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[Télévision] «Tuttle Twins» : le dessin animé qui dérange l’Argentine


Au fil des épisodes, Ethan et Emily explorent, ou se font expliquer, le fléau de l'État-Léviathan, les limites de l'enseignement supérieur ou les dangers de l'émission monétaire. (Photo : paka paka)

Le dessin animé Tuttle Twins fait polémique en Argentine : diffusé ce mois-ci sur la chaîne publique Paka Paka, il vante les vertus du capitalisme décomplexé, cher au président Javier Milei. Ses opposants parlent eux d’endoctrinement de la jeunesse.

Il n’y a pas d’âge pour la bataille culturelle : en Argentine, une chaîne de télévision pour enfants vient de diffuser un dessin animé vantant le capitalisme, stigmatisant l’État et citant des économistes chers au président ultralibéral Javier Milei, suscitant des craintes d’endoctrinement. Paka Paka («cache-cache» en quechua) est une chaîne lancée en 2010 par le gouvernement (centre gauche) de Cristina Kircher, destinée aux enfants jusqu’à 12 ans, mêlant divertissement et contenus éducatifs. Comme d’autres médias publics, la chaîne est dans le collimateur du gouvernement Milei, au pouvoir depuis fin 2023 et dont l’ambition est de les privatiser, voire de les fermer définitivement, comme l’agence de presse Telam en 2024.

Mais l’élan de privatisations étant pour l’instant à l’arrêt au Parlement, Paka Paka a annoncé sa relance avec une nouvelle programmation lancée dès le mois de juillet. Outre des classiques tel Dragon Ball, elle diffusera un dessin animé américain : Tuttle Twins (les jumeaux Tuttle), objet de toutes les polémiques. La série suit les aventures des jumeaux Ethan et Emily, qui voyagent dans le temps avec leur grand-mère à la rencontre de penseurs et économistes libéraux et ultralibéraux tels que Milton Friedman ou encore Ludwig von Mises, deux références fétiches de «l’anarcho-capitaliste» Javier Milei.

Karl Marx tourné en ridicule

Au fil des épisodes, Ethan et Emily explorent, ou se font expliquer, le fléau de l’État-Léviathan, les limites de l’enseignement supérieur ou les dangers de l’émission monétaire. Tout un programme! «Les gouvernements se sont mis à imprimer de l’argent à partir de rien, des billions, et au bout du compte, l’inflation fait que tu n’arrives plus à payer tes courses», peut-on entendre dans un épisode. Parfois, ils rencontrent également le sympathique «Bitty le Bitcoin» vantant les mérites des cryptomonnaies parce que «quand l’argent est contrôlé (par l’État), il est corrompu!».

De temps à autre, ils croisent aussi Karl Marx, tourné en ridicule et qui ne cesse de demander de l’argent. Ou apprennent la différence entre un «droit» et un «besoin», une autre antienne de Javier Milei : «Tout le monde a besoin de nourriture, d’eau et d’un abri pour survivre. Mais le fait d’en avoir besoin ne donne pas le droit d’en avoir». «C’est le seul dessin animé libéral au monde! Il est lié aux valeurs qui nous sont chères», s’est récemment félicité le directeur de Paka Paka, Walter Gomez, sur la chaîne YouTube progouvernementale Carajo.

C’est le seul dessin animé libéral au monde!

Les «Tuttle» est une série créée en 2021, tirée de livres de Connor Boyack, fondateur d’un think-tank libertarien, Libertas, basé en Utah. Et se targue d’être «le projet d’animation numéro un pour enfants aux États-Unis financé par le crowdfunding»  (soit le financement participatif). «Ravi d’annoncer que les jumeaux Tuttle vont être diffusés sur Paka Paka pour des millions d’enfants argentins! Ils remplacent les dessins animés marxistes par des cours hilarants sur la liberté, l’économie et les droits individuels», a récemment salué le compte X de la série.

L’endoctrinement, c’est les autres

L’ex-directrice des programmes de Paka Paka, Valeria Dotro, a raillé une émission «qui ressemble à une provocation. Quelque chose de très grossier, sans récit ni logique intéressante». Pour sa part, Cecilia Veleda, sociologue de l’éducation, a dénoncé une série traduisant «les obsessions personnelles» du président Milei. «Jusqu’ici, ces messages circulaient sur les réseaux sociaux. Qu’ils passent à présent dans des médias de masse comme la télévision pour enfants me semble extrêmement grave», a-t-elle déclaré dans le journal La Nacion. «Les enfants ne peuvent pas être pris en otage de conflits idéologiques entre adultes», poursuit-elle.

Côté gouvernement, le porte-parole présidentiel Manuel Adorni avait laissé entrevoir dès 2024 des changements à Paka Paka, pour en finir avec «un contenu à forte idéologie, ou qui était orienté vers des thèmes de gauche». Il visait notamment Zamba, un petit personnage animé qui revisitait l’histoire argentine. «Il faut utiliser les mitraillettes de l’ennemi», comprendre les mêmes canaux pour diffuser les idées libertariennes, plaidait pour sa part Daniel Parisini, un des influenceurs du cercle proche de Milei.

Avec cette logique implacable, réitérée ces derniers temps sur la chaîne YouTube Carajo : «Quand nous enseignons notre idéologie aux enfants, ce n’est pas de l’endoctrinement : c’est dire la vérité, parce que c’est la vérité».