La danseuse et chorégraphe luxembourgeoise Sylvia Camarda signe une série en six épisodes sur la chaîne franco-allemande ARTE. Move! se consacre à la danse sous toutes ses formes. Entretien.
Diffusé la nuit dernière, mais visible sur le site d’ARTE, le premier épisode de ce magazine aborde la question de la peur et de son expression dans la danse. Sylvia Camarda et ses invités proposent là un plaidoyer contre la terreur et pour la diversité.
C’est rare qu’une artiste luxembourgeoise se retrouve à présenter un magazine sur ARTE, non ?
Sylvia Camarda : Oui, en effet. Je ne sais pas pour les autres, mais pour moi, c’est une première! (Elle rit). J’en suis très honorée.
Racontez-nous la genèse de cette série, intitulée Move!
J’ai rencontré Wolfgang Bergmann, directeur gérant d’ARTE Allemagne et, au passage, grand fan de danse, lors d’une table ronde à Leipzig, il y a un an et demi. On était cinq chorégraphes invités, et malgré une semaine de festival dans les jambes, et cette discussion programmée un dimanche matin, j’avais une pêche d’enfer! Il est venu me voir après pour me dire qu’il aimait mon énergie et ma façon de parler en me demandant si animer un magazine sur la danse pourrait m’intéresser. Franchement, je n’y croyais pas! Mais aujourd’hui, c’est une réalité.
Quelles sont les idées derrière cette série ?
Montrer ce qu’est la danse contemporaine qui, aux yeux de beaucoup, reste une discipline éloignée des préoccupations sociétales, trop prétentieuse, trop impalpable pour les gens dits « normaux ». Il faut la ramener à ce qu’elle est, à savoir un langage physique de tous les jours, et que les gens, devant leur télévision, puissent se dire : « Tiens, le prochain coup, je vais voir un spectacle de danse! » D’où aussi le choix de thèmes que tout le monde connaît, comme la peur. Il faut rester assez ouvert.
Malgré tout, aborder des problématiques sociétales à travers la danse, le corps, le mouvement, n’a rien d’une sinécure. Comment avez-vous procédé ?
Simplement. Je me suis basée sur les chorégraphes que j’ai côtoyés ou appréciés, et qui ont des choses à dire, à l’instar de Sidi Larbi Cherkaoui, Jan Fabre, Dave St-Pierre, les Ballets C de la B… Je m’appuie sur des choses, des gens auprès desquels je me sens à l’aise. Comme ce sont des personnes qui ont influencé pas mal de monde, à partir de là, il est assez aisé de trouver d’autres associations, de tisser un réseau et d’imaginer d’autres intervenants, artistes comme sociologues. Je peux être heureuse : j’ai un bon CV, j’ai bien bossé. Et comme tous ces gens ont dû me supporter durant toutes ces années, à mon tour de leur faire un cadeau!
Vous avez donc été bien accompagnée. Finalement, votre seul travail sans filet, c’est celui de présentatrice…
(Elle rigole) C’est clair! Même si j’ai une équipe derrière moi, ultra-compétente, il est important que je mène mes propres recherches, car je ne suis pas modératrice. C’est un métier à apprendre, et pour l’appréhender au mieux, il faut être proche du projet, savoir de quoi on parle. Je ne lirais pas un texte qui ne vient pas de moi. Je ne vais pas commencer à me forcer à parler de choses avec lesquelles je n’ai aucune relation. Move!, c’est ma vision de la danse.
Êtes-vous satisfaite de ce premier volet ?
C’est comme quand vous regardez une vidéo d’une improvisation que vous venez de faire : il y a des choses qui sont bien, et d’autres non… Mais au moins, je suis fixée et je sais qu’il me reste du boulot à abattre. D’ailleurs, dans quinze jours, on enchaîne avec les cinq autres épisodes, et ARTE m’a demandé de lire encore moins mon texte. Comme je suis exigeante, je vais m’y atteler. Dans la danse comme à la télévision, j’ai encore des choses à apprendre!
Le premier épisode de Move! s’intéresse à la peur et à son expression dans la danse. Avez-vous, personnellement, déjà intégré cette notion dans un de vos spectacles ?
Oui. Dans Conscienza di terrore I et II, où il était question, pour l’un, des militaires américains ayant abusé des prisonniers à Abou Ghraib, et pour l’autre, d’un terroriste qui se bat pour son pays. La peur, c’est une notion physique universelle et le début de ce qui pourrait être une danse.
C’est du côté de Paris que vous avez tourné, ville marquée par les récents attentats. Qu’avez-vous appris de vos invités, notamment le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui et Luz de Charlie Hebdo ?
Qu’on a tous des émotions, et que la peur n’épargne personne. En tant que danseur, on a cette chance de pouvoir évacuer cette angoisse par le biais de notre corps. Ça se voit lors de notre improvisation sur Saint-Denis, où tout le monde était relax. Mais lors de ma rencontre avec une neuropsychologue, Camille Voisin, on était toutes deux mortes de trouille. Du coup, on a beaucoup ri!
À quoi doit-on s’attendre pour les autres épisodes ?
À des recherches sur le voile et les voilages, les liquides – on va aller chez Jan Fabre à Amsterdam –, le pouvoir de la communication, le vol et enfin la haine. Je vais me retrouver à faire du « skydiving », à danser avec un hologramme et même à faire de la natation synchronisée! Les pauvres filles, elles vont en baver avec moi… J’attends aussi une réponse de Jean-Claude Juncker pour qu’il participe à l’émission.
On vous sent motivée…
J’ai envie que cette expérience continue sur trois, quatre saisons. Je me sens bien dans la famille d’ARTE.
Que voulez-vous que le téléspectateur retienne de ce magazine ?
Qu’il se dise que la danse est pour tout le monde, qu’elle est abordable à condition qu’on se laisse aller, qu’on reste ouvert d’esprit. Tout est possible avec elle. Voir un spectacle du Cirque du Soleil, c’est encore mieux qu’un film d’action à la télévision !
Entretien réalisé par Grégory Cimatti
L’émission Move! est visible sur la chaîne ARTE et sur son service ARTE+7 disponible ICI