Rendez-vous incontournable du printemps pour les amateurs des arts de la scène, le TalentLAB fête cette année son cinquième anniversaire, pour une édition un peu spéciale, qui se déroule pendant un mois et en ligne, format parfait pour réfléchir au théâtre de l’après-crise.
«C’est mon moment préféré de la saison, alors c’est super qu’on n’ait pas laissé passer le mois de juin sans ce moment d’échange et de réflexion qu’est le TalentLAB.» Les Théâtres de la Ville de Luxembourg craignaient d’être «en manque», mais leur directeur, Tom Leick-Burns, a tenu à «sauver le TalentLAB» sous une autre forme, celle-là même qui, tant bien que mal, sauve la culture confinée depuis trois mois. C’est donc une édition «online» que s’offre le grand laboratoire luxembourgeois d’idées et de projets autour des arts de la scène pour son édition anniversaire (cinq ans), et il y met les moyens : au lieu des habituels dix jours de manifestations, on embarque pour un mois entier de discussions, de réflexions, d’ateliers et de rétrospectives des éditions précédentes en ayant, «on l’espère, gardé ce truc qui fait que le TalentLAB est quelque chose d’hybride. C’est un festival, un laboratoire, un forum et une académie tout à la fois».
Depuis le 3 juin, et jusqu’au 3 juillet, c’est donc sur internet que le rendez-vous est donné, à un rythme quasi quotidien, d’amener les artistes, metteurs en scène et diffuseurs à réfléchir au théâtre de demain, celui que l’on souhaite voir se renouveler et s’ouvrir à d’autres horizons et, à travers cela, celui qui, inéluctablement, doit se reconstruire après la crise du coronavirus. Conscient que le monde du théâtre «va porter les conséquences de la crise au moins pour une ou deux saisons», Tom Leick-Burns explique le raisonnement qui l’a mené à reconsidérer les discussions qui se tiennent en ce moment au TalentLAB : «Le théâtre de demain, la mobilité des artistes, ce sont des questionnements qui ne sont pas nouveaux, mais qui ont pris une autre dimension et qui sont une vraie urgence aujourd’hui. Et il nous faudra, à un moment ou à un autre, tirer des leçons et essayer de questionner la façon dont nous travaillons.»
Il y est ainsi question de chercher à faire évoluer «nos rythmes de production, notre écoresponsabilité», mais aussi, sous un angle plus technique, d’engager une réflexion sur l’usage du numérique, non plus comme solution de secours à l’arrêt de la culture, mais bien comme faisant, dans le futur, partie intégrante des processus d’écriture et de mise en scène.
La metteuse en scène britannique Katie Mitchell, jury de l’édition 2018 du TalentLAB, qui a à son actif plus de 100 productions dont 30 opéras, donne cette année un atelier en ligne qui retrace toutes les étapes par lesquelles doit passer un metteur en scène de théâtre ou d’opéra, depuis la première lecture du texte ou du livret jusqu’à la dernière répétition avant la première. Très intéressée par la question du numérique, Katie Mitchell affirme qu’elle «préférerai(t) donner ces ateliers en « live », mais ce n’est en aucun cas nécessaire». «Je ne suis pas bloquée sur une forme préexistante et acceptée comme légitime. Au contraire, affirme-t-elle, je suis heureuse de pouvoir rechercher d’autres façons de communiquer des idées.»
Le théâtre de demain, la mobilité des artistes, ce sont des questionnements qui ne sont pas nouveaux, mais qui ont pris une autre dimension aujourd’hui
Quelques heures avant de se livrer à une conversation retransmise en direct sur la chaîne YouTube des Théâtres de la Ville, Anne-Cécile Vandalem se confiait au Quotidien. La dramaturge belge, qui a travaillé sur la question du confinement comme cadre tragique – dans trois pièces, entre 2008 et 2013 – a vu arriver le confinement de la population alors qu’elle «allai(t) entrer dans une période d’écriture». «Je n’avais pas de risque financier car ma compagnie est subsidiée, mais il fallait que je fasse rendre compte que la situation est très compliquée pour plein d’artistes, donc j’ai partagé mon temps et ma force pour faire entendre cette urgence-là tout en développant mon travail.» Ce soutien, elle continue de l’apporter aussi au TalentLAB, puisque ce n’est autre qu’Elisabet Johannesdottir, auteure d’Emerald & Olive, projet de l’édition 2018 dont la marraine était Anne-Cécile Vandalem, qui entame cette passionnante conversation.
