est un lieu de passage où toutes les origines, toutes les générations se croisent, toutes les classes sociales, c’est vraiment un carrefour», a-t-il ajouté.
Ainsi, Terminal suit les salariés d’une compagnie aérienne low cost, Flywingz : hôtesses de l’air, chefs de cabine, stewards… et le pilote «le plus incompétent de toute l’histoire de l’aviation française», incarné par Ramzy Bedia, complice de Jamel dans la série culte H (1998-2002), qui mettait en scène, elle, le personnel d’un hôpital : brancardiers, infirmiers, médecins, standardistes…
Comme pour cette dernière, les douze épisodes de la série, d’une vingtaine de minutes, ont été tournés devant un public de 150 personnes dont on entend les rires à chaque réplique, dans la pure tradition des sitcoms inventées il y a plus de 70 ans aux États-Unis, avec leurs décors et personnages récurrents.
Un genre dans lequel Jamel Debbouze, marqué par son expérience de jeunesse, «rêvait» d’embarquer à nouveau. «C’est un peu du théâtre filmé. Pour un comédien, c’est extraordinaire parce qu’on a un retour du public. C’était un rêve un peu inaccessible» mais Canal+ l’a «rendu possible», s’est réjoui le réalisateur, qui apparaît aussi dans la série dans la peau d’un chef de la sécurité accro au taser.
«Temps d’adaptation»
«C’était un gros challenge d’un point de vue technique, artistique aussi», a fait valoir son coréalisateur, Mohamed Hamidi. «Ce qui est intéressant avec une sitcom, pour nous», c’est qu’elle «se trouve pile au centre» des deux disciplines que sont le cinéma et la scène, a-t-il ajouté.
Très drôle, la série a été coécrite par les scénaristes Xavier Lacaille (Parlement, Validé) et Giulio Callegari (Validé), ou encore Clémence Dargent (Ovni(s)). Reste à voir si le public est prêt pour le retour du format traditionnel de la sitcom, disparu de la production française à peu près en même temps que la fin de H, en 2002.
«Il y a un petit temps d’adaptation, on le sait», concède Mohamed Hamidi, à propos du format et de son élément emblématique, les rires enregistrés. De quoi déstabiliser quelques minutes, au premier visionnage, les téléspectateurs qui n’ont plus l’habitude de ce procédé propre aux «comédies de situation».
«Il n’y a aucun rire qui a été enregistré», a insisté Jamel Debbouze, même si, précise Mohamed Hamidi, ceux-ci ont été «réédités», «diminués» ou «augmentés» au mixage. «On avait même envisagé l’idée de pas mettre de rires, glisse encore ce dernier. Le problème, c’est qu’ils sont là, ils repassent dans les micros des comédiens, ce sont vraiment les rires du public, c’est compliqué de les enlever.»
Vrais ou artificiels, ces rires, qui ont rythmé des séries comme H, ont disparu des productions françaises en même temps que le genre de la sitcom, auquel producteurs et diffuseurs ont préféré notamment les «shortcoms», ces comédies courtes (et sans rires) comme Un gars, une fille (1999-2003) ou Caméra café (2001-2004). Même la télévision américaine a fini par délaisser cet habillage sonore, si irritant pour certains, depuis la fin de la série The Big Bang Theory en 2019.
Le rire, «musique de la sitcom»
«Ça a commencé à disparaître à mesure que la télévision est devenue plus sophistiquée», explique le journaliste américain Saul Austerlitz, spécialiste des sitcoms. Celles «qui sont arrivées après Friends (1994-2004) et Seinfeld (1989-1998), en particulier sur NBC, comme The Office (2005-2013) ou Parks and Recreation (2009-2015), ont abandonné les rires enregistrés.
C’est dû en partie à leur format, le « mockumentaire » (NDLR : faux documentaire, genre popularisé dans les années 2000). Mais aussi au fait que les rires enregistrés sont un emblème du passé qu’il fallait laisser derrière soi.»
«Le rire fait partie de la musique de la sitcom», assure au contraire Jean-Luc Azoulay, producteur à l’origine de l’invasion des sitcoms françaises signées AB Productions au début des années 1990 (Salut les musclés, Hélène et les garçons…). «Si vous allez dans un théâtre vide voir une pièce, si personne ne rit, ça n’est pas pareil que si la salle est pleine.»
Mais selon Saul Austerlitz, «la leçon tirée de cette nouvelle génération de séries, c’est que l’on n’a pas vraiment besoin de ces rires pour inciter les gens à rigoler ou leur rappeler qu’une situation est amusante».
Terminal, de Jamel Debbouze et Mohamed Hamidi. Canal+.