Dans les abattoirs, « la souffrance animale est massive, mais la souffrance humaine est également massive », témoigne le journaliste indépendant Geoffrey Le Guilcher, qui s’est fait embaucher incognito dans un abattoir breton et en a tiré un livre « Steak machine ».
La problématique de la violence faite aux animaux dans les abattoirs a émergé avec les vidéos choc de l’association L214, mais dans les abattoirs, les souffrances animales et humaines « sont liées », selon Geoffrey Le Guilcher. Dans son livre qui sort jeudi (éditions Goutte d’or), le journaliste, qui a travaillé 40 jours sur la chaîne de découpe de carcasses d’ « un abattoir moderne, avec un outil industriel aux normes », décrit un environnement de travail difficile marqué par « des cadences élevées et le manque de personnel ».
Les violences faites aux animaux sur les vidéos de L214 ont choqué, mais « quand tu vas sur place, tu t’aperçois que ce sont des gens comme tout le monde mais mis dans des conditions extrêmes », et que le mal-être animal découle du mal-être humain. Au poste qui lui est attribué sur la chaîne, le journaliste raconte par exemple qu’il « a 60 secondes pour dégraisser une vache (…) avant que la sonnerie annonce la prochaine carcasse ».
Cadences infernales
« Quand on est pris dans la cadence, si l’animal se débat, il rajoute de la pénibilité à un métier déjà pénible. On est dans un contexte où les animaux sont juste des ennemis, qui compliquent une tâche déjà inhumaine », raconte Geoffrey Le Guilcher qui constate aussi que « 30 à 40% » des effectifs sont composés d’intérimaires, et que la formation est inexistante. « J’ai appris une semaine après avoir commencé qu’il fallait mettre le gant en kevlar en dessous de celui en cotte de maille », explique-t-il en montrant une photo de sa main très abîmée après une semaine de travail. « On leur reproche de chosifier les animaux », alors que les salariés de l’abattoir doivent se débrouiller avec une tache ingrate et tabou pour le grand public, qui ne veut pas savoir comment son steak arrive dans son assiette.
Le journaliste en veut pour preuve que, dans l’abattoir où il est embauché, la « tuerie », zone où les animaux sont étourdis puis égorgés, est entourée d’un mur qui en cache la vue aux visiteurs éventuels, mais aussi aux autres salariés. « Ce qui ne laisse pas beaucoup d’autres moyens que l’infiltration », pour savoir ce qu’il s’y passe. Se mêlant aux ouvriers, le journaliste est allé chercher des histoires que « dans ce monde viril et taiseux, on ne dit pas ».
Des ouvriers « foutus »
Et dans ce livre-témoignage, les animaux sont de fait peu présents, ce sont les maux des salariés qui émergent : troubles musculo-squelettiques et accidents du travail, « au moins un par semaine », selon un salarié. Les zones les plus fréquemment touchées par l’usure du travail sont « le canal carpien et les épaules, dont les tendons s’usent de façon accélérée », selon le médecin qui soigne les ouvriers de l’abattoir.
Geoffrey Le Guilcher rencontre ainsi plusieurs salariés « mutés à des postes où ils passent le balai car ils sont foutus » physiquement parlant. Et malgré un salaire et des primes intéressants, compte tenu du niveau de qualification requis, « notre abattoir a de graves problèmes de recrutement », confie un syndicaliste au journaliste. Dans ce contexte, les salariés « se retrouvent un peu stigmatisés » par les vidéos de L214, mais tout cela les concerne moins que les accidents et les maladies causés par leur travail, estime le journaliste. Il cite tout de même la confession que lui a faite un jeune salarié : « Si tu bois pas, que tu fumes pas, que tu te drogues pas, tu tiens pas, tu craques. »
Le Quotidien/AFP