Si le fantôme de l’ex-directeur Enrico Lunghi flotte toujours dans la bâtisse, vendredi, le musée a confirmé sa remplaçante, Suzanne Cotter, et annoncé d’autres changements.
Si l’effet de surprise était atténué par les révélations, jeudi, de la radio 100,7, l’annonce, vendredi, de l’arrivée de l’Australienne Suzanne Cotter, 56 ans (photo), à la tête du Mudam – poste qu’a quitté fin octobre 2016 Enrico Lunghi –, n’a pas éteint les ressentiments nés de manigances politico-culturelles ayant abouti à la mise au placard de l’ancien directeur, au bilan et au comportement pourtant sans bavure.
Comme un symbole, c’est l’artiste luxembourgeoise la plus reconnue, Su-Mei Tse, Lion d’or à Venise en 2003, qui, invitée pour parler de l’exposition que lui consacre à partir de ce samedi le musée, a pris le micro pour rappeler l’essentiel : «Il ne faut pas oublier que la personne qui m’a invitée ici, c’est Enrico Lunghi!»
Loin, cependant, de tomber dans un dualisme facile, elle précise : «J’aimerais que la nouvelle directrice soit soutenue dans ses convictions», chance que ses deux prédécesseurs n’ont pas eue, avant de lâcher, solennelle : «Je dis ça au nom de l’art, et non de la politique.» Un rappel nécessaire dont ce serait bien passé Laurent Loschetter, sorti de l’ombre du conseil d’administration pour s’occuper des affaires courantes du Mudam, comprendre gérer un établissement privé de sa tête et lui trouver, bien sûr, une nouvelle, crédible. Lui préférerait parler d’avenir et de perspectives, même si son statut l’oblige, logiquement, à faire le bilan de ses derniers mois, harassants. «On a reçu 43 candidatures « recevables », dont trois du Luxembourg», explique-t-il.
Bettel-Arendt absents
Derrière, le comité de sélection – composé de trois membres du CA et de directeurs de musées internationaux –, avec l’appui d’une société de conseil ont fait le tri. «Ces neuf mois de travaux, c’est comme une grossesse!», poursuit-il, avant de présenter, fièrement, le «bébé», reconnaissant que dès le départ, «elle était en tête des choix». En attendant qu’elle termine sa mission au musée d’Art contemporain de la Fondation Serralves à Porto – elle doit prendre ses fonctions le 1er janvier, même si une période de transition lui sera autorisée – on découvre le personnage, au CV impressionnant : commissaire d’exposition à la Hayward Gallery à Londres, conservatrice et directrice adjointe du Modern Art Oxford, commissaire du « Projet Abu Dhabi » de la Fondation Guggenheim…
Ce qui rend Laurent Loschetter tout chose : «Elle a un carnet d’adresses énorme et dans tous les musées où elle est passée, elle les a ouvert sur la ville.» Apparemment séduite par la beauté du bâtiment et l’aspect multiculturelle du Luxembourg, Suzanne Cotter ne rompt pas avec la philosophie artistique définie par le Mudam, même si, toujours selon Laurent Loschetter, elle s’est inquiétée de la politique d’acquisition d’œuvres et de la petitesse du budget qui lui est consacré (600 000 euros).
Histoire de tourner la page et d’entrer dans une nouvelle ère, le Mudam propose même, en cette rentrée, quelques changements : nouvelle accueil servant d’espace d’exposition, une boutique qui fait également peau neuve, un hall entièrement libre d’accès – avec un sytème de pin’s magnétiques distinguant les visiteurs des simples badauds – et même des tenues spécifiques pour l’équipe du musée (sûrement pour justifier le jeu de mots : «L’habit fait le Mudam»…). Autant de petites actions qui ne gomment pas le fond du problème et les craintes soulevées lors de la houleuse affaire Lunghi/RTL (préférence nationale, art moderne, cumul des fonctions…).
On aurait d’ailleurs aimé entendre Xavier Bettel et Guy Arendt sur ces sujets, tout de même sensibles, mais tous deux n’étaient présents, sûrement retenus à d’autres causes plus importantes (en réalité, ils ont reçu, comme tous les membres du gouvernement, une jolie corbeille de fruits du « Lëtzebuerger Landesuebstbauveräin»). Ils auraient pu donner leur avis sur le fait, aussi, que Suzanne Cotter compte sur une «liberté totale dans ses choix curatoriaux et managériaux». Demandez donc à Marie-Claude Beaud et à Enrico Lunghi ce qu’ils en pensent…
Grégory Cimatti