Pendant deux semaines encore, les discussions, ateliers et échanges d’idées vont se poursuivre et les intervenants, comme le public, tenteront de repenser le théâtre, aussi bien dans son contenu que dans la forme. Ainsi, tandis qu’Anne-Cécile Vandalem se rappelle qu’en 2018, «avec (la pièce) Arctique, j’avais voulu travailler sur l’idée d’une pandémie», mais la réalité de celle qui est arrivée en 2020 lui a fait reconsidérer son sujet. «À peine deux jours après le début du confinement, je me suis dit qu’il fallait que je mette en place une plateforme qui me permette d’entrer en contact avec des personnes que cet isolement mettrait en danger. Je ne l’ai pas fait car c’est arrivé à un moment où je me suis dit que ce serait réagir à chaud, et réagir à chaud, ce n’est jamais bon.»
Quant à Katie Mitchell, qui glisse qu’elle «imaginait (avant la pandémie) revenir à Luxembourg cette année avec une pièce créée à Aix-en-Provence, Aridne auf Nexos», avant que toutes les représentations soient annulées, elle explique qu’«on s’engage dans des questions très compliquées quand il s’agit de mettre en scène des performances qui soient sûres d’un point de vue de la distanciation physique, mais je crois que nous devons trouver un moyen de créer de nouvelles formes d’après les nouvelles régulations». Et complète sa pensée : «Nous nous devons d’être flexibles et très ouverts d’esprit en cherchant de nouvelles façons de faire de l’opéra et du théâtre, en utilisant un mélange des technologies et d’internet et une présence physique.» C’est aujourd’hui, au TalentLAB, que se conçoit le théâtre de demain. «La réflexion, elle, n’est jamais confinée, conclut Tom Leick-Burns. Le TalentLAB a toujours été un endroit où l’on peut créer en toute sécurité, avec des artistes et un public bienveillants, et où on peut aussi se permettre de se tromper. C’est dans cet esprit que la décision du digital s’est élaborée, et j’espère qu’on en a tiré le positif.»
Valentin Maniglia
Un programme spécial anniversaire
La grande rétrospective du TalentLAB, qui aura lieu jusqu’au 28 juin, s’intéresse aussi bien aux grandes idées qui ont été débattues lors des éditions précédentes qu’aux projets qui ont marqué la courte – mais riche – histoire de l’évènement. La date «nous empêchait de décaler cette édition à l’année prochaine», rappelle Tom Leick-Burns, mais le basculement exceptionnel de ce cinquième TalentLAB sur une interface digitale n’a pas empêché de prévoir une programmation toute particulière et exécutée en grande pompe.
Parmi les rendez-vous qui se sont déjà déroulés, des tables rondes et des lectures enregistrées lors des éditions précédentes, et une conversation diffusée en direct entre Elisabet Johannesdottir et la marraine de sa pièce Emerald & Olive, Anne-Cécile Vandalem. Les sujets discutés, s’ils datent d’avant la crise, prennent une autre dimension aujourd’hui et ont une valeur importante dans l’idée globale du TalentLAB de repenser les arts de la scène et d’imaginer ceux de demain (le rapport de l’auteur à la scène, la formation aux métiers de la scène).
Dimanche, une table ronde sur la formation enregistrée en 2017 sera diffusée sur YouTube à 19 h, et le volet anniversaire de ce TalentLAB version «online» se clôturera en grande pompe, le samedi 27 et le dimanche 28 juin, avec une grande rétrospective en deux parties, chacune introduite par le parrain de la première (l’auteur et metteur en scène Douglas Rintoul) et de la dernière (le metteur en scène David Bobée) édition, et qui reviendra sur les temps forts des quatre éditions précédentes.