Le procureur de Paris a été saisi hier pour que soit fermé un site qui, à grands renforts de publicités, propose des mises en relations entre étudiantes (sugar babies) et « mécènes » fortunés d’âge mûr (sugar daddies). Ces plateformes accusées de proxénétisme profitent d’un vide juridique.
Les camions publicitaires de RichMeetBeautiful.com font du racolage depuis le début de la semaine aux alentours des universités parisiennes. En trois jours, le site norvégien de rencontre entre sugar daddies (des hommes âgés et riches) et sugar babies (des jeunes femmes étudiantes) aurait déjà enregistré 6 000 inscriptions. Premières rencontres en vue ce week-end ? Les élus parisiens ont réagi hier, ainsi que des associations étudiantes. Hélène Bidard, adjointe à la mairie de Paris, a saisi le Parquet. Le président de l’Université Paris-Descartes, Frédéric Dardel, envisage, selon le Figaro-étudiant, de déposer plainte.
Retirée en Belgique légale aux États-Unis
Car pour le moment, le site internet n’agit pas dans l’illégalité en France. Fin septembre, cette plateforme avait mené la même campagne en Belgique. Elle a été contrainte de la retirer après une levée de boucliers et une convocation devant la justice. La Fédération Wallonie-Bruxelles, dont dépend l’enseignement supérieur dans la capitale belge, a déposé plainte pour incitation à la débauche et la prostitution.
S’agit-il d’une forme nouvelle de prostitution et de racolage virtuel ? Pour l’association Équipes d’action contre le proxénétisme, « internet permet à la prostitution d’avancer masquée ». La justice américaine a, déjà tranché : les sites de rencontre entre « sugar babies » et « sugar daddies » ne commercialisent pas du sexe tarifé. Leurs services ressemblent pourtant à ceux des escorts, une forme particulière de prostitution, où des hommes s’offrent la compagnie de jeunes femmes payées.
« La frontière entre la prostitution et la recherche de « mécènes » pour financer des études est ténue », souligne la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin, dans un rapport qui n’a pas abouti à une loi délimitant cette frontière et distingant la rencontre de l’activité d’escort. L’élue conclut : « Les difficultés matérielles et la précarité des conditions de vie des étudiants peuvent rendre attractifs les revenus susceptibles d’être rapportés par la prostitution de luxe : 2 000 euros la nuit, 4 000 à 5 000 euros le week-end. »
Un phénomène mal connu
La prostitution étudiante reste mal cernée. Les enquêtes sont rares et il n’existe pas de statistiques fiables sur cette « prostitution de précarité », selon les termes de l’ex-sénatrice UDI Chantal Jouanno, auteure d’un autre rapport sénatorial en 2013.
En 2010, l’Amicale du nid avait interrogé des étudiants de l’université Montpellier III : 2 % des jeunes femmes avaient répondu avoir déjà eu recours à un service sexuel contre de l’argent au moins une fois, et 15 % des personnes interrogées se disaient prêtes à accepter un acte sexuel en échange de cadeaux ou d’argent pour sortir de la précarité.
La députée socialiste Maud Olivier avait également engagé une enquête dans l’Essonne pour mesurer l’ampleur de la prostitution dans les deux universités de ce département : 2,7 % des répondants avaient déclaré avoir déjà eu un rapport sexuel contre argent, biens ou services.
La prostitution étudiante doit-elle vraiment inquiéter ? Pour Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CEVIPOF, auteure de « La vie sexuelle en France », le phénomène de la prostitution étudiante est « beaucoup plus important qu’on le croit et le bouche-à-oreille » entre étudiantes favorise sa progression. Des sites internet font entrer le phénomène dans une autre dimension.